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#1 11 Jul 2018 16:14

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

[Les ForĂȘts Mentales] Comptes-rendus de partie

Les ForĂȘts Mentales est un ensemble de rĂšgles pour faire du jeu de rĂŽle textuel (par mail, chat ou forum) dans l'univers forestier de Millevaux

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illustration : Francisco de Goya, domaine public

Comptes-rendus de partie avec l'auteur :

1. Les passagers clandestins du labyrinthe
Le rĂ©cit d’une famille dĂ©chirĂ©e au cƓur d’une trame forestiĂšre et temporelle des plus Ă©tranges, Ă  lire comme un script ou un roman.

2. L'enfant aux trois vies
Au menu, poésie radioactive, tragédie familiale et horreur existentielle !

3. L'aiguille des Parques
Un pĂ©riple clopin-clopant dans l’enfer des Balkans, une odyssĂ©e cynique piquĂ©e d’espoir. Par Anonyme, BorĂ©alis, MythrĂ€, nOOne et moi-mĂȘme.


Comptes-rendus de partie sans l'auteur :

1. Un p’tit varou bossu.
Une partie Ă  deux sur Infinite RPG par BorĂ©alis et nOOne dans les ruines de Bucarest entre Dracula, Chat noir / Chat Blanc, et La CitĂ© des Enfants Perdus. La partie est inachevĂ©e mais l’immersion est garantie !


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie crĂ©ative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#2 11 Jul 2018 16:18

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [Les ForĂȘts Mentales] Comptes-rendus de partie

L'AIGUILLE DES PARQUES

Un pĂ©riple clopin-clopant dans l’enfer des Balkans, une odyssĂ©e cynique piquĂ©e d’espoir. Par Anonyme, BorĂ©alis, MythrĂ€, nOOne et moi-mĂȘme.

Le jeu : Les ForĂȘts Mentales, jeu de rĂŽle par forum dans la forĂȘt de Millevaux

Joué du 01/05/18 au 31/05/18 sur la plateforme Infinite RPG

Aventure sur la plateforme Infinite RPG

Dialogue télépathique sur la plateforme Infinite RPG

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crédits : philatz, cc-by-nc, galerie sur flickr.com



Les personnages :

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Nom : Lasko le mercenaire malade
QuĂȘte : Trouver une cause qui donne un sens Ă  sa mort
Symbole 1 : Lynx
Symbole 2 : Armes

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Nom : Vladek le Pouilleux, radiophoniste amateur
QuĂȘte : Augmenter l'audience de Radio Frondaisons
Symbole 1 : Ragots
Symbole 2 : Ours

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Nom : Olga, la claudicante brodeuse
QuĂȘte : DĂ©couvrir la source de l'emprise et tenter de la dĂ©truire
Symbole 1 : Aiguille
Symbole 2 : Curiosité

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Nom : Luka Horvåt le mécano déboulonné
QuĂȘte : Reconquerir le savoir technologique perdu
Symbole 1 : Une clé anglaise typique et passe-partout.
Symbole 2 : Le TrÚfle Nucléaire

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Nom : Mihajlo, l'importun ensemenceur
QuĂȘte : Trouver une plante de la forĂȘt de Millevaux qui soit comestible.
Symbole 1 : Feuille
Symbole 2 : Stigmate


L'histoire :

Vladek

La vieux poste de radio de Vladek crachote comme une bestiole à l'agonie. Vladek, un solitaire, un peu lunaire, un peu fou, un peu rigolo, déglingué de la cafetiÚre mais pas dangereux en somme, est perché dans sa cabane dans les bois, encombrée de bric à brac, et il registre la nouvelle émission de Radio Frondaisons.

"Bienvenue sur Radio Frondaisons sur la fréquence 53.45, ici c'est Vladek Le Pouilleux, votre animateur préféré, pour la seule émission de radio à des clics à la ronde !

On commence cette Ă©mission avec ce que vous adorez tous et toutes, une revue des ragots de mon village !

Tout d'abord, la vieille Schmenka, et bien si elle a encore toutes ses dents, c'est parce qu'elle vole celle des Zatokiev dans leur sommeil..."

Justement, la vieille Schmenka ne goûte guÚre qu'on dise du mal sur son dos. Elle est en train de monter l'échelle branlante de la cabane de Vladek, déterminée à lui filer une bonne correction...


Lasko :

Lasko s'arrĂȘte en pleine progression pour Ă©touffer une toux dans le bout de chiffon qu'il considĂšre comme un mouchoir. Depuis le temps, les fils se sont saturĂ©s de sang dĂ©sormais sĂ©chĂ© et malgrĂ© les tentatives de nettoyage, la trame apparait d'un rouge brun sur un fond rosĂ©. Parfois il se surprend Ă  se demander si les motifs qui apparaissent au fil des toux n'ont pas un sens particulier. Il ne sait mĂȘme plus quand il a chopĂ© cette saloperie ni comment mais apparemment il n'en mourra pas cette fois ci. Pas encore.

Quelques minutes de pause forcée, la peau moite à l'idée que le bruit n'ait attiré l'attention de quoi que ce soit et il reprend sa marche.

Pour s'arrĂȘter de nouveau une centaine de mĂštres plus loin face Ă  un embranchement.Sur un rocher, un panneau rouillĂ© marquĂ© d'un symbole ressemblant trĂšs vaguement Ă  un trĂšfle. Trois feuilles seulement et sa mĂ©moire est encore suffisamment bonne pour lui faire choisir l'autre chemin.


Vladek :

Vladek le Pouilleux entend la vieille Schmenka monter l'Ă©chelle de bois de sa cabane avec un bruit trĂšs lourd. Vladek se dit que cette fois, c'est la fin, il va payer pour tous ses cancans. MĂȘme il ne veut pas mourir sans se dĂ©fendre. Il embrasse son vieux poste de radio-Ă©metteur rouillĂ© et empoigne une poelle Ă  frire cabossĂ©e. Toujours le casque sur les oreilles par-dessus son bonnet pouilleux, il attend au-dessus de la trappe, prĂȘt Ă  frapper l'intruse.

Mais il retient son geste, quand il voit la vieille - décidément trop costaud pour son ùge - porter un corps dans sa cabane. Un type pas net en uniforme paramilitaire, qui doit bosser pour une quelconque armée idéologique : les absolutionnistes, les lions de Belgrade, ou les Khlysty ?

Sur ses plaques on peut lire le nom de Lasko. "Je l'ai trouvé par là, regarde-le il crache du sang, il faut le soigner, idiot !"

Vladek fait bouillir de l'eau et pendant que la bouilloire siffle, Shmenka s'arrache une dent et en fait un pendentif pour Lasko. "ça stoppera ton hémorragie, mais pas longtemps, étranger."

Vladek exige de Lasko : "On doit pas héberger d'étrangers, c'est la loi du village ! On aurait du te tuer ! Si tu veux qu'on t'épargne, donne-nous un souvenir ! Un souvenir important !" Déjà Vladek refait les réglages de son radio, il regarde Lasko d'un air gourmand, en attente d'une rumeur bien juteuse.

Shmenka soupire, puis s'allume un cigare de foin.

"Mon gars, si tu veux survivre, il va falloir aller voir la Horde des MutilĂ©s. Au delĂ  du panneau avec le trĂšfle nuclĂ©aire. Peut-ĂȘtre qu'Olga la brodeuse voudra t'accompagner ?"


Olga :

Clopin-clopant, Olga suit depuis longtemps dĂ©jĂ  le palanquin qui cahin-caha s’éloigne parmi les rares landes dĂ©solĂ©es, parmi les squelettes noircis des arbres aux branches dĂ©charnĂ©es qui n’ont que faire de prier les sinistres cieux. Si l’orage gronde au loin, cela ressemble aux bruits des armes et des mines au point de ne plus faire la diffĂ©rence.

Plic-ploc. La pluie fine et acide cesse doucement de tambouriner. Peu Ă  peu s’estompe la musique discordante sur les toits des quelques carrioles, et des vieilles bĂąches d’infortune.Un vague sourire grimaçant aux dents gĂątĂ©es accueille pourtant avec satisfaction un nouvel assemblage de points. Se croisent et s’entrecroisent les fils pour former un motif sibyllin sur de vieux morceaux d’étoffes jadis rĂ©cupĂ©rĂ©s sur les morts sans marchander, car aprĂšs tout ils n’en ont plus l’utilitĂ©.

L’ours et le lynx entourent un trĂšfle Ă©trange comme celui de la vieille pancarte mangĂ©e par la rouille. Elle croit les avoir rĂȘvĂ©s ; peut-ĂȘtre mĂȘme avoir entendu des voix parler quelque part dans ses pensĂ©es comme souvent sans jamais oser rĂ©pondre, lĂ  oĂč les mots sont souvent les moins compliquĂ©s. ConnaĂźt-elle d'ailleurs encore le son de sa propre voix ?

À moins que ce ne soit la boĂźte Ă  paroles entre grĂ©sillements et bruits blancs ? Un des mutilĂ©s en garde une, la faisant parfois crachoter ; quoique bien plus souvent qu’il n’oserait l’avouer
 Cela intrigue beaucoup la petite boiteuse parce que dans cette boite justement, les Ă©trangers ne semblent rejeter personne.

La crĂ©ature autrefois faite femme se relĂšve enfin aprĂšs moult efforts, se dandine lĂ©gĂšrement d’un pied sur l’autre pour manquer de choir dans la foulĂ©e. Deux bots pieds dont les orteils s’embrasseraient presque, surplombĂ©s par des jambes arquĂ©es que dĂ©sĂ©quilibre tout autant un dos lĂ©gĂšrement bossu. Olga aimerait encore croire qu’elle danse plus qu'elle ne marche, comme cette minuscule et fragile statuette rapidement entraperçue durant un long pĂ©riple, cachĂ©e dans une autre petite boite qui ne parle pas, mais jouerait prĂ©tendument de la musique. Objet diabolique ou mystique ?

Qu’importe. Ses narines se plissent. Olga hume l’air viciĂ©, tout en se rapprochant pĂ©niblement du fameux Ă©metteur



Luka :

"CrevinrognodidjĂč !" s'escrime un homme sous la carlingue de ce qui fut autrefois un camion aux couleurs camouflages. Marrant comme dans cette partie du monde, on trouve plus de chariot militaire que civils. Et dans un Ă©lan volontaire, fracasse l'obstacle de son arme improvisĂ©e, et obtenir les fruits de son labeur sous la forme d'un liquide noir et visqueux tombant Ă  gros bouillon sur ses traits austĂšres.

Il tousse.

"Pfouah, de l'huile. J'pouvais pas rĂȘver meilleure douche pour tomber malade, erk."

Alors il se laisse rouler hors des quatre fers mécaniques, s'époussetant sa combinaison délavée aux couleurs de l'ancien monde. Faut dire qu'ici, les habitudes sont comme des mauvaises herbes, elles ont la vie dure. Et cette parodie de la société d'avant qui lui sert de foyer le sait trÚs bien. Organisant leur vie comme une horloge à coucou, le régime de Belgrade a beau préserver les apparences, il sait.

Il sait que l'or noir va manquer. Que la poudre noire va manquer. Que le cuivre va manquer. Bordel. Si on l'Ă©coutait, il foutrait le feu Ă  cette botte de paille et y passerait l'aimant. Peut-ĂȘtre qu'enfin cette aiguille sortirait des braises. Il sait mĂȘme que quand bien mĂȘme son p'tit bijou fonctionnerait, qu'il pourrait pas avancer droit sans se prendre un arbre en pleine poire. Mais c'est la clĂ©, il le sait sans le savoir.

Mais allez dire aux patrons qu'il faut claquer toute la thune dans une bombe incendiaire, quand il peine à protéger les récoltes d'une végétation hostile ?
Ouais, l'Ă©chec garanti, on est pas des animaux. Parait. C'est curieux quand on y pense, les lynx ont une bonne vue, parait.

Il s’époussette du liquide vĂ©gĂ©tal. Probablement. La nature est bonne que comme carburant, et mĂȘme lĂ  elle trouve le moyen de coller et de s'immiscer partout. C'est Ă©cƓurant.

Pendant ce temps, une radio crachote des machins de bouseux perdu au fond de la forĂȘt. Une affaire de dents qui se dĂ©chaussent, et de vielles peaux. Puis le silence. Le silence. TĂ©, c’était bien la peine de mettre un fond sonore s'il est pas foutu de faire son taff.


Lasko :

Il aimerait bien se souvenir exactement de comment il s'est retrouvé dans cet endroit mais sa mémoire est presque en aussi mauvais état que celle du vieux Manfred aprÚs qu'une balle lui ait explosé la boßte crùnienne. D'ailleurs, pourquoi il se souvient de ça à cet instant ?

Heureusement le gars en face de lui l'aide rapidement à reprendre ses esprits : rien de tel que de parler de tuer quelqu'un pour stimuler la pensée. Ou les réflexes.

Alors il parle, lentement, d'une voix rendue rocailleuse par la solitude, comme un ours qui sortirait seulement de son hibernation. Il parle de ses vieux camarades. De ceux qu'il croit ĂȘtre ses camarades, sans rĂ©vĂ©ler qu'il est parfois incapable de discerner ceux qu'il a rĂ©ellement connu de ceux dont il a entendu parler ou de ceux qu'il a entendu parler.

Et finalement s'arrĂȘte net aprĂšs quelques minutes comme si il venait juste d'entendre seulement la phrase de l'autre.

"Olga la brodeuse ? qui c'est ?"


Vladek :

Alors que Lasko commençait à parler de ses camarades, Schmenka écrase sa grosse paluche sur le bouton OFF : "Tu vas finir par nous attirer des ennuis avec ton machin, Vladek Stanevic le Pouilleux, fils de chamelle enragée !"

Vladek fait son contrit quelques temps, puis rebranche le poste dÚs que Schmenka a le dos tourné.

C'est alors que Lasko Ă©grĂšne la litanie des noms de ses camarades, morts ou vivants, amis ou ennemis : "MilorĂ d Ahmud, Luka HorvĂ t, Sejla TzĂ dic..."

La vieille répond à la question du mercenaire concernant Olga :

"Olga, c'Ă©tait la plus belle femme de notre village. Avant l'incident... Maintenant, elle suit la horde des mutilĂ©s, elle est tout Ă  l'arriĂšre, je ne sais pas si elle est encore bien intĂ©grĂ©e... C'Ă©tait notre brodeuse, mais maintenant elle a une aiguille spĂ©ciale, certains la disent magique, d'autres la disent maudite, et elle brode avec des tissus dĂ©robĂ©s aux morts, un peu comme une araignĂ©e... Alors crois-moi ça peut porter que le mauvais oeil (elle passe son pouce sous ses dents comme pour conjurer le sort). Je pense qu'elle peut intercĂ©der auprĂšs de la horde des mutilĂ©s pour qu'ils te soignent... en Ă©change, ça lui permettra peut-ĂȘtre d'en apprendre plus sur la horde et leur secret... Allons la voir ! Mais... Vladek ! Tu as repris l'antenne, saletĂ© !"

Elle mort la main du Pouilleux et redébranche la radio.

"ArrĂȘte avec tes enfantillages et mettons-nous en route !"

Vladek rassemble ses affaires. Il veut bricoler une version portative de son Ă©metteur radio. Visiblement, ils s'apprĂȘtent Ă  vivre une grande aventure, et Radio Frondaisons doit Ă  tout prix l'Ă©mettre.

Il sort une clé anglaise volée au régime de Belgrade et démonte son poste émetteur avec. Vladek l'ignore, mais cette clé est un artefact de l'ancien temps, c'est plutÎt un genre de robot en fait et c'est ainsi que Vladek réussit l'impossible : recréer un poste émetteur transportable (enfin c'est un bien grand mot : c'est un énorme amas rouillé de diodes et de micro et de bobines que Vladek doit porter sur son dos). Un artefact que convoite Luka Horvàt depuis un certain temps...

Schmenka redescend l'Ă©chelle de bois en portant Lasko. Et puis Vladek la suit, ou plutĂŽt tombe de toute la hauteur de la cabane avec son barda radiophonique crachotant.

Dehors, le village ce n'est juste que des toits noirs de cabane et un monastĂšre pourri qui dĂ©passent des arbres. Tout autour, c'est la forĂȘt aux couleurs d'acier rouillĂ©e et les montagnes comme des statues abstraites oubliĂ©es de la logique.


Olga :

Dead Melodies / Remnants of the Missing

Si un revers de main chasse le liquide noir et poisseux de la combinaison, c’est cette mĂȘme huile ayant touchĂ© le sol qui semble dĂ©sormais mue par une volontĂ© propre. Les gouttes se lient, se dĂ©lient comme une fractale en perpĂ©tuel mouvement, tandis que l’emprise s’infiltre dans une Belgrade jusque-lĂ  abritĂ©e. Et de cette huile kalĂ©idoscopique, n’en reste dĂ©sormais plus qu’un motif alĂ©atoire gravĂ© sur le bitume poussiĂ©reux, Ă  la façon d’un crop-circle. Un trĂšfle nuclĂ©aire dont les trois feuilles ont mutĂ© en ce qui semble ĂȘtre des armes.

Pendant ce temps, la boiteuse silencieuse colle machinalement une oreille Ă  cette autre fichue radio qui crachote, crachote, grĂ©sille
 Des voix traversent la frĂ©quence, soudainement plus, et cela recommence jusqu'Ă  retomber dans le silence
 On se joue d’elle, c’est sĂ»r ! La frustration est telle que la brodeuse serait bien allĂ©e dire sa façon de penser Ă  l’impĂ©tueux Janko quant Ă  l'entretien de la boite Ă  paroles. L'impĂ©tueux Janko qui l’aurait certainement fusillĂ© sur place de son unique Ɠil de lynx et ses allures d’ours mal lĂ©chĂ©. Par peur des reprĂ©sailles, elle s’abstient.

Elle s’abstient car des mots ont traversĂ© la radio ou sa tĂȘte, elle ne sait plus. Un Ă©cho rĂ©sonne en elle, mais c’est comme avoir un mot sur le bout de la langue surtout quand on ne parle quasi plus. Et si les membres qui ont repoussĂ© appartenaient Ă  d’autres jusqu’à enfermer leurs Ăąmes dans le corps des mutilĂ©s ? Et si ces Ăąmes se mettaient Ă  justement communiquer dans leurs tĂȘtes ? C'est qu'elle prendrait presque peur !

Luka HorvĂ t. Il y a quelque chose de familier dans cet assemblage, mais l’oubli a tissĂ© sa propre toile dans l’esprit de la pensive Olga.

Olga qui chantonne, comme un mantra et sur tous les tons, cette identité au creux de sa petite caboche pleine de trous.

Olga qui sort son petit livre Ă  souvenirs, page d’étoffe aprĂšs page d’étoffe, chacune couverte de broderies pour remplacer mots Ă  maux ce qui lui fait cruellement dĂ©faut ; mais hĂ©las rien ne vient.


Luka :

La marre se perd en trefle, et sillons, évoquait tel un test d'encre de chine, un arsenal desuet. Comme la vie ici, en sommes. Qui aurait cru que le fordisme serait si utile dans une societé de... quelle année déjà ? Qui compte encore ?

Hmf. Peu importe. Le travail à la chaine, abrutissant, sauvait la societé postmoderne. Enfin c'est ce que répétaient les tauliers. Une histoire de travail rendant libre, qu'ils disaient.

Heureusement que le job de l'expert en mĂ©canique induit des expĂ©ditions dans la forĂȘt Ă  la recherche des artefacts avalĂ©s. Heureusement ? Quand une mine deviens un grenadier dont les fruits ne sont pas sucrĂ©s ?


Mais c'est que ça vaudrait le coups de lancer une expĂ©dition contre les pouilleux. Un transmetteur, quand on y pense ... c'est une belle piece de l'avant. P'tre mĂȘme qu'il faudrait enrĂŽler le pouilleux, s'il sait s'en servir sans qu'elle finisse en grille pain fashion.

Malin, le lynx.

Quelque chose l'attire lĂ  bas, dans cet inconnu hostile. Comme une petite voix dans la tĂȘte qui insiste, ou p'tre l'inconscient qui a notĂ© son nom Ă©touffĂ© dans une machine tourmentĂ©e ?

N’empĂȘche que de fil en aiguille, il se dit qu'il va falloir proposer une petite session d'urbex Ă  son supĂ©rieur direct, celui qui l'a dans la peau car il peut changer la culasse d'une pĂ©toire plus vielle que le doyen de l'equipe.


Ouais, c'est le bon plan. ComplĂštement suicidaire, mais c'est bon.


Lasko :

Il regarde l'amas que l'homme porte sur son dos, incapable de savoir si il est plus admiratif devant la force ursine que le gars doit manifester pour porter ça ou sur l'ingĂ©niositĂ© qui permet de faire fonctionner cet engin contre toutes les probabilitĂ©s. D'un autre cĂŽtĂ©, il n'aurait pas pariĂ© que la vieille Ă©tait capable de porter autre chose que ses propres vĂȘtements (parce qu'en fait de vĂȘtements propres ça a l'air d'ĂȘtre aussi courant qu'ailleurs dans la rĂ©gion) alors, une surprise de plus ou de moins ne change plus grand chose.

Il en profite pour réfléchir à ce que la vieille vient de lui dire justement.

"Olga ..."

Il ne sait pas grand chose sur la fameuse Horde mais mĂȘme les bribes de souvenirs sont suffisantes pour lui donner un coup de fouet. C'est peut ĂȘtre l'occasion qu'il cherchait justement. Il sourit de toutes ses dents.

"Je pense pouvoir marcher."

Pour l'instant en tous cas. Ses mains sont déjà en train de vérifier son équipement, caressant presque amoureusement les armes qu'il a pu garder avec lui alors qu'il examine du regard les ruines autour d'eux.

"Tu veux de l'aide Vladek ?"

Et puis il voit quelque chose bouger dans les ombres des décombres du monastÚre et s'immobilise.

"C'est quoi ça ?"


Vladek :

Schmenka répond au mercenaire : "ça c'est pas bon du tout"

Le monastĂšre lui-mĂȘme a quelque chose de pas net. Les bulbes de ses clochers blancs sont garnis de protubĂ©rances comme des champignons de pierre.

La chose qui s'extirpe des ruines au milieu des ronces et des fougĂšres, c'est une chose noire vĂ©tue d'une Ă©tole et d'une mitre d'Ă©vĂȘque bouffĂ©es aux vers.

Cette chose qui se traßne jusqu'à eux en rùlant, cette chose récite des phrases des Evangiles dans une voix rauque : "Cuit-Cuit, Jésus cuit. Cuit, cuit, Jésus cuit, on l'a bouilli !"

Cette chose qui est une parodie d'ĂȘtre intelligent, une masse noire de poils et de pus, une gueule Ă©cumante de crocs et de chicots, c'est un ours. Un ours horla Ă©vangĂ©liste.

Vladek se planque derriÚre Schmenka alors que l'animal bestial avance vers eux à pas bourrus. "Une gitane m'a prédit que je mourrais bouffé par un ours ! Je veux pas finir comme ça ! Je veux rentrer dans ma cabane !"

Et il gueule dans le cornet relié au lourd transmetteur dans son dos : "Ici Vladek le Pouilleux pour Radio Frondaison ! Nous entamons un combat épique contre un hors-là !"

"Malheur à nous, dit Shmenka. Nous avons hébergé un étranger et cela a porté le malheur sur le village !"

L'ours brame un puissant alleluia saturé de bave et de glaires et rue sur les humains. Schmenka pare l'impact de son corps. L'ours lui attrappe la bouche dans sa gueule, et il l'attaque par l'ouverture de ses péchés : il lui arrache les dents qu'elle a volées et injecte son venin rédempteur dans les trous de ses gencives.

Puis il s'en va avec les dents volées pour les déguster à loisir.

Schmenka meurt dans les bras de Lasko.

"Tu me rappelles quelqu'un que j'ai beaucoup aimé. Je n'ai pas toujours été qu'une voleuse de chicots, tu sais."

"Fouille dans ma poche, Lasko le mercenaire, chien de guerre, chien d'amour, chien de mort. Tu y trouveras une aiguille qui a été faite avec une balle qui t'a un jour blessé. Et un petit coffret en porcelaine qui contient une toute petite dent : ta premiÚre dent de lait..."

"Maintenant, partez tous les deux vers la Horde des Mutilés. Je ne veux pas que vous me voyez mourir".


Luka :

Une Ă©tincelle dans un bocal explosif. Quoiqu'il se passait Ă  l'autre bout du monde, son impacte sur Luka etait indĂ©niable. AdrĂ©naline, sentiment de perte. Il n’était pas sur de voir Ă  quoi tout celĂ  etait dĂč, mais une chose Ă©tait sure, en plein milieu de la route ce n’était pas le plus agrĂ©able des moments.

Il lui manquait tant d’élĂ©ment pour tisser la toile des Ă©lĂ©ments. Qui sait Ă  quoi jouait les moires, quel fil elle avait Ă  couper ? Pas le sien, espĂ©rons. M'enfin il allait vers le superviseur pour obtenir son droit d'aller exploiter la foret, mu par une force qu'il ne se connaissait pas.

Peut-ĂȘtre que les voyageurs sauraient de quoi ils parlent. Ils vont de ville en ville comme un manege de monstres humains, mais .. dans la ForĂȘt, le colporteur est le seul moyen de connaitre le monde. Un peu comme les troubadours, diraient les pĂ©cnauds de Zagreb.

"Hey, boss. J'ai p'tre un filon Ă  exploiter pour avoir un peu de hard-tech. J'aimerais un permi d'explorer la forĂȘt."

Un flingue serait cool aussi. Mais ça, c'est pas gagnĂ©. Peut-ĂȘtre qu'un peu d'aide autochtone serait opportune. Encore ce frisson. Peut-ĂȘtre pour ça qu'il Ă©tait si sur de lui, malgrĂ© l'inanitĂ© de ses demandes.


Lasko :

Lasko reste muet. Pas la premiĂšre fois que ça lui arrive, surtout depuis qu'il a entrepris de voyager seul. Ou est ce qu'il s'est retrouvĂ© seul sans le vouloir ? Sa mĂ©moire est floue sur ce point, comme sur tant d'autres. L'attaque a Ă©tĂ© si soudaine qu'il n'a mĂȘme pas eu le temps de tirer sur l'ours. Pas qu'il soit convaincu que cela aurait changĂ© quoi que ce soit mais cela le trouble. Il en viendrait presque Ă  douter de ses compĂ©tences.

Il ne perd pas de temps à exprimer ses doutes et obéit comme un automate aux consignes de la vieille, se gardant volontairement de trop réfléchir au sens des paroles qu'elle vient de prononcer. Il glisse le coffret et l'aiguille dans la poche intérieure de sa tenue, il sera toujours temps de les étudier plus tard. Sans réfléchir, il se penche pour embrasser la vieille sur le front en guise d'adieu et s'éloigne, tirant le radiophoniste derriÚre lui.

Ils s'enfoncent dans la forĂȘt comme dans une brume vĂ©gĂ©tale, les branches semblables Ă  des aiguilles d'acier au sein d'un feuillage rouillĂ© jusqu'Ă  se retrouver une nouvelle fois devant le panneau marquĂ© du trĂ©fle. Ou peut ĂȘtre est ce un autre panneau avec le mĂȘme motif ?

"Va falloir que tu m'en dises plus sur la vieille, Vladek. Et sur toi par la mĂȘme occasion."


Vladek :

Vladek est visiblement bouleversé. C'est un simple d'esprit que le village protÚge des événements traumatiques en général. Il balbutie quelques mots mais c'est incompréhensible.

Il demande Ă  Lasko de l'aider Ă  faire une derniĂšre chose avant de s'aventurer au-delĂ  du panneau au trĂšfle. Ensemble, ils transportent le corps de Schmenka jusqu'Ă  un sanctuaire de l'Âge d'Or, un Spomenici, un monument d'une singuliĂšre Ă©trangetĂ©, minĂ©ral, organique, a-t-il Ă©tĂ© toujours sculptĂ© sous cette forme ou l'emprise l'a-t-elle dĂ©formĂ© jusqu'Ă  lui donner cette apparence de crĂ©ature extraterrestre jumelle ?

Il dépose Schmenka au milieu, s'arrache une de ses derniÚres dents et la dépose dans les mains de la vieille. Les dieux de l'ancien temps prendront soin d'elle.

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"Tu n'as rien d'intéressant à apprendre de moi, Lasko, je ne suis qu'un pouilleux qui aime faire de la radio et qui trouve parfois des objets bizarres dans les ruines et à qui une gitane à prédit qu'il mourrait bouffé par un ours, et qui a été trop lùche pour accepter son destin." (il sanglote)

"Quand Ă  Schmenka, je peux t'en parler puisque les ragots sont ma spĂ©cialitĂ©. Elle Ă©tait nourrice dans l'ancien temps. J'ignore si elle a eu elle-mĂȘme des enfants. En tout cas, on a arrĂȘtĂ© de lui en confier quand on l'a surprise Ă  leur voler leurs dents de lait. J'ignore si elle est nĂ©e au village oĂč si elle venait d'ailleurs, sans doute elle-mĂȘme l'avait oubliĂ©."

Vladek refait une enjambée pour quitter le site quand un bip caractéristique se fait entendre. Il vient de marcher sur une mine. Lasko est son seul espoir. Il aurait préféré se faire bouffer par un ours...


Olga :

- Tout doux,HorvĂ t ! Bordel ! C’est que ça t’prend comme une envie d’pisser hein ? C’serait pas une dĂ©fection par hasard ?

Dans Belgrade la dégradée, le chef bourru par excellence louche avec méfiance sur le déboulonné. Les rouages de son cerveau se mettent néanmoins en branle avant qu'il n'y aille de son petit discours.

- Trimbaler ses miches seul dans c’merdier c’pas une trĂšs bonne idĂ©e ça,mon p’tit gars ! J’ai besoin d’mes hommes ici ouĂšp, mais si c’que tu dis est vrai
 P’tet bien qu’ça pourrait empĂȘcher toute cette pourriture d’bouffer not’coin d‘paradis, pas vrai ? Mmh laisse-moi rĂ©flĂ©chir
 J’connais p’tet un mec. Un merco du genre solitaire. Lasko qu’il s’appelle, ouĂšp. L’est pas restĂ© longtemps dans les parages, mais y nous a pas mal aidĂ© Ă  une Ă©poque contre la foire aux monstres. On l’a plus r’vu aprĂšs ça. N’empĂȘche qu’les ragots disent qu’il a vaincu une sorte d’lynx Ă  trois tĂȘtes lorsque l’Ɠil noir de la curiositĂ© a bouffĂ© la grande ourse, lĂ -bas au-dessus de l’aiguille du midi Ă  l’est ; et qu’il est maudit depuis
 Vrai ou pas, j’sais pas, mais p’tet qu’il pourra t’aider.

Une toux bien grasse manquerait presque de l'achever sur place.

Page aprĂšs page, rien ne vient hormis les larmes qui perlent aux yeux jusqu’à tracer des sillons sur les joues sales de la boiteuse. Des larmes avec un sentiment de perte. Puis surtout des remords et des regrets, et peut-ĂȘtre bien aussi de la culpabilitĂ©. L'un allant rarement sans les autres.

Partir pour comprendre serait une mauvaise idĂ©e. Il y a lĂ  comme un mur invisible qui l’emprisonne, ce fil tĂ©nu qui la retient au palanquin et au sauveur des Ăąmes perdues aux corps abĂźmĂ©s, rĂ©parĂ©s grĂące Ă  une dĂ©coction aussi noire et visqueuse qu’une huile de moteur. Ne lui doit-elle pas la vie ? Et puis, il y a le fameux dessein de la horde des mutilĂ©s qu'elle dĂ©sire tant dĂ©couvrir, aussi secret soit-il.

Ces Ă©motions mitigĂ©es la perturbent au point que la boĂźte Ă  paroles paraisse le seul rĂ©confort, d’y coller Ă  nouveau une oreille, de guetter un message, un timbre familier ou non alors que le reste du campement, aussi provisoire soit-il, vaque Ă  ses occupations. Les doigts tournent un bouton, cherchent une frĂ©quence, bien qu’Olga ne soit pas douĂ©e avec toutes ces machines bizarres. Ce faisant, elle chantonne Ă  nouveau mais d’une voix Ă©raillĂ©e et trĂšs basse cette fois-ci, ce qui semble ĂȘtre une vieille et drĂŽle de comptine.

"La brodeuse en pince pour un pouilleux

Qui n'a pourtant rien de merveilleux.

Son pĂšre veut pour elle un beau mariage

Voilà qu’elle menace de fuir le village

Broderie, brodera


Et son pÚre, de lui répondre en colÚre

Mon enfant, tu fais honte Ă  ta mĂšre,

Si tu persévÚres, nous irons voir la sorciÚre..."


Lasko :

Le bip révélateur de la mine fige Lasko mais il se surprend à parler avant d'avoir pleinement réfléchi. Les réflexes. Ou l'habitude.

"Bouge pas Vladek."

Lentement il va s'accroupir Ă  proximitĂ© de l'autre et fouille prudemment l'humus jusqu'Ă  dĂ©gager le sommet de l'engin. Il n'a pas particuliĂšrement envie de vĂ©rifier si c'est rĂ©ellement une mine ou une de ces saloperie dont la forĂȘt a le secret : 50% vĂ©gĂ©tal, 50% explosif, 100% mortel.

"PMN"

Un des multiples dons de l'ingĂ©nierie soviĂ©tique Ă  la Terre. Pas moyen de savoir qui exactement l'a laissĂ©e lĂ . Pour ce qu'il en sait, elle pourrait mĂȘme avoir poussĂ© lĂ  d'elle mĂȘme. Il grimace un sourire qui se veut rassurant Ă  son compagnon de fortune (ou d'infortune) et se met au travail.

"T'inquiĂšte pas Vladek, c'est pas un ours, t'as rien Ă  craindre."

IntĂ©rieurement il a des doutes sur comment il va pouvoir dĂ©samorcer l'engin avec juste un couteau et une aiguille. Si seulement il avait plus d'outils, mĂȘme une simple clef anglaise serait plus efficace. Ou peut ĂȘtre juste l'expertise de Luka pour tout ce qui est mĂ©canique.


Vladek :

Pris de panique, Vladek gueule dans son Ă©metteur radio :

"On recherche d'urgence Luka Horvat, démineur, au Spomenici des deux ailes érigé en l'honneur de Tito et de la glorieuse utopie socialiste ! Un démineur siouplait ! Snirfl... C'était Vladek le Pouilleux pour Radio Frondaisons... Et maintenant un disque..."

Presque robotiquement, le pouilleux pousse l'aiguille de son poste ambulant sur le seul vinyle qu'il possĂšde et qu'il passe en boucle sur Radio Frondaisons : La Bamba.

Para bailar la bamba
Para bailar la bamba se necesita
una poca de gracia
Una poca de gracia y otra cosita
Ay, arriba y arriba

Et pendant que Vladek prie tous les dieux qu'il connaisse, de Jésus Cuit à Papa Slobodan Milosévic en passant par Abdul Al-Hazred, toute sa vie défile devant ses yeux. ou du moins une partie de sa vie qu'il avait oublié.

Il est plus jeune, du moins il croit. Et il est dans sa cabane, il montre Ă  la plus belle fille du village comment fonctionne l'aiguille de son grammophone. La Bamba commence Ă  jouer sur un ton aigre, une broderie de sons nostalgique et infiniment exotique, le dernier parfum de l'Âge d'Or, qui les entraĂźne dans un pays oĂč ni les hommes ni la nature ne seraient fous. Et Vladek ne s'en rend mĂȘme pas compte tellement Ă  ses yeux ça relĂšverait de la science-fiction, mais la brodeuse est fascinĂ©e par le spectacle.

Alors Vladek lui offre en cadeau un de ses poux. Une minuscule créature toute de métal faite.

Dans sa transe de mort imminente, il se pourrait bien que Vladek ait évoqué ça à haute voix dans le poste, sur fond de musique latino du temps passée.


Luka :

Le banal petit transmetteur FM continuait de crachoter sporadiquement quelques sons, signes d'une activitĂ© intrigante... Lointaine. S'il avait gardĂ© la machine en main, c'est qu'elle avait une connexion presque synaptique avec sa psychĂ©e. Ce qu'il ne comprenait pas le moins du monde, obnubilĂ© par sa quĂȘte de diodes et de bips, de frouch et de lumiĂšres.

MĂȘme pas peur, t'sais Boss. T'as pas Ă  flageller des guiboles, l'jour ou j'abandonnerais l'macadam pour devenir l'machab, c'est pas demain. J'aime trop ma piaule pour ça.

Si mon flaire est bon, j'aurais d'quoi bidouiller les six prochains mois. Et j'pourrais te mettre un peu de graisse de coté pour ton canon. 'vec les rationnements, ça devient chaud quand un horlà s'balade un peu trop hors d'la zone.

Et de broder un peu pour emballer son projet complétement fou, sans aucune autre trace concrÚte qu'une vague intuition dans une vague direction. La curiosité l'avait piqué, et des crachotis de la radio qui restaient ... c'etait un beau bordel, et dans les cendres il y aurait de la maille à se faire. Sauf que d'un coups, son nom gueule.


Ouais euh... Visiblement, j'aurais un peu plus Ă  faire que de ratisser de l'archeotech.

Des poux de metal... franchement, z'etaient pas assez pénibles comme ça..

Il secoue la tĂȘte, dubitatif.


Olga :

Heilung - Ofnir

(Musique : Carpatian forest - Heilung)



****

Le dernier parfum de l'Âge d'Or, qui les entraĂźne dans un pays oĂč ni les hommes ni la nature ne seraient fous... Un parfum surannĂ© de libertĂ© et d’insouciance que la jeune fille respire jusqu’à l’ivresse, celle de la jeunesse quand on croit encore que le monde entier peut ĂȘtre Ă  nos pieds. En dĂ©pit de ses pommettes rougissantes, elle s’émerveille devant ce trĂ©sor dont le nom lui Ă©chappe, mais semblant ĂȘtre alors de nature divine. Elle minaude et danse d’un pied sur l’autre. Tournoient, tournoient ses jupons patiemment brodĂ©s Ă  l’aiguille, tandis qu’un rire s’extirpe de ses lĂšvres ! Les paroles sont sibyllines, l’air est gai, et le refrain s’entĂȘte Ă  rester cloĂźtrĂ© dans l’oreille jusqu’à s’infiltrer dans les mĂ©andres labyrinthiques de son cerveau.


[Tu es le magicien des sons nostalgiques, Vladek le pouilleux !]

Les mots dĂ©jĂ  prononcĂ©s autrefois reviennent, teintĂ©s de maladresse en s’étoilant Ă  travers la radio, Ă  travers l’esprit quand vient la transe hypnotique Ă  laquelle elle s’accroche avec la pugnacitĂ© d’un ours enragĂ©.

SubjuguĂ©e, Olga la brodeuse boiteuse n’a conscience de rien, pas mĂȘme de son corps qui se meut en une danse erratique et grotesque. Encore moins de se mettre Ă  courir enfin, presque libĂ©rĂ©e de ses chaĂźnes cahin-caha et clopin-clopant, telle la bĂȘte immonde voĂ»tĂ©e qu’elle est devenue. Bien moins gracieuse et rapide qu’un lynx, de s’enfoncer dans la forĂȘt aux arbres difformes. Des arbres dont les troncs ne sont qu’ébauches de corps sans tĂȘte, esquisse d’une humanitĂ© statufiĂ©e en dĂ©suĂ©tude. Des arbres dont les feuillages ne sont qu’amas de membres Ă©pars sans logique, de yeux globuleux s’agitant en tous sens pour mieux lorgner Ă  travers les brumes dĂ©lĂ©tĂšres ceux assez vivants pour finir dĂ©vorĂ©s et digĂ©rĂ©s par les grappes buissonneuses de bouches putrides.

Dans cette cage vĂ©gĂ©tale hallucinatoire, Olga se raccroche au fil infime devant la mener au Spomenici des deux ailes. Elle avance, trĂ©buche, rampe parfois Ă  mĂȘme la terre dĂ©trempĂ©e qui chuinte de sinistres litanies, en Ă©vitant autant que possible les pernicieuses fleurs de gloire et autres mines, se relevant Ă  nouveau avec pour seules armes sa curiositĂ© innĂ©e, le sentiment d'urgence, ainsi que cette brĂšve rĂ©miniscence


Mais qu'en dira le karma de tout cela ?


Lasko :

Dans l'effort, personne ne ment mĂȘme Ă  soi mĂȘme. Lasko n'a aucun souvenir de qui lui a un jour dit ça. Est ce qu'on le lui a rĂ©ellement dit d'ailleurs ? Est ce qu'il l'aurait lu ? rĂȘvĂ© ?

Dans tous les cas, force est de reconnaĂźtre la vĂ©ritĂ© : alors qu'il s'Ă©vertue, tĂątonnant de la pointe de l'aiguille qu'il vient de rĂ©cupĂ©rer entre les fils, le boitier et l'espĂšce de croisement improbable entre racines et mĂ©tal, il est contraint de reconnaĂźtre qu'il n'est mĂȘme pas capable d'ĂȘtre sĂ»r de ce qu'il fait.

La pointe de l'aiguille se presse, se faufile, glisse entre les cĂąbles et finit par s'enfonce quelque part dans les entrailles de la mine. Un claquement mĂ©tallique retentit, assourdissant aux oreilles du mercenaire qui ne peut s'empĂȘcher de retenir son souffle.

Rien ne se passe. Il relĂšve la tĂȘte avec un sourire crispĂ©.

"Je crois que c'est bon Vladek. Tu peux lever le pied de lĂ ."

Et il s'essuie le front d'un geste machinal, inconscient de la goutte de sĂšve et d'huile mĂ©langĂ©es qui se mĂȘle dĂ©sormais Ă  la sueur qui ruisselle sur son visage.


Vladek :

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Mass V, par Amenra, post-hardcore incantatoire scandé en l'honneur du Dieu-Corbeau.

Vladek se pisse dessus de trouille. Peut-il faire confiance aux talents de démineur de Lasko ? Deux minutes avant, le mercenaire avait dit qu'il fallait s'en remettre au mécano Luka Horvàt... Est-ce qu'il a voulu faire le job à sa place pour faire le bravache, mettant la vie du Pouilleux dans la balance ?

Vladek se voit déjà la jambe arrachée, rejoindre la Horde des Mutilés...

Il a l'impression que son pied pĂšse des tonnes, comme le pied-bot d'Olga...

Qu'il voit arriver, sortant de la forĂȘt hybride et dĂ©mente, entre les deux ailes du Spomenici, une apparition du passĂ© dans la brume, un ange dĂ©chu, oui dĂ©chu, maintenant elle n'est plus que le souvenir de la femme qu'elle Ă©tait, engoncĂ©e dans un socle de semelles de mĂ©tal... une Ăąme de toile greffĂ©e Ă  un fer Ă  repasser.

Par lĂ  rĂŽde le lynx. Animal furtif et fier. Il sait qu'il va peut-ĂȘtre avoir bientĂŽt Ă  manger.

A la vue de la brodeuse, Vladek ne fait mĂȘme pas attention Ă  son changement d'apparence. Il court dans sa direction. Il dĂ©chausse son pied de la mine sans rĂ©flĂ©chir.

Et la mine avait bien été désamorcée. Que Lasko ait payé son exploit au prix d'une inattention, d'une contamination par l'huile noire, ça Vladek n'en a aucune conscience.

Sauf que voilà un bruit de pétarade, un buggy d'un autre ùge, rafistolé de partout, couvert de toile de camouflage militaire, piloté par un type à la mine dure qui manipule le volant tout en bricolant son véhicule à la clef anglaise... Suivant son appel, Luka Horvàt est bien venu.

Et Vladek, qui n'a pas grand-chose dans son crĂąne de piaf, sait quand mĂȘme une chose. Quand arrivent les fils de Belgrade, les ennuis commencent.


Olga :

C’est d'un regard hagard que la croisĂ©e des destins se dĂ©voile Ă  Olga. Olga aux pattes folles, haletante aprĂšs l’immense effort Ă  traverser seule une jungle mutante dont le vĂ©nĂ©fice se distille Ă  travers les moindres pores du monde et des Hommes.

À peine le temps de reprendre son souffle – un peu moins ses esprits ! – qu’un buggy pĂ©taradant Ă©merge de l’horizon semblable Ă  un effrayant monstre de mĂ©tal ou vil horla technologique. On la ferait passer par le trou d’une aiguille tant elle ne trouve rien de mieux que d’aller instinctivement se cacher derriĂšre Vladek, comme s’il Ă©tait l’ultime rempart magique contre la fatalitĂ© et les ennuis avec ses sons nostalgiques.

Et ses deux orbes ternis, oĂč brĂ»le nĂ©anmoins la flamme Ă©vidente d’une curiositĂ© mal contenue mĂȘlĂ©e Ă  de la peur viscĂ©rale, retombent sur Lasko au minois souillĂ© par l’emprise croit-elle. Un index Ă©merge, crochu Ă  l’ongle sale et ensanglantĂ©, pour pointer le mercenaire


"Le mal a dit ! Le mal a dit !"

A croire qu’elle lui jette un sort de sa voix Ă©raillĂ©e ! Nonobstant l’incongruitĂ© de ses propres rĂ©actions et propos dĂ©cousus - ce qui est tout de mĂȘme un comble pour une brodeuse ! - elle passe du coq Ă  l’ñne ou du lynx Ă  l’ours barbu et Ă©dentĂ© pour enfin se figer, prenant le temps de le dĂ©visager avec ses grands yeux qui lui mangent le visage... Comme pour mieux exorciser l'angoisse ou providentiellement faire disparaĂźtre toute menace.

Et c'est peut-ĂȘtre bien Ă  ce moment prĂ©cis que la perspective d'un succulent festin attire effectivement, petit Ă  petit et Ă  pas feutrĂ©s, un Ă©trange fĂ©lin Ă  trois tĂȘtes. Aussi fourbe soit-il, le voilĂ  qui se glisse discrĂštement entre les troncs sans se dĂ©voiler trop vite, cherchant le meilleur angle d'attaque pour fondre sur sa proie... Bien que plusieurs ne seraient pas pour lui dĂ©plaire !


Luka :

Et ça péta-parade sur le cheval vapeur, bondissant les collines boisées comme un lynx rugissant. Dedans, le bon vieux mécano, qui armé d'un pistolet d'alerte vétuste, et prompt à lui faire perdre quelques doigts, se ramÚne, le destin aidant l'aiguillant droit dans la gueule du loups. Un champs de mine. Comme un éléphant dans une souriciÚre.

Il descend de son engin de mort, inconscient que la bĂȘte reluque dans l'ombre. Elle reluque, de ses trois tĂȘtes avides, quelle serait la proie la plus curieuse qui donnera sa langue au chat.

"Qui est l'gazier qui me connait ?"

dit l'homme mal dĂ©grossi encore tachĂ© d'huile. Probablement un oubli. N’empĂȘche qu'il est bruyant, armĂ©, et un peu fini Ă  la pisse cotĂ© subtilitĂ©. Le regard s'Ă©garant sur la scĂšne, d'un air peu amĂšne. C'est que ça doit briller, non ? Ca brille toujours dans les vieux films.

Mais le lynx tricephale, possedait-il une curieuse clé en forme d'aiguille ? continue de guetter, et s'approcher du plus isolé, du moins menacant... du plus discret, tranquille, bref de la proie idéale.

Il vient pour Lasko. Comme aimanté.


Vladek :

Surgi des replis bulbeux de la forĂȘt mutante, le lynx aux trois tĂȘtes se rue vers Lasko.

Il a mangé des ùmes et ses trois gueules parlent avec les voix qui accusent le mercenaire :

"Lasko, mercenaire des fils de Belgrade, tu m'as tué parce que j'avais volé une miche de pain.

Lasko, sectateur de l'Ă©vĂȘque en Jaune, tu m'as tuĂ© parce que je ne faisais pas le signe de la croix comme ton culte le voulait.

Lasko, sniper de Sarajevo, tu m'as tué parce que tu avais peur de m'aimer."

Qu'il dise la vérité ou qu'il mente, les voix du lynx font aussi mal que ses mùchoires quand elles se referment sur le bras du mercenaire.

Vladek Ă©crase son poste de radio sur les tĂȘtes du monstre, qui s'affale assomĂ© sur les herbes qui poussent Ă  travers le sol dallĂ©.Toute sa machinerie a bien l'air HS maintenant.

"Courons, maintenant, traversons la forĂȘt de l'ours noir par-delĂ  le panneau au trĂšfle nuclĂ©aire, allons rejoindre la Horde des MutilĂ©s puisque c'est le but de Lasko et que c'est ton but, Olga. Maintenant, je ne te laisse plus filer, je te suivrai. Puisque ma radio est foutue, il me faut une autre raison d'avancer."


Lasko :

Vu le poids de l'engin que le radiophoniste vient de casser, Lasko doute que la crĂ©ature s'en relĂšve mais il est prudent et ne s'en approche pas malgrĂ© la curiositĂ© qui le dĂ©vore. Il hoche la tĂȘte vis Ă  vis de son compagnon de galĂšre et dĂ©signe le buggy encore fumant.

"On peut pas se caser Ă  quatre lĂ  dedans ? moins discret mais au point oĂč on en est .. ça permettrait peut ĂȘtre de gagner un peu d'avance."

Pas qu'il soit convaincu que l'engin, aussi efficace qu'il puisse ĂȘtre (ce dont il doute lĂ©gĂšrement vu l'aspect extĂ©rieur), soit rĂ©ellement plus rapide si ils doivent s'enfoncer dans la forĂȘt, mais il n'aime pas l'idĂ©e d'abandonner une ressource derriĂšre lui si elle est encore utilisable. On ne sait jamais. Et ça lui Ă©vite de trop rĂ©flĂ©chir aux paroles du lynx. Ou est ce qu'il a simplement rĂȘvĂ© l'avoir entendu parler ? Lasko se sent soudainement fatiguĂ©, sans doute Ă  cause de la douleur qui irradie de son avant bras gauche tumĂ©fiĂ© Ă  travers les vĂȘtements de protection par la puissance des mĂąchoires de la crĂ©ature, ou peut ĂȘtre Ă  cause de la migraine lancinante qui commence Ă  se faire sentir et le fait cligner des yeux comme un lynx Ă©bloui. Il hausse les Ă©paules et se tourne vers les nouveaux venus.

"Olga. Luka. Qu'est ce que vous savez de la Horde ?"


Olga :

Olga assiste Ă  la scĂšne, dĂ©contenancĂ©e et plus terrorisĂ©e encore, lorsque les voix Ă©mergent des gueules d’un lynx tricĂ©phale enragĂ© comme un cerbĂšre affamĂ© ! Elle en serait presque Ă  applaudir quand enfin le valeureux ours met la pĂątĂ©e au monstre.

Il faut un moment Ă  l’éclopĂ©e pour reprendre ses esprits, se contentant de hocher la tĂȘte
 Cependant, de fil en aiguille, lui revient quelque chose face Ă  la radio HS.

«Mais ton rĂȘve est noble et tu ne peux l’abandonner pour moi, Vladek ! Peut-ĂȘtre pourras-tu nĂ©gocier la boĂźte Ă  paroles de l’impĂ©tueux Janko ? Il ne prend pas vraiment soin des trĂ©sors de l’Age d’Or qu’il trouve
 Je t'aiderai.»

À la question de Luka HorvĂ t, Olga pointe lĂ©gĂšrement du menton Vladek avant de se pointer elle-mĂȘme de son propre index crochu.

« Mais je ne me souviens pas d’oĂč, ni de quand. L’oubli ronge mon esprit de mal en pis. Ton nom rĂ©sonne pourtant comme un Ă©cho familier. »

Et sans plus attendre, d’essayer de grimper dans le buggy pour Ă©chapper au lynx qui pourrait se rĂ©veiller Ă  tout moment, invitant les autres Ă  faire de mĂȘme, non sans avoir prĂ©cĂ©demment jaugĂ© Lasko et son bras blessĂ© un bref instant.

« Nous essaierons de rĂ©pondre Ă  toutes tes questions en route
 Le temps manque pour te rapiĂ©cer Ă  l'intĂ©rieur mĂȘme si je pressens que ce n'est pas lĂ  ton but.»


Luka :

L'oeil fou, il voit le geste. La radio qui vole, le bruit horrible de la technologie qui se casse et se fracasse. Un regard noir vise l'auteur de cet attentat à la technologie. Qu'importe si ce petite monde grimpe dans le tonnerre mécanique, il ne peut laisser cette piece de technologie sur place, à la merci de cette abomination.

L'oeil saute d'un individu Ă  un autre, chacun pensant trouver sa place dans son Ă©quipe. La horde ? Que diable ces pitoyables excentriques pourraient Ă  voir avec lui, le MĂ©cano de Belgrade ? Et pourquoi ces visages ont autant d'Ă©chos ? Comme l'echos d'une radio distante.

Fallait qu'il recupere les restes. C'etait impérieux, et son pistolet d'alerte, cette petoire instable, pourrait repousser le lynx le cas échéant.
D'ailleurs il fonce dĂ©jĂ  dessus, heureusement qu'il n'y a pas tant Ă  franchir. Qu'il recupere le materiel dĂ©truit. Est-ce une victoire, alors qu'elle n'est plus qu'un tas de fĂ©raille sans Ăąme ? Possible, Ă  voir si la forĂȘt le voit ainsi.

N'empeche qu'il va falloir penser Ă  reprendre la bagnole. Avec des passagers. Apparemment.


Lasko :

Lasko reste figĂ©, partagĂ© entre l'envie de secouer la tĂȘte pour se dĂ©barrasser de la migraine qui martĂšle son crĂąne et celle de la hoche en signe d'assentiment. Il finit par dĂ©cider de ne rien faire, tout du moins jusqu'Ă  ce que le pilote du buggy se prĂ©cipite vers le corps du lynx pour y rĂ©cupĂ©rer le tas de ferraille qui servait de radio. Ses rĂ©flexes prennent alors le pas et il se retrouve avec une arme dĂ©gainĂ©e braquĂ©e sur la carcasse de la crĂ©ature inconsciente, prĂȘt Ă  faire feu si elle fait mine d'attaquer le dĂ©nommĂ© Luka. Et tant pis pour le manque de discrĂ©tion de ce genre de rĂ©action.

Un ricanement bref lui Ă©chappe.

"Je pense pas que je sois rapiécable, Olga la brodeuse, mais j'apprécie ton aide. Si je peux te rendre la pareille je le ferai."

Il marque une courte pause, l'esprit encore secoué par les déclarations du lynx tricéphale, avant de finalement poser la question qui le taraude alors qu'il fouille vainement sa mémoire effilochée comme une broderie fanée par le temps.

"Est ce qu'on s'est déjà connu ?"


Vladek :

Luka ramasse le prĂ©cieux radio Ă©metteur en miettes, alors que le lynx se redresse comme un mort-vivant, et une de ses gueules fonce droit vers la gorge du mĂ©cano en glapissant : "Maudit sois-tu Luka HorvĂ t, tu m'as abandonnĂ©e au service de reproduction de Belgrade, moi ta bien-aimĂ©e !". Est-ce que Lynx raconte des mensonges destinĂ©s Ă  faire plus mal qu'une simple morsure, oĂč est-ce le vrai passĂ© du mĂ©cano qui revient le hanter ? Il n'a pas d'autre choix que d'Ă©paule et tirer sur la bestiole avant de se faire bouffer. La pĂ©toire est HS et la bĂȘte s'Ă©croule dĂ©finitivement sur les pavĂ©s. L'huile noire qui lui sert de sang s'Ă©panche entre les interstices herbues du dallage, entre les deux ailes de l'orgueilleux Spomenici.

HorvĂ t dĂ©marre le buggy, et ils traversent la forĂȘt de l'ours noir. Des grappes de grenades pendant des branches des arbres, et un vent insidieux colporte la rumeur stridulente des horlas sonores qu'on appelle les Dushani, Ă©chos des alertes aux bombardements, pleurs des victimes ou chants folkloriques de jadis, tous ces bruits sont chargĂ©s d'une nostalgie aussi fascinante que glaçante et dangereuse.

Le buggy fait des embardées dans les sentiers cahoteux entre les arbres sans forme, Luka évite chaque mine de justesse.

Vladek aperçoit une lumiÚre entre les arbres. Son instinct lui dit que c'est le genre de chose qu'il faut craindre plus que tout, plus que les ours. Il tente de protéger Olga de son corps, mais cette fois-ci il n'est pas assez rapide. Olga est touchée par la balle d'un sniper.

Il y a quelque chose qui perce le coeur de Vladek, comme une aiguille de douleur mentale.

Perché dans les arbres, un enfant en jogging défraßchi, armé d'un fusil Mauser allemand équipé d'une lunette de visée.


Olga :

(Atrium Carceri - Childhood I)

****

Si les souvenirs s’effilochent tous les trois ans, alors la vie est peut-ĂȘtre une bobine de fil dĂ©roulĂ©e lorsque des morceaux Ă©pars resurgissent, et dont la mort serait la clef. Cette derniĂšre s’agrippe, s’accroche Ă  Olga. La premiĂšre fois avec l’accident, cette fois-ci avec une balle qui la percute de plein fouet. Une fleur de sang Ă©clot, mais plutĂŽt que de l’empĂȘcher, sa menotte cherche la main de Vladek.

Et son petit livre Ă  souvenirs brodĂ©s chute d’une poche Ă  ses pieds, ouvert sur une page d’étoffe reprĂ©sentant deux bambins en train de jouer au cƓur d’un village bercĂ© par la saison morte. Les points de broderie sont lĂ  assez grossiers, les motifs sont simplets, naĂŻfs, comme un dessin d’enfant. Peut-ĂȘtre bien que le dĂ©lire la reprend l’espace d’une poignĂ©e de secondes tandis que retombe son regard sur Lasko, et qu’elle chantonne comme pour rĂ©pondre Ă  la question.

"Shmenka a fauté, Shmenka a fauté !

Dans le lit d’un homme mariĂ©, elle s’est retrouvĂ©e

Avant que ne vienne le ventre rond, le ventre rond

Broderie, brodera, broderons les p’tits napperons

Et l’on dit quand l’enfant naquit qu’il Ă©tait, qu’il Ă©tait

Au village,le moins laid de tous les p’tits garçons

Mais pour garder le secret de cette honteuse filiation,

Shmenka dût voler toutes ses dents de lait, toutes ses dents de lait
"

Et la suite ? Et la suite ? Ne seraient-ce pas que des ragots ? Elle craint de la connaĂźtre quand revient ce sentiment de culpabilitĂ©, de remords et de regrets la mordant aussi fort que les paroles prononcĂ©es par le lynx. Comme pour occulter la terreur grandissante d’une mort imminente, ses yeux pleins d’amour et de tristesse reviennent sur Vladek

« Ne m’oublie pas, ne m’oublie plus
 C’est avec toi que je voulais me marier
 Si jamais, rĂ©alises ton rĂȘve et sois heureux
 S’il te plait. »

Point le temps de tergiverser alors que Luka donne un sec coup de volant pour frapper l’arbre de plein fouet en faisant choir le gamin de son perchoir. amplifiant ainsi le mal de crĂąne du mercenaire comme si une clef anglaise avait volĂ© pour le heurter...


Lasko :

Enfin.

Perdu dans ses pensées ou plutÎt sa lutte acharnée pour glaner quelques bribes de souvenirs, Lasko n'avait pas vu le tireur mais il accueille la détonation du Mauser avec ce qui est presque du soulagement. Ses réflexes jouent à plein et le revolver passe presque instantanément de son étui à sa main. Une flexion de l'index et un premier projectile est projeté à plus de 400 mÚtres seconde en direction de l'arbre. Et un deuxiÚme, chacun accompagné d'un grondement qui semble servir de contrepoint à la chanson de la brodeuse.

Toujours tirer en riposte ne serait ce que pour donner Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  l'adversaire. Lasko ne se souvient plus de qui a pu lui dire ça mais cela ne l'empĂȘche pas d'appliquer le prĂ©cepte Ă  la lettre. Les deux premiĂšres balles n'ont rien endommagĂ© d'autre que des arbres Ă  la sĂšve couleur de sang mais il a dĂ©sormais le temps de viser et la troisiĂšme vient frapper le gamin en plein ventre quelques instants avant que le buggy ne heurte l'arbre de plein fouet.

Lasko s'immobilise devant le corps du gamin, muet une nouvelle fois et comme si il avait Ă©tĂ© lui mĂȘme frappĂ© alors qu'il fixe le visage de sa derniĂšre victime. A part une poignĂ©e d'annĂ©es en moins, c'est exactement celui qu'il voit chaque fois qu'il est confrontĂ© Ă  un miroir.


Luka :

Il conduit, comme un dĂ© ratĂ©. L'aiguille pointe au nord, et le lynx n'est plus qu'un souvenir epars. De mĂȘme que l'arme si prĂ©cieuse qu'il avait du sacrifier pour un tas de breloques sans doute inertes. La tĂȘte pleine de ses doutes, de ses questionnements, il rate le coche quand l'un de ses passagers se blesse. Du sang.


Le véhicule fait une embardée, cogne un arbre. Apparemment, il contenait le tireur mal avisé, mais coïncide avec une vengeance sans amertume. Mais du sang, dans son buggy... Ce liquide organique, et pourtant ferreux. Quelque chose lui dit que ce n'est pas normal, mais celà fait si longtemps qu'il a oublié les premiers soins.

Et puis... sa compagne... compagne ? Il a dĂ©jĂ  besognĂ© comme on vidange une rĂ©serve. Fait son devoir citoyen, dans les Incubateurs. Mais c’était il y a si longtemps, il ne sait mĂȘme plus si ce fut rĂ©crĂ©atif. Alors y avoir une compagne... Non ? Oui ? Et si oui, Ă©tait-ce grave si le SystĂšme le demandait ?

Mal de crane. Smenka chantait, oyé oyé oyé.

"Radiophilamorniste, ne meurt pas. J'ai besoin de toi pour comprendre." dit la voix bourrue, rare signe d'humanité. Ou pas.

Il sort du véhicule, et s'approche de l'enfant. D'un geste, il prélÚve la dime. A lui l'arme à feu. Belgrade ne jette rien. Pas un regard sur ce qui était une promesse plein d'avenir, la mort est. Pourtant celà resiste, le souffle n'est pas encore parti. Bientot. Il force.

Sauf que les coups de feu et les chocs ont forcement attirés l'attention des charognards.


Vladek :

Et en effet, voilĂ  qu'arrive l'ours noir.

Ce n'est pas le monstre fantastique qui s'en est pris Ă  eux au Spomenici, c'est lĂ  un ours trĂšs ordinaire, famĂ©lique mĂȘme, pouilleux, infestĂ© de vers intestinaux qui pendent de son arriĂšre-train.

Il est sorti de l'aisselle des arbres comme de nulle part, comme si sa présence était toute logique. Karmique.

Luka s'échine à faire redémarrer son engin mais déjà l'animal est sur eux. Lasko épaule son arme, mais Vladek le retient : "Celui-là, il est pour moi. C'est mon ours, c'est mon destin."

Il embrasse Olga sur le front en Ă©treignant trĂšs fort ses deux tempes avec ses mains aux ongles noirs. Il essuie ses larmes avec ses manches crados.

Il marche droit sur l'ours. Il tend le bras pour lui caresser le museau.

L'ours grogne de surprise. Vladek passe sa main sur son mufle, l'animal se calme.

Puis l'ours lui arrache le bras ! Il a pris son dĂ» !

Le Pouilleux hurle alors que les autres le remontent dans le buggy. Voilà que Lasko a trois mourants à son bord ! Il devient urgent de regagner la Horde des Mutilés ! Le remÚde universel de Vuk Rustovic semble le dernier recours pour eux. Tout repose sur les capacités de pilote du mécano serbe.

Sur le corps de Vladek, les nano-puces s'affolent. Elles perdent une huile noire.


Olga :

Au son des armes, la boiteuse tressaille. Des larmes roulent sur ses joues.

« Il ne fallait pas tuer le gamin
 Tu as les mains tellement sales, Lasko le mercenaire ! Cela me revient, maintenant
 Souviens-toi de Zlatan le placide... Il avait justement assez de mains pour voler bien plus... Mais n’a pris qu’une simple miche de pain... Pour nourrir sa famille alors qu’il faisait faim et froid... Mais tu l’as tuĂ©... PrĂšs de Belgrade.»

Et la scÚne déroule son fil entre les esprits reliés.

Une scĂšne qui coupe net lorsque le charognard Ă  la gueule bĂ©ante Ă©merge des ombres avec ses terribles crocs, plus pointus encore qu’un essaim d’aiguilles. Olga tend une main, espĂ©rant empĂȘcher Vladek de le combattre, mais la fatalitĂ© veut qu’il affronte son destin. D’une voix pressante et suppliante, mais toujours aussi faible, interpelle-t-elle enfin l’homme qui a leurs vies entre ses mains.

«Luka HorvĂ t... il faut y aller maintenant... Peut-ĂȘtre trouveras-tu ce que tu cherches auprĂšs de la horde des mutilĂ©s
 S’ils nous laissent entrer...»

Les mots restent en suspens car la douleur et le sang qui s’écoule la font vaciller. Tout juste a-t-elle le temps de remettre une de ses fameuses aiguilles Ă  Vladek, magiques parait-il. Ragots ou non, Ă  cet instant, la brodeuse serait bien incapable de le dire.

« Pour te rapiĂ©cer
 »

Ce sont dĂ©sormais des pleurs dĂ©chirants de bĂ©bĂ© Ă  la provenance incertaine qui rĂ©sonnent Ă  travers la forĂȘt; des pleurs qui se rapprochent, s’éloignent, deviennent insistants



Lasko :

Lasko recharge le barillet de son revolver sans s'en rendre compte. Les mains sales ? il jette un coup d'oeil machinal aux traces de sang, de graisse et d'huile qui les souillent mais quelque chose lui dit que ce n'est pas ce que la blessée a voulu dire. Il finit par hausser les épaules, toutes ses pensées tournées vers le visage du gamin, essayant désespérément et vainement de savoir si il le connaissait vraiment ou si c'est juste la maladie, ou pire encore, qui le fait halluciner.

Comme en réponse à ses questions, la migraine se fait plus forte, plus lancinante et la larme qui coule du coin de l'oeil du mercenaire est noire. Il l'essuie d'un revers de main, inconscient ou indifférent à ce que cela signifie, et se hisse à cÎté des deux blessés dans le buggy, s'efforçant de limiter les blessures, posant garrot et pansement.

"Allez Luka, sors nous de lĂ  ! ou qu'Aforgomon fasse rouiller ton engin."


Luka :

Une barre de métal se loge dans le front du mécanicien, une migraine comme on en fait peu. Le nombre de blessés ne cesse d'augmenter et avec lui, la pression sur les épaules du conducteur avide de technologie. Il n'y a pas fallu un instant avant de voir ce bras disparaitre, et la gerbe s'en suivre. Gerbe de sang, mais aussi de vomi sur le sol.
Zlatan, zlatan... une image futile s'envole.
Elle l'aiguille sur de bons rails, en prononçant son nom. Il se rassenere, et accepte la quĂȘte hasardeuse de rejoindre la horde des loqueteux. Encombrant espoir. L'ignorance est grande.
Et le tonnerre mécanique redémarre, vrombissant comme un animal blessé et crachant sa fumée noire en une trainée malsaine et pourtant reconfortante. Elle bondit dans une vitesse folle, évitant les pieges et cherchant une procession sans doute bruyante, mais infime dans l'immensité.
Pourtant, des carillons se font entendre. Des bruits divers, d'une activité humaine si l'on puit dire. Il est dommage que celà se conclut par un bruit violent, petaradant comme un coups de feu. La vetuste machine souffre elle aussi le martyr, et s'arrete là. De quoi occuper le mecanique alors que la procession a pris conscience d'eux..
La file de tĂȘte semble se detacher d'un membre, venant Ă  leur rencontre. Membre est le mot juste, tant son humanitĂ© fait debat. Mais ... des membres, si, il en a. ImprobabilitĂ© ambulante.


Vladek :

Playlist : White 1, par SunnO)))

Le buggy rend l'Ăąme mais il a rendu le service qu'il devait rendre : conduire tout ce beau monde Ă  la Horde des MutilĂ©s. Que pour ça, Luka ait dĂ» accĂ©lĂ©rer sans tenir compte des cris de bĂ©bĂ© qu'on entendait, et du nouveau-nĂ© ou fantasmatique qui a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© abandonnĂ© dans la forĂȘt de l'ours noir, et bien tout a un prix.

Le savoir-faire de la brodeuse va ĂȘtre mis Ă  rude Ă©preuve puisque cette fois c'est des corps qu'elle a Ă  ravauder. Vladek est empli de douleur et de dĂ©sespoir, et ça dĂ©borde sous la forme des larmes qui inondent ses joues et de la morve qui coule de son nez. Mais il est auprĂšs de son aimĂ©e. Peut-ĂȘtre vont-il mourir ensemble Ă  dĂ©faut d'avoir pu vivre ensemble.

L'ĂȘtre qui a accueilli le buggy a des membres, en effet. Il en aurait mĂȘme plutĂŽt trop. La chose-araignĂ©e qui fut un homme se prosterne devant les dĂ©bris du poste de radio-Ă©metteur : "Radio Frondaisons... La voix de la forĂȘt qui nous apporte les ragots et la bamba... La voix qui nous parle..."

Plusieurs mutants s'attroupent autour du buggy. Visiblement, Radio Frondaisons a un grand audimat dans la Horde.

Des yeux torves et des gueules cassĂ©es, des robes de bure en haillons et des corps dĂ©glinguĂ©s, toute la horde boĂźtillante et gibbeuse est lĂ . Roulottes en vrac, fumantes de vapeurs de graillon, chevaux dĂ©charnĂ©s aux mĂąchoires qui grincent, banniĂšres dĂ©chirĂ©es claquant au vent, chariottes chargĂ©es de branches mortes, d'humus et de champignons glanĂ©s dans la forĂȘt, et des marmots qu'on ferait mieux de cacher, la horde s'avance avec joie et laideur sur les routes minĂ©es, sans peur aucune. Le grand palanquin s'arrĂȘte et en descend leur guide Ă  tous.

Un homme dans une robe blanche trÚs simple, le crùne rasé avec un bourrelet qui indique une probable opération du cerveau par sarcomantie (l'art de manipuler la chair). Il porte ses deux instruments sacrés : la vasque d'huile noire qui porte le trÚfle nucléaire, et le goupillon.

"Bienvenue à la Horde des Mutilés. Je suis Vuk Rustovic. Vos corps sont abßmés et je vais vous réparer. Toi d'abord, Olga la brodeuse, si tu veux bien, puisque tu attends cela depuis si longtemps."


Lasko :

AprĂšs avoir fait son possible pour rapiĂ©cer ses compagnons de route, Lasko est restĂ© prostrĂ© pendant le reste du voyage, essayant dĂ©sespĂ©rĂ©ment de relier les lacunes restantes dans la broussaille d'oubli qui envahit son cerveau. L'arrĂȘt brutal du buggy agonisant le sort de sa torpeur et il contemple avec une stupĂ©faction non feinte le spectacle de la Horde. Dans une autre vie il aurait considĂ©rĂ© le convoi comme cauchemardesque mais il sait qu'il y a pire. Nettement pire.

"Tu vois Vladek, tu es une star ! c'est pas le moment de flancher et de mourir maintenant !"

Il glisse la main sous sa chemise, ostensiblement pour gratter son torse mais en réalité pour caresser du bout des doigts l'aiguille et la boßte que la vieille lui a donné. Il se demande si ça pourrait aider à le réparer. L'autre main vient effleurer machinalement la crosse de son revolver, cherchant le réconfort dans le contact familier du métal.

Cela lui donne du courage et il fait un pas en avant vers le guide.

"Qu'est ce que vous allez leur faire ?"


Vladek :

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Primitive and Deadly, par Earth, americana-psyché-drone, aventure sous mescal dans une nature hallucinée.

En guise de réponse, Vuk Rustovic claque des doigts et ordonne aux Mutilés : "qu'on apporte l'huile sacrée !" Une meute de pauvres hÚres en loques, gueules à moitié animales, des pinces en guise de main, des sabots en guise de pieds, poussent les massives roues de bois d'un chariot qui contient des bidons frappés d'un symbole Î combien connu et redouté : le trÚfle nucléaire.

Vuk ouvre un robinet fixé sur le bidon et l'huile noire se met à couler.

"Voici l'huile sacrée, collectée sous le Spomenici des deux ailes et dans certains autres sites qui jalonnent notre parcours. L'huile va guérir vos maladies et vos blessures, grùce à la force qui la gorge, une force que nous appelons l'emprise. Et l'emprise ne fera pas que vous guérir : elle vous donnera une nouvelle forme. Une forme plus adaptée à cet environnement qu'est Millevaux.

En vérité, je vous le dis. L'humanité est révolue. Une nouvelle espÚce va prendre sa place, grùce à l'huile."

Les Mutilés versent l'huile noire dans un bain. Puis deux d'entre eux s'approchent d'Olga pour la déshabiller.

"Olga, immerge-toi dans l'huile et le destin te guérira et te donnera une nouvelle forme."

Vladek tremble. Il regarde la brodeuse, il veut lui demander si elle est prĂȘte Ă  faire ça mais il en est incapable. Il regarde courir dans ses cheveux la nano-puce qu'il lui avait jadis offerte. Il se demande si un bon coup de clef anglaise d'HorvĂ t sur le crĂąne de Rustovic serait une solution Ă  tous ces problĂšmes oĂč si en fait, il a tort et que l'huile serait leur seule et unique chance...


Olga :

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Musique : Killshot - By the throat

Le véhicule entre dans le campement et la foule en liesse accueille Vladek. Les pleurs de bébé se sont éloignés, absentés, tus comme une nuée de voraces volatiles soudainement échappée de la voliÚre.

Surprenante foule que craint la femme moins arachnĂ©enne que leur monstrueux chef divinisĂ©, malgrĂ© les fils qu’elle croise et entrecroise Ă  volontĂ© et Ă  dessein lorsque l’instant le permet. Ne le permet plus.

Choix cornélien. Cornes de dieu tordu et lien distendu.

Plic ploc.

Elle tremble sur ses deux jambes aux pieds bots pas trÚs beaux, la brodeuse qui croit tout pouvoir rapiécer avec un peu de bonne volonté ! Pupilles rétractées, elle dévisage Vuk Rustovic. Cela gratte et cela pique.

Au loin, le ciel gronde et les nuages presque immuables amassés en grappes incertaines se mettent à pisser sur la gueule des éclopés, et du reste du monde. Plus poétique, tu meurs.

Plic ploc.

LĂ . Cela suinte, dĂ©range, dĂ©mange, crisse, hurle. Un Ă©cho crasse Ă  l’intĂ©rieur. Quelque part sans qu’elle ne sache trop oĂč, la passive petite boiteuse bien trop silencieuse. Entre le palpitant et les tripes, peut-ĂȘtre bien.

« C’est qu’une balle. L’enlever,dĂ©sinfecter, recoudre. C’est d’une femme-mĂ©d
 »

CoupĂ©e dans l'Ă©lan. Une mue s’opĂšre ou bien est-ce une soudaine crise de foi ?

Le cƓur manque un battement, se serre, bat soudainement plus vite l’espace d’un instant.

Des mots de trop. Comment avait-elle pu oublier ? Elle sait maintenant le but originel. Grincerait presque des dents.

PlutĂŽt mourir que de ne plus ĂȘtre humaine, se fondre dans la masse, devenir un mouton ! Pour peu que sa mĂ©moire ne lui fasse pas trop dĂ©faut, elle n’a sans doute jamais aimĂ© le conformisme, ou ne l'aime plus depuis cet instant hasardeux.

La mñchoire se crispe, le poing se referme tandis que mains et pinces la cherchent. Le malaise s’intensifie.

Des gestes de trop. Intrusifs. Contact froid et visqueux. Une intimité presque violée. Sans crier gare, cela a enclenché un détonateur.

«NE ME TOUCHEZ PAS !»

Jouer des coudes, du poing. Partir vite et bien sans se retourner.

Non. Vuk Rustovic ! Vuk Rustovic ! Vuk Rustovik
 Comme seul objectif. Et l’humanitĂ© d’olga, cette brave et gentille fille sage jusque-lĂ , se dĂ©chiquette en lambeaux Ă©pars, devient charpie

Vuk Rustovic n’est plus. Plus cette crĂ©ature difforme. Autre chose l’a remplacĂ©. L’ombre menaçante du tableau. Le cadavre pas du tout exquis dans le placard d’une vieille bicoque. Le vĂ©nĂ©neux poison qui s’infiltre avec violence et fracas en tout orifice pour marquer son empreinte, sa cruelle emprise malgrĂ© l’oubli. Des rĂ©sidus refont surface, occultant toute logique et raison.

L'énergie du désespoir. Profiter de la cohue, de l'effet de surprise... Ne sait pas, ne sait plus. Faire vite avant que les derniÚres maigres forces ne la quittent.

ProfondĂ©ment lui ouvrir la jugulaire sur toute la longueur avec l’aiguille bien plantĂ©e !

DĂ©mence et gerbe de sang.

Du sang partout. Du rouge ? Surtout du noir. Abstraits sillons biscornus sur des toiles de chair. Fractale diluvienne diluée.

Il faut anĂ©antir cette figure paternelle traĂźtresse, et insoutenable comme cet autre ayant moisi au village, qui ne l’aurait jamais mariĂ© ou laissĂ© partir ! Qu'elle a tuĂ©, peut-ĂȘtre. Qu’elle a fui, certainement. Puis, il y a eu l’accident.

Pourtant, Olga portait si bien le masque de la gentille fille au sourire de façade...

Si la claudicante brodeuse pouvait, elle danserait maintenant !

Tout cela n'est-il qu'un cauchemar ? Un rĂȘve Ă©veillĂ© ? Ne sait pas, ne sait plus.

Dans sa tĂȘte, ne rĂ©sonne dĂ©sormais que la bamba et un unique mot, pour peu que ses pieds arrivent encore Ă  la porter, qu'elle s'extirpe de la multitude, qu'elle...

Cela semble bien mal barré. Crescendo, son cri mental vient alors se répercuter.

[Fuyez ! Fuyez ! FUYEZ !]

Et malgrĂ© tout, de tendre une main en direction de Vladek. Peut-ĂȘtre en dernier espoir ou comme un adieu ? IntensĂ©ment, elle le fixe. Les yeux fous oui, mais fous d’amour cette fois-ci.


Luka :

Ces galimatias ne le concernaient pas. La machine si docile, si porteuse ne marchait plus, et ça, c’était un grand malheur. Un malheur car il serait dur de justifier la perte du tonnerre mĂ©canique. Un malheur car chaque panne Ă©tait comme une mort, un deuil Ă  tenir. C’était si rare, si prĂ©cieux. Alors avec son fidĂšle outils, il essaye de voir si c'est le carbonnateur qui est encrassĂ©, ou si c'est le radioactivateur qui fuit.

Mais certains sons, certains regards commencent doucement à installer une mélopée douce-heureuse. Dont les notes crochées se font autant d'hameçons qui cherchent à éperonner plus de fidÚles à la parade nocturne des 100 démons. Et commence à se ressentir le malaise, quand apparait le trÚfle irridescent. Ce qui devait sauver Belgrade la Miraculée. Il n'y avait pas de sutra pour cette rencontre, une seule solution.

Il n'a pas regardĂ© derriĂšre lui, il a commencĂ© doucement Ă  s’éloigner, prenant le peu qu'il peut. Le reste de la radio. Parce que merde. Le fusil doit rester derriere. Il n'a que deux mains, et il entends bien que celĂ  reste ainsi.

Remplacer l'Humanité par cette galerie des horreurs ? Quelle idée répugnante ! Il allait falloir purifier au no-palme, un carburant sans huile et bio, cette curieuse bande qu'on ne sait quelle mouche a piqué de son aiguille érodée.

Quels autres armes avaient-ils ? Comptaient-ils rĂ©ellement ensemencer la totalitĂ© de la forĂȘt de leur spores dĂ©moniaques ? Et quel sport ce serait de les fuir !

C'est Ă  ce moment qu'il ressent le besoin impĂ©rieux de courir. De s'enfuir maintenant, l'esprit Ă  l'arret. Comme une injonction au plus profond de son ĂȘtre, presque Ă©trangĂšre.


[Fuyez !] se joint Ă  l'unisson.


Fuyez pauvres fous, fuyez la Fin des Temps.


Lasko :

Lasko reste immobile pendant le discours de Rustovic. Il observe la scĂšne comme si elle ne le concernait pas, indiffĂ©rent en apparence. Il a la sensation d'avoir si souvent entendu ce mĂȘme genre de discours mystiques, chaque fois avec des variations, mais chaque fois avec le mĂȘme thĂšme sous jacent, avec la mĂȘme trame sur laquelle les reprĂ©sentants autoproclamĂ©s du salut brodent leurs intĂ©rĂȘts personnels.

Et c'est avec soulagement qu'il se permet enfin de rĂ©agir quand la boiteuse Ă©gorge le prĂȘtre et que l'appel Ă  la fuite retentit dans son esprit.

[Fuyez !] joint il au choeur, mais il lui reste encore une chose Ă  faire avant de se permettre de se replier.

Pas besoin de viser dans ce genre de situation, la crosse de son arme vient se caler contre sa hanche, le levier de sélection de tir bascule presque sans qu'il soit conscient de sa décision et il presse la détente avec un profond soupir de satisfaction.

Quatre secondes plus tard, le chargeur vide tombe au sol. Trente cartouches, 8 flĂ©chettes semblables Ă  des aiguilles curieusement aplaties dans chaque cartouches, chacune capable de perforer une plaque d'acier de 3mm d'Ă©paisseur Ă  150 mĂštres de portĂ©e. Et la Horde n'est pas Ă  150 mĂštres. A cette distance, les projectiles sont totalement capables de traverser un corps pour blesser griĂšvement celui qui est derriĂšre et le rĂ©sultat sur la chair mĂȘme mutante est particuliĂšrement spectaculaire. IndiffĂ©rent au sillon sanglant comme Ă  la cacophonie de hululements, hurlements et gĂ©missements qui en dĂ©coule, Lasko recharge et presse de nouveau la dĂ©tente, crĂ©ant un corridor de chair frĂ©missante et moribonde pour Olga et Vladek. Il sait qu'il ne pourra pas maintenir cette cadence trĂšs longtemps, il y a des limites Ă  la quantitĂ© de munitions dans le buggy mais chaque seconde qu'il gagne augmente les chances de fuite de ses compagnons. MĂȘme si il n'a aucune idĂ©e de oĂč ils pourraient fuir dĂ©sormais.


Vladek :

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Doomsdayer's Holiday, par Grails, du post-rock oriental, psyché et dronisant, tantÎt mélodique, tantÎt sombre, tantras d'anciens temples profanés par les racines.

"Par ici ! Par ici !"

Alors que la petite troupe prend la fuite tant bien que mal au milieu des arbres déchiquetés et des buissons aux palmes griffues, pourchassée par les quelques survivants de la Horde, masse de chair couverte de sang et de viscÚres, une silhouette agite des bras pour intimer à Lasko, Olga et Vladek de suivre sa direction.

C'est une femme vĂȘtue de loques jaunes qui semblent couvrir un Ă©quipement de survivaliste en bonne et due forme, peut-ĂȘtre un gilet pare-balles, des bottes, des boĂźtes Ă  mĂ©decine, un compteur Geiger... Ses cheveux sont noirs et poisseux, des lunettes de soudeur mangent son visage sale. Elle tient un fusil ravaudĂ© de partout, mĂ©tal, bois, tissu et fumĂ©e, qui lui tient presque lieu de bras supplĂ©mentaire.

Elle les entraĂźne dans la forĂȘt, maquille leur piste et les mĂšne jusqu'Ă  une trappe de mĂ©tal cachĂ©e sous les feuilles mortes.

Ils sont dans un rĂ©seau souterrain fortifiĂ©. L'endroit est Ă  moitiĂ© envahi par la forĂȘt : des arbres blanchĂątres poussent en travers des tunnels. Champignons et fougĂšres phosphorescentes grouillent de partout.

Ils se planquent dans une salle qu'éclairent une lampe grossiÚre reliée à un groupe électrogÚne. Il y a des caissons et des bocaux de nourriture pourrie.

La femme se présente enfin : "Je m'appelle Vjekoslava, je suis une éclaireuse. J'observe la Horde des Mutilés depuis quelques temps. Vous avez eu chaud."

Un braillement de bébé. Dans un des caissons, un nouveau-né, trÚs sale. Vjekoslava l'a recueilli.

Olga est en train de mourir. Vladek se traßne à son chevet. Comme à regret, il murmure quelque chose à ses nano-puces. Les bestioles rampent sur le corps de la brodeuse. Elles lui rentrent dans le systÚme sanguin, sauf une moitié du troupeau qui reste au niveau de la blessure et la colmatent, formant un tissu électronique.

Vladek n'a ni plus ni moins qu'en ses mains la technologie qui manquait Ă  la RĂ©publique de Belgrade pour assurer sa perrĂ©nitĂ©, et mĂȘme pourquoi pas, Ă©tendre son emprise sur toute la Yougoslavie.

Luka a la force avec lui. Un bon coup de clef anglaise sur le crùne de Vladek, et les nano-puces seront à lui. Vjekoslava s'est absentée un court instant pour faire une reco. Qui pourrait lui apposer de la résistance ? Certainement pas Lasko qui est mourant et à court de munitions, ni Olga qui est en train de se régénérer... Luka n'a qu'à saisir cette opportunité de faire la toute-puissance de Belgrade et de s'assurer un avancement bien mérité.


Olga :

L’incomprĂ©hensible rage a disparu.

Sentiment de délivrance ou de liberté mitigée.

Ou d’avoir fait une Ă©norme bĂȘtise en commettant l’irrĂ©parable.

La peur s’ancre dans les entrailles et les larmes viennent. Quelle importance ? La fin est proche. Perdre pied, se laisser emmener, traĂźner ou peut-ĂȘtre porter aprĂšs le tumulte des balles et des cris. Le sang s’échappe de la blessure. Olga a froid, si froid


La fin est proche, et avec elle, de moins en moins la force de garder les yeux ouverts. Sentir ses membres s’engourdir. Laisser le tempo du cƓur ralentir jusqu’à l’ultime battement. Juste dormir. S’endormir. DĂ©laisser sa dĂ©pouille. EmportĂ©e par l’abĂźme. Trouver d’autres voies.

Cela n’arrivera pas.

S’accrocher à une main, une voix.

Black-out.

Revenir en retrouvant le rythme d’un premier souffle. Inspire, expire. Vaille que vaille la douleur qui jamais ne cesse.

Cotonneuse. Olga impuissante et alanguie se sent presque enfant. BercĂ©e par le timbre de Vjekoslava qui s’éloigne, et croit-elle par le grĂ©sillement d’une luciole au plafond. L’enfant pleure. Fugitivement, l’idĂ©e qu’elle est le nourrisson traverse son esprit chahutĂ©, mais le puzzle se remet doucement en place.

DorlotĂ©e. Les nanopuces la rĂ©parent lentement de l’intĂ©rieur comme de l’extĂ©rieur. Si bien lĂ , loin des cris et du chaos. Le sommeil la gagne, elle a besoin de repos sans avoir conscience de ce qui peut se jouer, pas mĂȘme de la possible trahison ou de la perte insupportable de l’ĂȘtre aimĂ©.

Juste faible. Faible humaine cabossée pleine de failles.

Pourtant confiante.

De fil en aiguille, le temps et l’oubli feront leur Ɠuvre. N'est-ce pas pratique ?

Ne subsistera qu’un stigmate sur son poitrail.

Un stigmate. Peut-ĂȘtre en forme de feuille ?


Luka :

Les puces naines sont-elles la clé du salut de Belgrade ? Pas sûr. Rien que comprendre cette technologie pourrait prendre une vie. Mais... mais. C'est de la technologie, la grande, la belle. L'unique! Une occasion comme il ne se fera plus, comme un lynx attiré par les flammes de la curiosité qui ont tué le chat.

Le contexte se calme, la tension se repose. Enfin presque, l'electricité est dans l'air. Le voltage est tel que les dilemnes mentaux du mécanos renfrognés sont tangibles, contagieux. Abandonner cette bande de bras cassés, pour se saisir de la clé des champs, et frapper le Vladek vulnerable ?
Mais s'il est vulnérable, et que celà tuerait probablement Olga... Il y a des témoins. Cette vierge à l'enfant, espionne de la Horde. Ce militaire qui a tué l'enfant soldat à l'allegeance obscure.

Dans ce bunker vegetal, il se sent pas Ă  l'aise. Trop de verdure, mais aussi le clair obscur des vielles lampes gresillantes rassurantes.

Pas vraiment le temps de negocier, pas vraiment les compétences pour s'emparer. Ne reste qu'une option. Revenir à l'idée originale, ramener l'expert avec sa technologie.

Une main ferme se pose sur une Ă©paule. Sans la moindre nuance permettant le dialogue, la voix monocorde acheve le dilemne.

"Il est temps de retourner Ă  Belgrade. Tu as de nombreuses choses Ă  nous apprendre, Vladek le Pouilleux. Et la Horde doit disparaitre."


Vladek :

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Water’s Ruins par Loki Fun Lilith, du dark ambiant noisy, inondĂ© dans une cave sous un marais sous un arbre sous une voix d’outre-tombe.

Vladek frémit à l'idée de se rendre à Belgrade. Il a entendu de drÎles de choses sur cette ville et ses habitants. Une bonne grosse bande de fachos. Mais il est trop faible et trop couard pour répondre non.

Les nano-puces se sont dirigées vers sa blessure aprÚs avoir réparé Olga. Elles récupÚrent des morceaux du poste-émetteur transporté par Luka et l'agglomÚrent sur le moignon de Vladek. BientÎt le Pouilleux a un nouveau bras. Un amas de transistors, d'amplis, de cornets et de boutons-curseurs. La radio de Vladek est devenu un bras.

Ne se sentant plus de joie, le Pouilleux lance un tonitruant : "Ici Radio Frondaisons ! C'est Vladek le Pouilleux de retour aprÚs une petite absence ! Nous sommes dans un réseau d'abris souterrains, nous cherchons à échapper à ce qui reste de la Horde des Mutilés. Nous partons pour Belgrade pour de nouvelles aventures ! Et Vladek a maintenant une fiancée ! Olga la brodeuse a des pieds en fer à repasser mais Vladek l'aime et il va l'épouser ! Elle a tué son pÚre qui voulait qu'elle marie un autre gars ! Vladek est le plus joli coeur du village !"

AprĂšs avoir soignĂ© Vladek qui dĂ©jĂ  se remet debout pour suivre Luka, les nano-puces dĂ©daignent Lasko. Vjekoslava, avec ses haillons jaune pisse et ses grosse lunettes opaques, est revenue de reco. Elle dit au mercenaire : "Vous n'avez pas besoin des nano-puces. On dirait bien que vous avez Ă©tĂ© contaminĂ©s par l'huile. Vous ĂȘtes guĂ©ri de votre maladie mais vous ĂȘtes contaminĂ© par l'emprise. Vous allez bientĂŽt vous transformer, et seul le Christ en Jaune sait en quoi. Il serait peut-ĂȘtre temps de jeter les armes et de vous repentir. Maintenant, emboĂźtez-moi le pas. Si vous voulez aller Ă  Belgrade sans vous faire repĂ©rer par la Horde, il faut que vous me suiviez dans les souterrains."


Lasko :

Lasko reste une nouvelle fois stoïque alors que sous ses yeux ses compagnons sont miraculeusement soignés de leurs blessures mais le regard qu'il vient lentement porter sur la femme en jaune se ferait presque amusé.

"Je pense qu'on va encore avoir besoin de mes armes justement. J'ai pas le sentiment que Belgrade soit une destination de rĂȘve et de paix. Ou bien alors on m'aurait menti."

Il reporte son regard sur le fusil qu'il n'a pas lĂąchĂ© pendant leur fuite et va lentement le dĂ©poser soigneusement contre un mur. Accroupi, il laisse ses doigts effleurer le mĂ©tal comme si il disait adieu Ă  un vieil ami. Peut ĂȘtre est ce le cas d'ailleurs. Finalement il se relĂšve et hausse les Ă©paules.

"Plus de munition pour celui là. Autant qu'il reste ici, je n'ai pas forcément envie qu'il tombe entre les mains de n'importe qui."

Il réajuste avec une méticulosité exagérée son sac sur ses épaules.

"J'ai d'autres options là dedans de toute façon. Pour le repentir et votre Christ en jaune... faudra m'en dire plus avant de me convaincre Vjekoslava"

Il examine une nouvelle fois les lieux avec curiosité avant de se tourner franchement vers Luka.

"Et on va faire quoi une fois Ă  Belgrade ?"


Olga :

BrĂšve sieste de laquelle Ă©merge soudainement une Olga aux cheveux hirsutes, les traits chiffonnĂ©s, mais grand sourire ravi aux lĂšvres. Certaines paroles ne sont visiblement pas tombĂ©es dans l’oreille d’une sourde. Comme on dit : il en faut peu pour ĂȘtre heureux. Des Ă©pousailles, allons bon ! Oubliant momentanĂ©ment les turpitudes de l’existence, la simplette s’extasie face Ă  ce nouveau bras improbable tout en abreuvant Vladek de « Joli cƓur », imaginant dĂ©jĂ  les tenues, la cĂ©rĂ©monie, les


« La langue est décidément toujours un mollusque mal apprivoisé ! »

En parlant de langue, celle de Vjekoslava claque sĂšchement contre son palais. Si tant est qu’on puisse voir son regard derriĂšre les culs-de-bouteille lui servant de lunettes, celui-ci est sans concession et posĂ© sur le radiophoniste. En signe de dĂ©sapprobation, secoue-t-elle nĂ©gligemment la tĂȘte pour finalement reporter son attention sur le mercenaire.

« Pourtant, c’est de votre repentir dont vous aurez besoin et d’alliĂ©s solides. Peut-ĂȘtre de votre mĂ©moire si elle vous sert encore Ă  monnayer des souvenirs ? Tuez un chef, un autre prendra la relĂšve. Si vous sortez, ils vous tueront. La horde des mutilĂ©s est plus nombreuse qu’on ne le pense. Votre ami vient par ailleurs d’indiquer votre destination et votre position. Pour ma part, j’ai ce nourrisson Ă  protĂ©ger. Aussi, n’est-il plus temps de tergiverser...»

Vient une seconde d’hĂ©sitation avant de poursuivre.

« Sachez cependant qu’ils ont tentĂ© d’empoisonner les rĂ©serves d’eau potable de Belgrade, et nos champs. C’est pourquoi je les suis tant que je le peux, telle est mon humble mission pour protĂ©ger de la corruption ce qui doit le rester. Que le Christ Jaune me donne assez de courage pour continuer ! »

Sans cesser de jacasser, la voilĂ  qui rĂ©cupĂšre ses affaires ainsi que l’enfant pour s’apprĂȘter Ă  quitter les lieux.

« En les observant, j’ai d’ailleurs pu apprendre qu’ils se sont alliĂ©s Ă  Sarajevo pour leur sinistre projet. La folie rĂšgne lĂ -bas, on raconte mĂȘme qu’ils attendent un faux prophĂšte barbare originaire d’un autre empire. Un prĂ©tendu messie sheitanite capable de voyager sur des eaux noires et profondes avec une armĂ©e
 Si leur pseudo-prophĂ©tie d'hĂ©rĂ©tiques se rĂ©alise, et certains ragots confirmeraient cette hypothĂšse, je vous laisse imaginer la suite.»

Vjekoslava se signe comme pour Ă©loigner le mal absolu.

L’idĂ©e de voyager jusqu’à Belgrade n’enchante pas non plus la brodeuse qui se contente d’écouter. Toute curiositĂ© l’a quittĂ© tandis que la peur revient l’assiĂ©ger. Tout de mĂȘme, Ă  bien y rĂ©flĂ©chir, des liens se tissent dans son esprit brumeux comme si une aiguille venait de la piquer, mais ses yeux s’arrondissent quand rĂ©sonne un Ă©trange tambour.

KLING ! KLONG !

À moins que ce ne soit juste la trappe de mĂ©tal qui menace dĂ©jĂ  de s’ouvrir



Mihaljo :

Cela fait déjà un moment que se déverse par flot irrégulier des vagues de peur et de souffrance présente comme passée. Une nouvelle fois interrompu dans ses pensés, la vieille branche décharné, couverte de terre et de jeune pousse débordante de ses nombreuses poches mainte fois rapiécées par une brodeuse dont le nom est depuis longtemps égaré, se dresse sur ses pieds.

Mihajlo scrute et observe les environs, il sait naturellement ou il est : perdue. Perdue dans les bois depuis un certain temps d'ailleurs, encore que ce dernier soit tout aussi incertain que la direction qu'il vient d'envisagĂ©. Mais ces ondes qui s'Ă©chouent sur son crane, comme un ramassis de ragot ressassĂ© et semĂ© Ă  tous vents par un radiophoniste Ă©dentĂ©, ont Ă©veillĂ© la forĂȘt et sa curiositĂ©.

Il presse le pas, évite au tant qu'il le peut les branches basses et arbustes hauts qui pourraient l'effeuiller si ce n'est plus mais au bout d'un moment trébuche contre une plaque métallique orné de trois feuilles [feuille] arrangées en forme de trÚfle. Un second mot résonne comme en écho à sa pensée [stigmate]. Stigmate du temps passé, de ce fameux age d'or aprÚs lequel court certain mécano qu'il a put croisé.

Mais l’écho est un signe pour lui, d'autres aussi. Des vagues de terreur se brise sur son caillou esseulĂ© dans la forĂȘt qui elle affamĂ© s'en abreuve. Le sol vibre, les Ă©corces suintent, les branches craquent, les lianes se balancent, c'est tout le bois qui s'agite et commence Ă  s'armer petit Ă  petit de dent, de piquant, de pointe, d'aiguille aussi fine et tranchante que les griffes d'un lynx.

Ni une ni deux, prend dĂ©licatement une pousse entre l'indexe et le pouce et la transplante non loin avant de l'arroser abondamment de son urĂ©e. Est ce un haricot magique, un monstroplante ou juste une fleur fanĂ©e avant mĂȘme d'avoir Ă©clot qu'il espĂšre voir pousser ?


KLING ! KLONG !

La trappe a cédé et déverse son lot de membre hétéroclite.

Il ne reste plus qu'a la clique de rafistolé à décamper, fuir, [fuir], [fuir], 
 les mutilés se répandant tel une nuée.

Mais la fuite n'est pas aisĂ©e, les parois du souterrain fortifiĂ© semblent se contracter, se dilater, ĂȘtre prise de convulsion. Hallucination dĂ» aux spores des champignons ou sombre rĂ©alitĂ© d'un intestin s’apprĂȘtant Ă  les digĂ©rer aussi simplement que le bras fut arrachĂ© par l'ours, tant de questions auxquelles ils n'ont le temps de penser, les clic clac des pinces se rapprochant dĂ©jĂ .


Vladek :

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Temple of Ancients, par Erdstall (dungeon-synth pour explorations de donjons aussi ténébreux que nostalgiques).

"Mouvements péristaltiques ! Courez ! Suivez-moi ! Courez aussi vite que vous pouvez !" s'écrie l'éclaireuse. Elle s'engage dans des escaliers et des cheminées qui les entraßnent plus profondément encore. L'urgence, c'est de quitter cette section probablement fusionnée avec un organisme prédateur de l'humus.

Ils entraĂźnent avec eux Mihaljo. Pas le temps de faire le tri.

Ils arrivent dans des bunkers qui ont jadis accueilli la vie. Des meubles pourris et couverts de mousses bulbeuses, de l'eau qui dégouline dans les cruches et les cafetiÚres rouillées, des rats qui grignotent les napperons brodés...

Vladek rassemble tous les morceaux de draps, de toile de parachute, de pantalons militaires et de napperons qu'il peut trouver. Il passe le disque de "La Bamba" sur la platine vinyle fusionnée à son bras. Il donne un écrou à Olga en guise de bagues de fiançailles. "Veux-tu prendre un Pouilleux pour époux ? Veux-tu bien broder une robe de mariée avec ces tissus ? Nous trouverons bien une personne de Dieu pour nous marier."

Le bébé pleure. Vjekoslava lui donne le sein, comme une madone. "A Zagreb, toutes les femmes font nourrices. Ainsi, nous donnons du lait pendant longtemps."

Ensuite, elle déballe un morceau de viande qu'elle avait entreposée du papier journal.

L'ancien bras de Vladek.

"Je vous invite à partager l'Eucharistie, le corps du Christ en Jaune déposé dans cette chair. Amen."

Vladek avait beaucoup de curiosité pour Zagreb. Il imaginait y marier la brodeuse. Mais à l'instant, sa gorge se noue.


Lasko :

Lasko n'est pas sĂ»r d'avoir compris l'origine des mouvements qui ont alarmĂ© l'Ă©claireuse mais il n'a aprĂšs tout pas besoin de connaĂźtre tous les dĂ©tails. Il prend quelques secondes pour sortir de son sac une boite oblongue marquĂ©e des lettres MRUD plus qu'Ă  moitiĂ© effacĂ©es et l'installer dans un recoin d'un escalier. Une longueur de corde, un autre boĂźtier circulaire et il s'Ă©lance Ă  la suite des quatre autres. Non ils sont cinq. Et il ne compte mĂȘme pas le bĂ©bĂ©. D'oĂč vient l'autre ? depuis quand est il lĂ  ?

Pas le temps de penser à poser la question et ce n'est pas le spectacle du pouilleux en pleine folie nuptiale qui va arranger les choses. Lasko réprime un éclat de rire mais s'autorise un demi sourire et félicite les mariés avec une bourrade amicale que ne renierai pas un ours au sortir d'hibernation.

Son amusement disparaßt pratiquement instantanément quand l'éclaireuse exhibe le morceau de bas humain et il fait un pas en arriÚre.

"Merci de tout coeur Vjekoslava mais je vais passer mon tour pour cette fois."

Et il se tourne vers le cinquiĂšme larron.

"Et toi, qu'est ce que tu fais ici ?"


Mihaljo :

Essoufflé, voir exténué, ces courses folles ne sont plus de son age. Fort avancé ? Il ne sait plus. Trop de temps passé ou pas tant que ça dans ses bois à écouter la toiles. De toute façon plus qu'un seul temps compte pour lui, celui que met ses jeunes pousses à grandir.

Son regard perçant fait le tour de ces nouveaux visages et des corps stigmatisĂ©s mais pas par la forĂȘt. Il ouvre la bouche et agite sa langue mais ne sais trop quoi dire ni comment, jusqu'au moment ou il crache une syllabe " Lut " puis plus rien mais la mĂąchoire semble rester bloquĂ©.

Mais des sons dissonants font leur apparition et lui mĂȘme d’enchaĂźner de plus belle avec cette fois ci des mots au complet : " Elles sont toutes ensemencĂ©es... " Pourquoi dit il cela ? Il le saurait ou l'aurait entendu d'une des voix perdues ?

Tout comme ce mot " Zagreb " qui lui semble si familier et qu'il rĂ©pĂšte Ă  haute voix mais sans Ă©cho ou peut ĂȘtre avec son passĂ© oubliĂ©.


Qu'importe, le morceau de chair est déposé par terre, plus une trahison voir une tentative d'avortement de sa mission. Lui qui s'est rapproché de ses estomacs sur pattes, dans le seul but de leurs faire goûter quelques une de ses mixtures, préfÚre sans éloigné.


Enfin on le perçoit et lui pose une colle. Il prend quelque instant, regarde au dessus de lui, autour, se tĂąte pour ĂȘtre sĂ»r d'ĂȘtre encore en entier pour finir par son interlocuteur et de jeter un rapide coup d’Ɠil au plafond avant de les plonger profondĂ©ment dans ceux de Lasko presque nez Ă  nez.

" De la haut je viens, vos peurs j'ai entendu ainsi que notre mĂšre qui s'en est abreuvĂ©e. ApeurĂ©s vous ĂȘtes, affamĂ©e elle sera. "

C'est du moins ce qu'il pense, bien qu'elle lui avait dĂ©jĂ  coupĂ© deux doigts qu'il n'avait put raccommoder Ă  dĂ©faut d’aiguille.


Olga :

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Mortal skin - Dronny Darko

Cahin-caha, clopin-clopant, courant ou trottinant derriĂšre les autres sans pour autant fermer la marche, Olga constate qu’un nouveau barbu les suit. Pas trĂšs rassurĂ©e, en parfaite femme-monstre guĂšre si brave, la brodeuse garde bien ses distances tout en restant dans l’ombre de son futur Ă©poux. Un futur mari cĂ©lĂšbre en plus de cela, connu comme le lou
 L’ours albinos Ă  mĂąchoire polymorphe ! Un fiancĂ© qui dĂ©jĂ  glane moult Ă©toffes, osant enfin faire sa demande avec la plus magnifique des alliances : un simple Ă©crou peinant Ă  glisser sur l’auriculaire de sa promise. Sautillante comme une nano-puce dĂ©rĂ©glĂ©e, la boiteuse n’est alors que joie et rouge aux joues :

« Je le veux ! Je le veux ! Et un beau costume pour toi aussi joli cƓur ! » Chantonne-t-elle sur l’air de la bamba, exercice ardu s’il en est, rien ne semblant la dissuader du haut de son petit nuage. Les oreilles les plus fines ne douteront toutefois pas de son immense talent Ă  surtout chanter aussi bien qu’une bouilloire.

C’est alors que sonne l’heure du dĂźner ! Cela tombe bien, la simplette a si faim que son estomac gargouille pour approuver, mais au moment oĂč ses prunelles se posent sur l’offrande : Olga ne peut retenir un hurlement de terreur.

Une tĂȘte monstrueuse avec deux moitiĂ©s de visages cousues grossiĂšrement pour n’en former qu’un. À gauche, celui de son pĂšre. À droite, Vuk Rustovic avec un Ɠil pendouillard sorti de son orbite. Une tĂȘte monstrueuse qui la fixe en grimaçant un sourire alors que cafards et vermines grouillent, entrant dans les narines pour ressortir par la bouche, et vice-versa.

Lasko peut, quant Ă  lui, dĂ©sormais voir le corps de Shmenka qu’il croirait parfois prise de convulsions, prĂȘte Ă  se relever d’entre les morts. La pauvre vieille serait presque mĂ©connaissable avec son visage Ă  moitiĂ© arraché 

Quant Ă  Luka, c’est le beau bĂ©bĂ© joufflu prĂ©cĂ©demment allaitĂ© qui devrait lui servir de succulent repas... Un bĂ©bĂ© bien pĂąle Ă  la chair tendre, mais aux lĂšvres bleutĂ©es, et dont le front est dorĂ©navant ornĂ© d'un trĂšfle nuclĂ©aire.

Mihajlo ne voit pas un bras, mais une sinistre jambe surplombant un fin pied. En l’observant de plus prĂšs, il est sĂ»r d’en reconnaĂźtre la propriĂ©taire. Cuisse fuselĂ©e et mollet arborent un tatouage finement ciselĂ©. Une sinueuse feuille Ă©dentĂ©e qui ne peut appartenir qu'Ă  sa sƓur...


Luka :

Et le mĂ©caniste Ă  la finesse ciselĂ©e de voir ce qui devrait constituer son repas. Le Jardinier a rejoins la triste Ă©popĂ©e, mais il n'en a cure. L'esprit vagabond ne cesse de penser technologie, rouage, et fumĂ©e noire. Son cotĂ© pyromane s’élevant sans doute chaque instant davantage, Ă  force que la forĂȘt lui sorte par les yeux. Il n'aime pas cet endroit, qui lui rends bien. Oui... Entre les mines explosives, les ours Ă  tentacules anaux, les sphyx lynx, et les mutants omnicĂ©phales, c'en est trop.

Son cotĂ© xenophobe n'ecoute mĂȘme pas les divergences sur la societĂ© zagrebiste. Non, l'heure est Ă  la boustifaille au nom du roi saure, Ă  la mentalitĂ© prĂ©historienne.


"Je n'crois qu'en ce que ma clé peut démonter et remonter, la siphonnée."


L’Ɠil descend, et la chose homme dans ses mains parait bien trop vivante, marquĂ©e du sceau de l'Anium, "our anium" comme y disent les tauliers. Du coups, il lĂąche l'objet du dĂ©lit avec un sursaut mi dĂ©goutĂ© mi effrayĂ©. Et tant pis s'il avait l'air vivant...

"Qu'est ce que cette putain de connerie veut dire, la bigote ?"

La voix transparait bien plus d’inquiĂ©tude qu'elle ne voudrait.


Vladek :

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[url=https://tomwaits.bandcamp.com/album/small-change-remastered]Tom Waits / Small Change
[/url]
"Notre Seigneur le Christ en Jaune s'incarne dans la chair de ceux qui ont souffert. Il faut manger cette chair pour lui rendre grùce et recevoir son eucharistie vraie. Je m'étonne qu'aucun d'entre vous ne veuille goûter cette manne des cieux. Mais vous y viendrez en temps voulu. L'Eucharistie Vraie nous protÚge des affres de la guerre.", conclut Vjekoslava

Un bruit de festivité les interrompt. Des verres qu'on entrechoque, des chants en vieux slave, le grincement de l'accordéon, la lumiÚre vacillante des lampes à huile.

Le groupe part Ă  la dĂ©couverte de ce joyeux vacarme qui rĂ©sonne dans les coursives. Ils aboutissent dans une salle fortifiĂ©e oĂč sont rassemblĂ©s une vingtaine de personnes qui semblent vivre lĂ  en communautĂ© depuis un bout de temps. Ils sont propres, bien habillĂ©s, mais semblent connaĂźtre une prĂ©caritĂ© de ressources, mĂȘme si la rajika, l'alcool de fruits des bois fermentĂ©, n'a pas l'air de manquer.

Ils invitent le groupe Ă  se joindre Ă  la fĂȘte, et les pressent de questions de l'extĂ©rieur.

"Nous vivons cloĂźtrĂ©s depuis des annĂ©es dans ces tunnels qui conduisent aux chambres-fortes des tonneaux d'emprise de l'Ă©poque de Tito ! Nous nous cachons de la guerre. Nous fabriquons des armes pour la rĂ©sistance, vous pouvez voir ici notre atelier. Mais depuis quelque temps, on capte cette radio oĂč un gars parle de son village. Et d'aprĂšs ce qu'il dit, ce n'est plus vraiment la guerre. Tout au plus des histoires de vieilles qui volent des dents de lait !"

"Alors, est-ce que c'est vrai ? Est-ce que la guerre a cessé ? Est-ce qu'on peut remonter à la surface ?"

Bosko, qui semble ĂȘtre leur chef, un gars bon vivant, bien en chair et en moustaches, un ours protecteur mais jovial, fronce les sourcils. On dirait qu'il voit les questions de ses protĂ©gĂ©s d'un trĂšs mauvais Ɠil.

Vladek allait s'élancer pour révéler à tous qu'il est la star de leur poste de radio.

Mais il se ravise et se tourne vers Lukà et Lasko, qui lui semblent bien plus experts que lui pour répondre aux questions en matiÚre de guerre...


Lasko :

Lasko mĂ©dite, ou tout du moins essaye. Son esprit s'est engourdi sous les coups successifs et pendant qu'il avance les images dĂ©filent dans son cerveau, comme des feuilles Ă  l'automne : la vieille, l'ours, la boĂźte qu'il sent encore Ă  mĂȘme la peau, le gamin qu'il a tuĂ©, les rĂ©vĂ©lations du lynx. Il essaye vainement de relier les Ă©vĂšnements Ă  une trame quelconque mais cela lui Ă©chappe comme la trame effilochĂ©e d'une broderie. Il en parlerait presque Ă  Olga et ouvre mĂȘme la bouche pour le faire mais se tait quand il entend la musique.

Il adresse un sourire ironique à Vladek avant de le tourner vers les membres de la communauté.

"La guerre ne se termine jamais. L'ennemi change mais la guerre reste. Il n'y a pas de paix ici, rien qu'une éternité de carnage et le rire moqueur de dieux sanguinaires."

Son sourire se fait plus large Ă  la citation et il grimace un autre sourire Ă  Luka.


Olga :

[Nouvelle quĂȘte : DĂ©couvrir la source de l'emprise et tenter de la dĂ©truire]

---

La boiteuse n’est plus certaine de ce que ses yeux lui ont laissĂ© Ă  voir. Effets de spores hallucinogĂšnes ? Sentiment de culpabilitĂ© ? Perte d’un ĂȘtre ou d’un Ă©lĂ©ment cher ? Le tout Ă  la fois ? Ses comparses ont-ils vu la mĂȘme chose ?

Juste fermer les yeux un instant pour que cela disparaisse.

L’autre ne parlait-elle pas d’expiation ? À quoi bon y songer ou s’appesantir ? Il y a plus rĂ©jouissant dans une ou plusieurs vies.

Forte de son ignorance que l’oubli estompera tĂŽt ou tard, c’est d’un regard dĂ©tournĂ© voire d'une moue Ă©cƓurĂ©e que la brodeuse accueille la conclusion de Vjekoslava.

Le groupe se faufile Ă  nouveau pour dĂ©couvrir d’autres visages, et mĂȘme de la musique avec des instruments de l’ñge d’or. À peine le temps d'en profiter que les questions fusent.

MĂ©fiante, Olga se contente d’observer.


Mihaljo :

Le cri au lieu de l'Ă©veiller le plonge dans une mer aux courants sournois. Des souvenir vont et viennent, sa sƓur, Zagreb, la feuille ... il en a la jumelle sur sa jambe. Ils le lui avaient promis que lui seul partirai.

Pas le temps de sortir de sa rĂȘverie ou alors il en est dans une autre bien plus surrĂ©aliste, bien plus que tout ce qu'il a put voir dans la forĂȘt, plus que les mutants mutilĂ©s ou inversement, plus que la jambe de sa sƓur. Il est face Ă  un groupe de non combattant festoyant, au chef bedonnant qui n'a que l'ennui depuis des ans Ă  combattre.

Valdek hésite un instant, Lasko moins. Ses propos figent l'assistance, le silence se fait, vite rompu par Bosko.

«Cher camarades, la guerre sévit toujours au dehors. Nos amis les résistants auront besoin de plus d'arme face à ce nouvel ennemi. C'est pourquoi ils nous envoient du renfort. Accueillons les comme il se doit. Musique messieurs !»

Le groupe d'éclopé n'a pas le temps de réagir et se fait happer par une multitude de mains, de doigts. De doigts qui par mégarde et curiosité déclenchent une nouvelle fonctionnalité du bras radiophonique de Valdek. D'anciens ragots se font entendre : "Ici Radio Frondaisons ! C'est Vladek le Pouilleux de retour aprÚs une petite absence ! Nous sommes dans un réseau d'abris souterrains, ... "


Luka :

Le bougon mĂ©cano militarisĂ© comprends bien qu'il retombe sur son dos d'expliquer la tortueuse politique des Surfaciens. Et c'est pas jojo. Encore moins alors que le monde entier semble se foutre de sa trogne, que l'Univers lui-mĂȘme se dĂ©termine Ă  nuire Ă  son Oeuvre civilisatrice. Un regard Ă  Lasko, le mercenaire. Mais aussi Ă  ce nouveau dans l'paysage, qu'il a pas encore completement cernĂ©. Le jugement germera bien assez tĂŽt.

"Pfeuh, la guerre. Tu parles que ça reve que de s'egorger la nuit, en surface. Mais ya tellement de boulot pour trouver de quoi grailler un ch'touille qu'on a pas le temps de se concentrer sur les boulots qui en vaillent la peine."

Pas vraiment un pacifiste, le Luka.

"Ya que Belgrade la Juste qui s'bouge le troufignon pour repousser cette saloperie de verdure qui veut nous bouffer tous. Pour l'reste ya les culs bĂ©nis et les paysans. Et j'parle mĂȘme pas de ces saloperies de traitre de la Horde, se sont complĂ©tement fait bouffer par la forĂȘt."


Mais la radio bras commence à bruisser, et il se desinteresse direct de l'actualité.

"CrĂ©vindioĂč, ça a fusionnĂ© avec les chairs ce merdier. J'serais presque jaloux."


Vladek :

Les troglodytes s'agglutinent autour de Vladek. Ainsi donc, c'est lui le mystĂ©rieux radiophoniste qui enjaille leurs jours et leurs nuits ? "Passez La Bamba ! Passez La Bamba !", lui rĂ©clame-t-on Ă  corps et Ă  cris. Vladek ne se sent plus de joie et s'exĂ©cute bien volontiers. Il danse avec Olga et les habitants des profondeurs l'imitent trĂšs bientĂŽt. La rajika coule encore Ă  flots. L'accordĂ©on aigre se mĂȘle au disque rayĂ©. C'est un minuscule moment de bonheur comme on ne sait les apprĂ©cier nulle part aussi intensĂ©ment que dans les Balkans.

Quand la plupart retournent cuver dans leurs couchettes oĂč se remettent Ă  leur poste de travail, fabriquer des fusils et des pistolets pour les rĂ©sistants, Bosko prend Vladek Ă  part : "Regarde l'ami, ce sont des caps. Beaucoup de caps. De toutes les meilleurs biĂšres de l'Âge d'Or. De la Niksicko pivo export, de la Dark Lager, de la Pvas. Avec ça, je peux faire de toi un homme riche. Je veux que tu arrĂȘtes de parler des ragots de ton village et que tu fasses des rapports de la guerre. Je veux que tu parles des bosniaques qui Ă©gorgent des croates dans leur sommeil, des exactions que commettent les serbes, des orthodoxes qui brĂ»lent des musulmans, des mines qui explosent et des snipers qui dĂ©gomment des enfants au petit-dĂ©jeuner. Je veux que tu dises que mĂȘme les arbres de la forĂȘt tirent sur les gens. Partage tes caps avec ton ami Lasko, je pense qu'il te fournira un tas de scoops."

Autour de Bosko, ensommeillés ou industrieux, inconscients de ce qui se trame, les hommes, les femmes et les enfants qui comptent sur sa protection et ses conseils, qui vivent sous son contrÎle et fabriquent des armes pour lui, qui ne sont qu'amour pour Bosko le sage, le bon, le gentil.


Olga :

Olga se laisse entraĂźner dans la folle farandole, profitant de la musique et des danses comme cela n’était guĂšre arrivĂ© depuis
 Probablement jamais. De mĂ©moire dĂ©faillante, elle aurait pu regretter le temps des fĂȘtes au village, mais rien ne lui revient. Un brin d’insouciance malgrĂ© tout rĂ©Ă©quilibrĂ© par moult interrogations en voyant tous ces troglodytes aller et venir, s’affairant avec une improbable et impressionnante collection d’objets de ce vieil Ăąge d’or bĂ©ni.

Aux propos de Bosko, la brodeuse fronce les sourcils, semblant fortement dĂ©sapprouver le marchandage. Bien que trĂšs ignorante sur les choses de l’univers, c’est mĂȘme pire car certains termes ne lui disent rien, comme si ceux-lĂ  n’étaient justement pas du mĂȘme monde !

Qu'on l'Ă©coute ou non, c’est donc toute remontĂ©e comme un coucou et houspilleuse en plus de cela, que la petite bonne femme s’interpose :

« Vladek Joli-CƓur, y raconte que la vĂ©ritĂ© vraie dans sa radio ! MĂȘme qu’il y raconte bien ce qu’il y veut sans qu’on lui dicte sa façon de dire ! Et les gens veulent qu’on leur rĂ©chauffe le cƓur, qu’on leur fasse penser Ă  des jolies choses, et pas aux horreurs
 Pis depuis combien de temps que vous ĂȘtes enfermĂ©s lĂ  ? Jamais vu autant d’objets de l’ñge d’or concentrĂ©s au mĂȘme endroit... »

De tripoter les touches d’un accordĂ©on Ă  portĂ©e de doigts pour en extirper des fausses notes. Certes, quelques instruments lui diraient bien, car ils sont comme autant de trĂ©sors suscitant l'envie, mais ce sont surtout des tas de nouvelles questions qui fusent dans sa petite caboche pleine de courant d’air... Sans aucune conscience du fait qu'en poser trop amĂšne irrĂ©mĂ©diablement des ennuis !

Entre la toge jaune qui offre un ignoble repas dont mĂȘme un chien ne voudrait pas, et ces troglodytes certes plus aimables qu’un ours dans une caverne, la boiteuse a vĂ©ritablement du mal Ă  s’acclimater.

L’ignare finit nĂ©anmoins par se taire, certainement au grand soulagement de certains, pour observer les rĂ©actions du Lasko dĂ©sormais mĂȘlĂ© Ă  l’affaire ; comme des autres qui sauront sĂ»rement mieux qu’elle Ă  quelle sauce ils finiront par ĂȘtre mangĂ©s.


Lasko :

Il regarde et Ă©coute, toussotte comme pour clarifier ses pensĂ©es ou tout du moins en faire semblant et va pour ouvrir la bouche et rĂ©pondre au troglodyte quand la brodeuse intervient. Il ne s'en plaint pas au contraire et accueille le discours avec son habituel demi sourire, peut ĂȘtre plus franc cette fois ci. Il finit par sourire franchement au radiophoniste.

"Ta femme a raison Vladek. Je peux te fournir toutes les histoires sanglantes et glauques que tu voudras. J'ai vu et participé à assez de saloperies pour faire tourner ta radio pendant des heures. Mais c'est à toi de décider exactement ce que tu veux diffuser. Radio Frondaison c'est toi."

Sa main vient effleurer les caps et s'arrĂȘte comme par hasard sur l'un d'eux marquĂ© d'une feuille couleur de rouille. Son index effleure le mĂ©tal et il ressent dans sa peau chaque minuscules traces comme si la piĂšce avait Ă©tĂ© lardĂ©e de coups d'aiguilles et il se tourne vers Luka.

"Tu en penses quoi de tout ça toi ?"


Luka :

Il grommelle. Se voyant dĂ©jĂ  chasser le lynx sauvage avec la troupe, pour eteindre l'une des anomalies de la forĂȘt, et se retrouve dans cette cave sombre Ă  discuter radio potin et autres bilvesĂ©es de gens qui se posent trop de questions. La vie est simple pour le Belgadi. La curiositĂ© tue le chat, et vouloir sortir de sa zone de confort est le premier signe de la folie en MilĂ©vaux.

Il croise les bras. Et répond au mercenaire.

"J'en pense qu'une radio devrait raconter des hauts faits. Motiver le peuple Ă  faire c'qui est juste. SI on veut s'horrificier, on les raconte le soir au coin du feu, les histoires. On peut mĂȘme en inventer.

L'réel est bien plus trash que toutes les histoires que vous pourriez pondre, et ça en vaut pas vraiment le coups."


Mihaljo :

Un vent de folie emporte les feuilles égarées dans un tourbillonnant Kolo effréné. Moment irréel mais joie bien réelle, vite balayée par un poisseux discourt tenu par Bosko. Les avis divergent sur les messages que Radio Frondaisons devrait diffuser : mensonge ou vérité, guerre ou paix.

Cela n'a que peu d'importance pour Mihajlo qui lui y voit une occasion inespĂ©rĂ©e. AprĂšs avoir choisi mĂ©ticuleusement au hasard quelques jeunes plants ainsi que des graines, il arrose le tout de Niksicko pour les faire mitonner dans une vieille casserole en cuivre. Juste le temps que tout le monde prenne un repos bien mĂ©ritĂ© aprĂšs leur nombreuse chevauchĂ© endiablĂ©e et le dĂ©jeuner sera fin prĂȘte.

Chacun se trouve un coin plus ou moins confortable pour roupiller mais la surpopulation laisse peu de choix. Les amoureux s'enlacent tant bien que mal pendant que Vjekoslava vient se coller Ă  Lasko, c'est qu'il lui faudra bien un pĂšre au petit marmot. Quand Ă  Luka et Mihajlo, ils se retrouvent Ă  devoir eux aussi partager un lit Ă  moins que l'un des deux ne cĂšde sa place.

Le sommeil les prends et le temps défile au rythme des aiguilles qui tournent, jusqu'à l'heure du réveil qui vient de sonner.


Vladek :

Chez Vladek, c'est tempĂȘte dans un crĂąne de piaf. En fait, c'est pas tellement les caps qui l'intĂ©ressaient, ou peut-ĂȘtre offrir des belles choses Ă  Olga, qui mĂ©riterait une vraie belle robe plutĂŽt qu'un truc tout rapiĂ©cĂ©, bien qu'il lui fasse confiance pour en tirer le meilleur.

Mais surtout, il s'est demandĂ© un instant s'il ne devait pas un devoir de vĂ©ritĂ© Ă  son public. Que s'il y avait la guerre au-dehors de son village, il fallait en parler. Peut-ĂȘtre appeler les gens Ă  se dĂ©fendre. A se rebeller. A se battre pour la paix. Enfin, tout ça dans sa tĂȘte, c'Ă©tait en des termes plus simples et plus confus comme des tĂȘtes d'Ă©pingles qui lui dardaient dans la cervelle.

Mais ce qu'ont rĂ©pondu les autres l'a fait changĂ© d'avis. MĂȘme Luka avait pas l'air vraiment d'accord pour que Vladek parle de la guerre.

Alors, le lendemain matin, alors que Bosko attend de lui qu'il fasse son premier bulletin de reporter de guerre, le pouilleux lance les caps en l'air et chantonne : "Ici Radio Frondaisons ! Kiril le cuistot a des rats dans ses soupiÚres ! Alma la chaudronniÚre met des crottes de chat dans le métal des clients qu'elle n'aime pas ! Et Nedim le charron fait l'amour avec des biquettes !"

Une femme troglodyte s'avance parmi les autres. "Je m'appelle Adijan la poudreuse. J'en ai assez de fabriquer de la poudre pour des fusils. Je crois que Bosko nous ment sur ce qui se passe au-dehors, je veux vous suivre."

Adijan fait ses adieux aux autres, et tout le monde souhaite Ă  la troupe un bon retour. Des bouteilles de rajika circulent de mains en mains.

Vejkoslava, aprĂšs ramassĂ© un maximum de provisions, fait signe aux autres : "je vous propose de descendre encore un peu dans les souterrains. Il me semble qu'Olga recherche la source de l'emprise et que Mihaljo recherche une plante parfaite. Les deux choses sont intimement mĂȘlĂ©es et je pense qu'on peut les trouver dans les entrailles du complexe. Peut-ĂȘtre aussi qu'on y trouvera une solution pour soigner Lasko qui a Ă©tĂ© polluĂ© par l'huile noire, avant qu'il ne se transforme. Enfin, j'espĂšre. Ensuite, nous irons Ă  Belgrade puisque c'est ce que tu veux, Mecano.

Tout le monde se met en route, et Vladek, alourdi par son bras radio, les suit tant bien que mal. Il ne voit pas que dans son dos, croisant les doigts et crachant par terre, Bosko lui a jetĂ© un sort. Il ignore aussi qu'il a peut-ĂȘtre sauvĂ© les Balkans, car si jamais Radio Frondaisons avait parlĂ© de la guerre, vu le nombre de personnes qui l'Ă©coutent et croient tout ce qu'il raconte, sans doute la guerre s'en aurait Ă©tĂ© trouvĂ© renforcĂ©e, par les lois de l'Ă©grĂ©gore.

Vladek ignore qu'il a sauvĂ© sa terre natale tout en scellant peut-ĂȘtre son sort, comme une aiguille magique plantĂ©e dans le cƓur.


Lasko :

S'enfoncer dans les entrailles de la terre ? pourquoi pas aprĂšs tout. Cela ne gĂȘne pas Lasko. Il s'y sent Ă  l'aise comme un rat dans un tunnel. Ou comme un ours dans sa caverne. Il ne peut toutefois s'empĂȘcher de laisser son esprit vagabonder et les souvenirs Ă©voquĂ©s par le rĂ©cit du vieil Athammaus sur la chute de Commorium se rappellent Ă  sa mĂ©moire et le font frissonner. Heureusement qu'il ne s'agit que de simples contes. Le Dormeur de N'Kai.

Alors qu'il ferme la marche, il voit Bosko faire des signes cabalistiques et ricane froidement. Peut ĂȘtre que les gars du coin peuvent y croire mais le mercenaire n'accorde aucune valeur au chef autoproclamĂ© de la communautĂ© ou Ă  ses pouvoirs. Mais au moins la scĂšne aura chassĂ© le malaise qu'il commençait Ă  ressentir.

Alors qu'ils s'enfoncent dans les souterrains, il sort enfin de son mutisme pour s'adresser Ă  Adijan.

"Tu fabriquais de la poudre mais est ce que tu sais utiliser un fusil ?"


Vladek :

Adijan répond avec l'air le plus assuré qu'elle peut se donner : "On les testait en chassant les rats dans les tunnels. Donc oui, je pense que je saurais me servir d'un fusil."

Les conduits inférieurs sont de plus en plus envahis par la végétation. Une luxuriance illogique d'arbres et de fougÚres qui poussent sans lumiÚre. "Leurs feuilles se nourrissent d'emprise", signale Vejkoslava, décidément bien informée sur les lieux.

Tout ceci attire la curiosité. Les cavités souterraines sont de plus en plus grandes. Des immenses banderoles moisies à l'effigie de Tito, de la faucille et du marteau baignent dans des marais putrides. Des colonnes doriques d'un autre temps, monumentales, érodées et déchues. De gigantesques portails plombés, frappés du trÚfle nucléaire, que recouvrent des lianes de dix mÚtres de long.

Une foule d'oiseaux cavernicoles, blanchùtres, nus et aveugles, s'envolent d'une faille nauséabonde et garnie d'arbres.

Vladek a recommencé à émettre sur Radio Frondaisons, mais sa voix se fait toute petite, intimidée.

"ça doit ĂȘtre par lĂ ", annonce l'Ă©claireuse aux loques en jaune.


Olga :

La troupe s’est agrandie et avec elle, les tunnels menant plus en profondeur dans les entrailles de la terre. Des tunnels ornĂ©s d’une vĂ©gĂ©tation d’autant plus dangereuse qu’elle se nourrit de l’emprise, comme le souligne la toge jaune. Une emprise qui semble la source de tous les maux de ce monde en ruine.

L’emprise qui a certainement servi Ă  crĂ©er la potion ayant monstrueusement modifiĂ© les mutilĂ©s. L’emprise que craint Belgrade, et habituellement les suivants du Christ jaune. L’emprise qui transforme, et ronge, et dĂ©vore tout ici-bas, semblant cause de folie, d’horreurs innommables
 Olga n’est guĂšre rassurĂ©e, et c'est pourtant lĂ  l'ennemi qu'elle s'est choisie.

Si l’égrĂ©gore l’effleure, sentant bien la connexion entre toute chose comme tout le vivant, jusqu’aux pensĂ©es les plus intimes voyageant d’esprit en esprit comme un canevas exĂ©cutĂ© Ă  l’aiguille : la femme monstre aux deux pieds bots ne craint que le trop visible.

Elle craint Lasko qui se changera tĂŽt ou tard lui aussi en une ignominie, n’en dit rien, Ă©vite d’y songer pour ne pas que la pensĂ©e se prolonge jusque dans les autres tĂȘtes, ni ne les inquiĂšte.

Cela la gĂȘne, ce manque d’intimitĂ©. Cela la dĂ©range de ne pouvoir rĂ©flĂ©chir, de ne pouvoir [rĂȘver] toute seule sans que personne ne trifouille sa caboche, de [fantasmer des futurs possibles], d'[avoir un jardin secret]. Ce n’est pas quelque chose d’innĂ©, mais peut-ĂȘtre que la Olga aussi se mĂ©tamorphose encore en dedans.

Elle s’est mĂȘme retenue d'envisager Ă  quoi ressembleraient les enfants qu’ils auront, avec Vladek, quand tout cela sera fini. C’est qu’il ne faudrait pas que son joli cƓur prenne peur, si pour la premiĂšre fois depuis jamais, elle s’autorise enfin Ă  [imaginer], Ă  vouloir [crĂ©er une vie meilleure]. Pour elle, les autres... [Changer le monde ?]

[Créer le champ des possibles !]

Un souvenir surgit alors. Un souvenir que la boiteuse n’est pas certaine d’avoir vĂ©cu. Peut-ĂȘtre l’a-t-elle marchandĂ© autrefois ? Olga est-elle seulement celle qu’elle prĂ©tend ĂȘtre ?

Une autre vieille, un autre lieu. Le visage parcheminĂ© plein de bienveillance, et cette voix douce qui contait de drĂŽles d’histoires sur le fait qu’il aurait fallu aimer la forĂȘt, l’honorer, en prendre soin en Ă©vitant la guerre de l’or noir. Des histoires Ă  dormir debout Ă  propos de gens qui avaient dĂ©couvert que les arbres Ă©taient reliĂ©s comme des familles, et ressentaient des Ă©motions. Les humains avaient oubliĂ© tout cela, pendant que d’autres s’acharnaient Ă  vouloir devenir riches avec de l’huile de moteur qu’on trouvait quelque part dans le sol. La forĂȘt avait probablement commencĂ© Ă  se venger lorsque les plus belliqueux s'Ă©taient mis Ă  faire pousser des trĂšfles nuclĂ©aires partout. La vieille avait dit avoir dĂ©cryptĂ© d’anciennes inscriptions sur de drĂŽles de babioles qu’elle appelait [livres], qui Ă©taient [remplis de feuilles] car dedans, il y avait tous les secrets du monde, mĂȘme si apparemment il avait fallut tuer des arbres pour les fabriquer. Des secrets souvent perdus, lesdites babioles servant de combustible quand venait la saison froide.

Cela avait semblĂ© tordu et tortueux Ă  Olga. Tuer des arbres pour mettre les secrets de l'univers dedans quand il fallait aimer la forĂȘt ? Illogique, mĂȘme ! Elle n'en avait alors rien cru, mais avait gardĂ© l'idĂ©e des livres pour ses broderies sans avoir Ă  tuer qui ou quoi ce soit pour cela, quand bien mĂȘme avait-elle pris deux vies pour d'autres raisons.

C’est au cƓur de ses complexes pensĂ©es que la brodeuse lĂąche un soupir las , entendant une Ă©niĂšme fois Lasko Ă©voquer des armes, des flingues, de quoi toujours tuer plus, encore
 Comme si telle Ă©tait son obsession, comme si tel Ă©tait le centre de son existence.

[Lasko, il ne doit plus avoir de cƓur. Peut-ĂȘtre mĂȘme qu’il est dĂ©jĂ  tout vide Ă  l’intĂ©rieur
]

Au cas oĂč elle penserait trop fort, de revenir bien sagement reprendre la main de Vladek comme pour se protĂ©ger d’éventuelles reprĂ©sailles, tout en restant persuadĂ©e que le pire Ă©tait Ă  venir...


Mihaljo :

Surpris et Ă©merveillĂ© par la scĂšne rĂ©vĂ©lĂ© Ă  ses yeux Ă©berluĂ©s que cette luxuriante vĂ©gĂ©tation entre mĂȘlĂ©e aux stigmates de l'age d'or, ne lui ĂŽta pas l'idĂ©e que les mots de Vejkoslava venait de faire germer.

[Du bétail que l'on mÚne à l'abattoir]. Ne sont ils pas entrain de suivre leur bourreau qui par l'égrégore a senti leur désire de vérité qu'elle voudrait faire taire ?

D'ailleurs ce dernier est soit plus puissant en cet endroit soit certains s'y s'ouvrent et diffusent leurs pensĂ©es. Des mots rĂ©sonnent aux siennes : Le [jardin secret] de Millevaux [rĂȘve], [fantasme] de [changer le monde] pour [une vie meilleure].
Mais meilleure pour qui ?

Il ressent ses deux doigts manquants et doute de la voie prise jusqu'Ă  maintenant, certain il fut un temps du [champ des possibles] de vivre avec cette forĂȘt, si l'homme s’apaisait. Sauf si celle-ci se nourri de l'emprise qu'elle a put rĂ©pendre pour assurer sa survie , apprendre de ces vestiges d'humanitĂ© et crĂ©er l'oubli pour qu'ils ne puissent se servir du passĂ© en l'engloutissant dans les trĂ©fonds de la terre avec elle.

Quelque soit ses doutes sur les origines du mal et sur les [futurs possibles], blanche ou noir elle doit en ĂȘtre.

«Vladek, cesser les ragots et narrer toute la vérité tu dois, sorciÚre Vejkos... »

Une arme a craché, un trÚfle rouge apparaßt alors que pousse des ombres mouvantes, réveillés par le son assourdissant qui ricoche sur les parois de la caverne.


Luka :

Ya des moments, le cerveau cesse de carburer. L’étincelle ne lance plus l'explosion, l'moteur se grippe et les tambours des tempes cessent de battre. Comme si une aiguille avait injectĂ© un sĂ©rum morphinoide.

Et ces voix... Qui ne sont pas les siennes. Qui bourdonnent. Qui fusent, comment autant de balles de fusils traversant son ùme et laissant une empreinte déchirée derriÚre elles.

Son cerveau lutte, faiblement. Le grandiose déchu du Titorisme flamboyant a un impact certain sur le belgadi. Le TrÚfle, Flamboyant, parait briller d'une couleur surnaturelle. Est-ce vraiment sage de s'approcher du feu, tel Prométhée ?
Les yeux brillent, et avec eux le désir d'en savoir plus. Cette curiosité dévorante, ce gui ensemencé qui parasite la raison.

Ce [Jardin des Secrets] pourrait ĂȘtre le [fantasme] d'une vie. Ici, le faste cĂŽtoie le [rĂȘve] et sous les fougĂšres se cache probablement assez d'armes pour [changer le monde]. Car dans ce [champs des possibles], peuvent germer les graines de [futurs] tout aussi [possibles].

Le prouve ce son qu'il connait bien, la poudre flamboyante, l'éclat éphémÚre d'un fût. [Et qui fût, sera]. Il a à peine le temps de se mettre à l'abri, guettant le danger. Probablement des autochtones, des Horlà loin. Des Titoistes ? Un autre coup ricoche. Si ennemi il y a, il voit mal. L'obscurité aidant surement, tels des Morlocks de HG Wells.

Il est mĂ©cano, pas soldat. Comment voulez vous qu'il se sorte d'un guĂȘpier pareil ? Le regard se porte sur Lasko, le guerrier sans poĂčdre. A lui de prouver ses talents spĂ©cifiques.


Vladek :

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Mass V, par Amenra, post-hardcore incantatoire scandé en l'honneur du Dieu-Corbeau.

Vjekoslava s'est écroulée sans mot dire. Elle a chu dans la boue marécageuse, un sourire aux lÚvres, un impact de balle rouge entre ses deux yeux.

La personne qui a tirĂ© s'avance de son poste de tir, dans une balustrade jadis destinĂ©e aux grands discours socialistes, aujourd'hui, c'est juste un nid Ă  oiseaux blĂȘmes couvert de lianes dĂ©goulinantes. L'homme est vĂȘtu d'une tunique faites de draperies rouges entremĂȘlĂ©es, qui lui donnent un air de bĂ©douin. Son arme est un fusil steampunk d'assez gros calibre, couvert de chatterton, de laniĂšres de cuir, avec des manivelles et des soupapes un peu partout. L'homme a le visage grĂȘlĂ©, des sourates du Coran tatouĂ©es sur le front.

Il crie depuis son promontoire :

"Je me nomme Hussein Filipovic et je viens de Sarajevo. Je vous ai sauvĂ© la mise si vous voulez mon avis. Je traque cette espionne depuis un bout de temps. Elle cherche Ă  rĂ©veiller une entitĂ© que les fous de Zagreb appellent le Christ en Jaune. Il est derriĂšre cette porte, il attend en veillant et tient dans sa main la plante suprĂȘme, le trĂšfle nuclĂ©aire, qui dit-on a le pouvoir de transformer en dieu celui qui le consomme, et qui plantĂ©e en terre, rĂ©ensemencerait la planĂšte d'une flore nouvelle. En vĂ©ritĂ©, Vjekoslava voulait vous sacrifier au Christ en Jaune. J'ai amenĂ© assez d'explosifs pour faire pĂ©ter tout ce truc. Aidez-moi Ă  poser les charges."

Un bourlingueur comme Lasko est capable de déchiffrer les sourates tatouées sur le front du sniper. Ce sont des sourates sheitanites. Ce Filipovic vénÚre le Sheitan, celui qui apporte Al-Milval. L'abomination forestiÚre et organique. Le plus discrÚtement possible, Adijan recharge le fusil de Lasko...

Vladek repense aux paroles de Mihaljo. Il serre la main d'Olga. L'effort de réflexion lui fait plisser les yeux comme un lynx aux abois :

"Dire la vérité ? Mais qu'est-ce que la vérité ?"


Lasko :

Une part de lui reconnaĂźt qu'il devrait certainement se dĂ©soler de la mort de leur guide, surtout compte tenu du fait qu'elle leur a sauvĂ© la vie face Ă  la Horde. La vĂ©ritĂ© est qu'il ne ressent pas grand chose et les voix qui se mĂ©langent dans son esprit n'arrangent rien. A se demander si laisser la forĂȘt engloutir le monde ne serait finalement pas la meilleure solution. Ou la moins mauvaise. Il essuie sans y penser, d'un geste devenu machinal, une nouvelle larme noire et se penche tout aussi inconsciemment pour fermer les yeux de la morte. Pas de souffrance et la certitude d'ĂȘtre sur le point d'accomplir son objectif. Pas une mauvaise mort finalement.

Il se relĂšve lentement et sourit Ă  Vladek.

"La vĂ©ritĂ© c'est simple : Vjekoslava Ă©tait une adepte du Christ en Jaune, elle l'a dit elle mĂȘme. Cet homme est un sheitanite, il ne s'en cache pas. Il l'a tuĂ©e, c'est un fait. Le reste ... juste des ragots."

Il hausse les Ă©paules avant de se tourner vers le promontoire.

"Et qu'est ce qui dit que tout faire péter ne réveillera pas .. ce qu'il y a de l'autre cÎté ?"


Olga :

La balle a percutĂ© de plein fouet la femme en jaune, et Olga a un mouvement de recul avec l’envie de fuir. Les viscĂšres en vrac, nouĂ©s, sans encore en ĂȘtre Ă  se pisser dessus. La couardise viscĂ©rale de ceux qui ont envie de vivre ne serait-ce qu’assez pour voir les enfants grandir ou le monde changer. Peut-ĂȘtre s’en lamenter ensuite si cela prend pire tournure sans n’avoir rien fait pour l’en empĂȘcher. Tant pis si c’est dans le dĂ©shonneur et la lĂącheté  Elle dira qu’elle n’avait pas les moyens de ses convictions rĂ©cemment dĂ©couvertes, qu’elle a oubliĂ©, qu’elle ne pouvait rien y faire, que ce n’était pas sa guerre aprĂšs tout


Un pas en avant, dix en arriÚre. Juste par pensée.

Heureusement, la main de Vladek est assez prĂ©sente pour la retenir, et elle s’y accroche toujours autant pour garder solide le rempart contre le reste de l’univers qui parait si hostile.

Bien que ses jambes se remettraient aisĂ©ment Ă  jouer des castagnettes, et sans doute pour ne pas cĂ©der Ă  la panique en se donnant assez de courage, Olga rĂ©flĂ©chit Ă  haute voix. Ce faisant, elle profite peut-ĂȘtre que le bouton de la radio soit potentiellement enclenchĂ©.

« La vĂ©rité  Tout le monde l’a la sienne, non ? Qui a tort ? Qui a raison ? Tout le monde et personne ? P'tet qu'en fait, tout le monde s'en cogne d'la vĂ©ritĂ© ! P'tet que chacun y voit pas plus loin que le bout de son pif en servant ses propres intĂ©rĂȘts, ou en servant les intĂ©rĂȘts de chefs ou de dieux sans rĂ©flĂ©chir par soi-mĂȘme, prĂȘts Ă  mourir pour des causes sans savoir si elles sont justes ou pas ? Ceux-lĂ  n’ont que la vĂ©ritĂ© de leurs chefs ou leurs dieux, pas la leur. Non ? Pourtant, j’ai beau rĂ©flĂ©chir et c’pas facile hein, mais de ce que j’en vois, ça mĂšne toujours au chaos et Ă  la destruction. Et ça, pour ce que ça vaut, c'est MA vĂ©ritĂ© Ă  moi Ă  cet instant prĂ©cis.

Les ragots disent que la folie a l’emprise sur Sarajevo. Du coup, Hussein Filipovic : Quelle est TA vĂ©ritĂ© ? »

Avec un peu de chance ou sur un malentendu, avoir la langue bien pendue pourrait donner assez de temps aux autres pour retourner la situation sans l'aggraver
 Bien que ce soit pas sa guerre, aprùs tout.


Mihaljo :

Écarlate est la feuille qui tombe Ă  ses pieds. Un goĂ»t de fer en bouche, du rouge dans les yeux. Il se sent vieux, las et usĂ©. Compte-t-il au moins pour quelqu'un encore ou n'est-il dĂ©jĂ  qu'une ombre du passĂ© dont plus personne ne se souvient, ni ne l'attend depuis fort longtemps. TĂ©tanisĂ©, le regard fixĂ© sur celle qu'il allait accuser de sorcellerie, il attend. Peut-ĂȘtre espĂšre t il lui aussi une balle, une aiguille mĂ©tallique qui prend si facilement la vie et dĂ©livre le repos ultime. Être libĂ©rĂ© de ce pesant oublie qui efface ce qu’il fut, ce qu’il est et surtout pour qui il a Ă©tĂ© un jour.

Il dĂ©glutit et reste figĂ©, enracinĂ© et dĂ©racinĂ© de ses convictions par les mots de Filipovic, de Lasko et d'Olga, qui sĂšment encore plus le doute. Presque dans un murmure, amplifiĂ© par l’acoustique du lieu, il poursuit ses interrogations.

" La vĂ©ritĂ© cru, Ă©corche, met Ă  nu et fait mal. Celle dont tout le monde se drape, sienne ou pas, n'est qu'un masque, un voile, une illusion pour se cacher Ă  nous mĂȘme. Un leurre pour ne pas voir la rĂ©alitĂ©. Car on veut exister dans le regard des autres, alors on joue un rĂŽle afin d'ĂȘtre vu, reconnu et avoir la sensation de sentir que l'on a une place, une fonction, une utilitĂ© dans ce monde et avoir l'illusion de ne plus ĂȘtre seul et d'ĂȘtre vivant. Mais le somme nous, vivant et pas juste des Ăąmes perdues dans un ramassis de souvenir du prĂ©sent et du passĂ© qui ne nous appartiennent peut ĂȘtre pas ? "

Puis de reprendre d’une voie clair, plus prĂ©sent, de nouveau dans son rĂŽle.

" Raison la ferrĂ© a, sa vĂ©ritĂ© chacun a, mais fantasme d’un espoir commun nous pouvons avoir. Le choix nous avons. "


Du haut de son pupitre rongé par la végétation Hussein Filipovic prend la parole.

" Ma vĂ©ritĂ© est simple, personne ne doit avoir le trĂšfle nuclĂ©aire qui doit ĂȘtre dĂ©truit pour libĂ©rer Sarajevo de l’emprise de la folie."


Une autre déflagration, Bosko a parlé, Hussein chute de son promontoire.

" Vous parlez de vĂ©ritĂ©, voici la mienne. Ce trĂšfle me revient, il est Ă  moi ! Et a personne d’autre ! "

Il s’écarte du groupe qu'il menaçant de son fusil de fabrication troglodyte et se dirige avec la grĂące d’un ours vers la porte massive.


Vladek :

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Dioxydes, par Mlada Fronta, entre Ă©lectro minimaliste et post-indus, une excursion hypnotique dans les citĂ©s et contrĂ©es fantĂŽmes dĂ©solĂ©es oĂč toute vie a abdiquĂ©.

"Non !"

Vladek s'est-il fantasmĂ© en hĂ©ros ? Est-ce que tout ce que les autres ont racontĂ© dans son micro lui a tournĂ© la tĂȘte ? Il se rue vers Bosko pour l'empĂȘcher d'ouvrir le portail qui conduit aux horreurs des siĂšcles passĂ©s, vĂ©gĂ©tales, radioactives et divines. Il le frappe avec son bras mĂ©tallique. La Bamba se dĂ©clenche. Bosko riposte et tire sur le pouilleux en plein cƓur, puis s'Ă©croule, le crĂąne dĂ©foncĂ©.

C'Ă©tait peut-ĂȘtre ça le mauvais sort.

Vladek est dans les bras d'Olga. Sa blessure au coeur saigne fort. Les nano-puces s'activent autant qu'elles peuvent.

Adijan pleure sur le corps de Bosko. C'est plus fort qu'elle.

Vladek attrappe LukĂ  par le col : "Cette fois-ci, mes p'tites puces pourront pas me sauver bien longtemps. RamĂšne-nous chez toi Ă  Belgrade pour qu'on puisse nous marier et que je puisse t'apprendre comment fonctionne les ptites puces... Promets-moi que vous vous en servirez pour faire le bien."

Puis il commence à délirer.

"Schmenka, non... me vole pas ma derniĂšre dent..."

Il est dans le fantasme.


Lasko :

Le bon cĂŽtĂ© de mauvaises nouvelles et catastrophes Ă  rĂ©pĂ©tition c'est qu'on finit presque par s'y habituer. Lasko a l'intuition que ça n'est pas une marque profonde d'appartenance Ă  l'humanitĂ© mais au point oĂč il en est, il n'est pas sĂ»r qu'il ait des raisons de le regretter. Il se contente de rĂ©agir de son mieux et pour l'heure sa prioritĂ© est de sortir les autres de lĂ .

Il laisse tomber une bonne partie de son paquetage sur le sol sans trop d'hĂ©sitations et va charger le corps du radiophoniste. Il n'arriverait pas Ă  porter les deux de toute façon. Il ne garde que son couteau et son vieil automatique, il n'est pas encore prĂȘt Ă  se laisser dĂ©sarmer.

"T'as entendu le monsieur Luka. Indique nous le chemin pour Belgrade."

Il grimace un rictus Ă  demi ironique avant d'ajouter.

"Et dĂ©pĂȘche toi, je sais pas ce qu'ils mangent dans la forĂȘt mais il pĂšse son poids. Ou alors c'est sa radio. On n'a pas le choc des photos mais il y a certainement le poids des mots et des ragots."


Olga :

Le temps semble s’échapper.

Elle n’a pas vu Bosko les suivre et se jeter sur le portail. Juste une ombre avant que Vladek ne se rue sur l’importun. Une balle en plein cƓur pour l’un. Des morceaux de cervelles Ă©parses maculant la roche et les branchages pour l’autre.

Un hurlement grotesque d’ours blessĂ© ou de lynx enragĂ© retentit, animal et dĂ©sespĂ©rĂ©.

C’est la boiteuse affolĂ©e qui voit son radiophoniste chuter.

Stigmate de la peur. Peur de perdre l’amour Ă  peine retrouvĂ©. Peur des vains rĂȘves Ă©chouĂ©s sur la grĂšve.

Lasko soulĂšve l’homme qu’elle aime alors que le hurlement se rĂ©percute encore.

Le hurlement se rĂ©percute, et avec lui, n’existe plus un unique Hussein Filipovic. Il en existe dĂ©sormais plusieurs. Tous jumeaux. Tous armĂ©s. Tous rĂ©citants d’obscures sourates.

Tous menaçants la troupe de bras cassĂ©s. Tous prĂȘts Ă  tirer.

Six. Ils sont six. Figure d'une hydre diabolique ou d’harmonie ?

Six. Comme le sont ceux qui se sont engagĂ©s trop loin dans les entrailles de la Terre. Un pour chacun.e dans un Ă©pineux face-Ă -face. D’une seule voix enfin :

« Vous n’avez plus le choix. Vous devez poser les charges. Ensuite, et ensuite seulement, nous vous laisserons partir pour Belgrade. »

PaniquĂ©e, Olga jette des regards tant Ă  Vladek qu’au portail. Il n'est plus question de curiositĂ©. Ses lĂšvres se posent sur le front de son joli-cƓur. EnvolĂ©s les bonnes rĂ©solutions ou le vague sursaut de conscience alors qu’elle fait mine de vouloir s’exĂ©cuter. Cette histoire de plante miraculeuse n’est pas non plus tombĂ©e dans l’oreille d’une sourde
 Et si cela existait ? Et si cela pouvait le sauver mĂȘme si l’immortalitĂ© semble terriblement longue Ă  bien y rĂ©flĂ©chir ? Tout espoir est-il si vain ?

Une seule et unique solution pour en avoir le cƓur net...

Elle se dĂ©cide. Elle tente alors d’ouvrir le portail sans user du moindre explosif, sans poser la moindre charge.

C’est Ă  ce moment prĂ©cis qu’à la place du corps de Bosko, la vieille Schmenka se relĂšve. Un collier de dents Ă  la longueur infinie entre les doigts...


Luka :

Quelle frustration. Désarmé. Devant subir derriÚre son promontoire les coups de feu et les divagations croyantes d'une série de prédicateurs toujours plus zélés. Il était mécanicien, pilote à ses heures, mais certainement pas guerrier.
Si le feu coulait toujours dans ses veines, il cÎtoyait désormais une sacré douche froide. En allumant la radio ce matin, il n'escomptait certainement pas ce genre de finalité trop finale à son gout. Vladek s'écroulant encore, fleurtant plus souvent avec la mort qu'à son compte.


La passivité s'imposait, tant par lùcheté que par sidération. Des animaux avaient rejoins la danse, que diable. Que Sheitan ? Il l'aurait descendu, pour sur. Mais laisser le statut quo à quelqu'un d'autre ? Rah que de surplace, d'embourbement dans les méandres d'une réflexion trop approfondie.

"ForĂȘt me tue... Un pas-mort. Manquait plus que ça."

Le mot zombie Ă©tait tombĂ© dans l'Oubli, c’était un fait. Voir une trĂ©passĂ©e se lever, une trĂ©passĂ©e qui n’était pas lĂ  tantĂŽt. Des profanateurs hexuplĂ©s. Des spores. Cette foutue forĂȘt devait leur balancer des spores hallucinogĂšnes. Ce ne serait pas la premiĂšre fois qu'elle se serait adaptĂ©e pour foutre le boxon dans le tĂȘte des braves gens.


"Vladek, sac Ă  puce, t'as pas intĂ©rĂȘt de claquer maintenant."


Un corps humain, c'est une mĂ©canique pas vrai ? Surtout si ya des pĂčces improbables. Alors il essaie de faire garrot de ses mains, retenir le plus de ce fluide carmin qui souille les cannelures du sol d'un sillon ferreux. S'il fallait un sacrifice de sang pour le Christ en Jaune, il buvait Ă  sa guise. Un tuyau reste un tuyau, une pompe une pompe. Non ?
Mais il n'allait pas le laisser faire. Ah ça non ! Bordel. La sidĂ©ration avait Ă©tĂ© remplacĂ©e par un flot d’adrĂ©naline aussi dĂ©lĂ©tĂšre qu'indispensable Ă  la survie du moment.


Vladek :

Des spores hallucinogÚnes ? C'est possible mais Vladek est incapable d'avoir une interprétation des faits aussi rationnelles.

"Il faut que vous teniez tous tĂȘte Ă  votre ennemi intĂ©rieur... Moi je l'ai dĂ©jĂ  fait... Chacun son tour..."

Luka lui gueule de se taire pendant qu'il s'acharne Ă  rĂ©parer son corps comme un rĂ©pare un moteur foutu. Il ne fait pas de miracle, mais les mains et le torse couverts de sang, il arrive Ă  stabiliser le Pouilleux. Juste assez pour qu'il tienne sa promesse de les suivre jusqu'Ă  Belgrade. LĂ -bas, peut-ĂȘtre si on trouve un super toubib... Comme le Docteur Mladik, qui commence Ă  en savoir long sur le corps humain aprĂšs toutes les expĂ©riences dĂ©gueulasses qu'il a faites...

Mais tout ça a transformĂ© le mĂ©cano. Il se dĂ©couvre une affection pour le Pouilleux. Ce n'est plus seulement un artefact technologique sur place. C'est devenu un ĂȘtre humain Ă  ses yeux. La carapace de LukĂ  est-elle en train de se dĂ©chirer ? L'ours va-t-il se laisser apprivoiser...

En attendant, la Shmenka-pas morte et les snipers hexuplés se rapprochent.

Est-ce vraiment l'effet de spores hallucinogĂšnes ? Est-ce que cela vaut le coup de miser lĂ -dessus ?


Mihaljo :

" Vladek ! " Personne ne l'entend, soufflĂ© par cette criante vĂ©ritĂ© d'instinct primaire : Le hurlement d’un lynx que l’on Ă©gorge Ă  moins que cela ne soit la boiteuse.

Des sextuplĂ©s, voilĂ  dont est capable l'emprise, [l'emprise], [l'emprise], ... Ces mots martĂšlent son crĂąne, ricochent, rebondissent en tous sens, enfin il reconnaĂźt la voix, Vjekoslava. Elle est encore lĂ , sous une forme ou une autre et le guide. Cela rĂ©sonne sans fin dans sa tĂȘte, de plus en plus en fort. Il doit agir, il doit aider Ă  Olga Ă  ouvrir la boite de Pandore et voir ce que le trĂšfle nuclĂ©aire cache en son sein.


Il court, se heurte Ă  un des six qui veut l’arrĂȘter, le saisi et l'emporte avec lui dans un effort dont il ne se sentait plus capable et ils chutent tous deux comme une clĂ© anglaise dans un massif de fougĂšre gĂ©ante, qui les englouti et les dĂ©vore d’une faim d’ours.

[L'emprise], [l'emprise], [l'emprise] 
 Finalement il est recrachĂ©, lavĂ© de toute souillure et revigorĂ© comme s'il a regagnĂ© ses vingt ans. Olga et la porte ne sont plus loin, il voit un point lumineux sur le cĂŽtĂ© mais n’as pas le temps de s’en prĂ©occuper. Une vieille qu’il ne connaĂźt pas se lĂšve Ă  la place de Bosko. ParĂ©e de toutes ces dents mais des siennes qu’à moitiĂ©, tout comme son visage dĂ©vorĂ© par des vers peu reluisants, Ă  la diffĂ©rence de ses plantules devenues luminescentes qui semblent l’attirer. Peut-ĂȘtre espĂšre-t-il que les moustiques se grilleront contre lui, s’il n’est pas consumĂ© par ses jeunes protĂ©gĂ©es enracinĂ©es profondĂ©ment en lui.


" Six, plus une, moins un. " Adijan compte Ă  haute voix. Il y a peu elle rĂȘvait de libertĂ©, maintenant elle espĂšre juste s’en tirer. Fusils steampunk contre fusil troglodyte, le problĂšme n’est pas le matĂ©riel mais le nombre, trop peu et que faire. Deux clans se dessinent, les fuyants et les insensĂ©s mais il y a trop longtemps qu’elle fuit elle aussi la rĂ©alitĂ©. Ses tirs tissent une couverture Ă  la brodeuse.


Lasko :

Le chaos rĂšgne. DĂ©tonations, gĂ©missements d'agonisants, hululements de dĂ©ments, grognements d'ours, feulements de lynx. Lasko doit se faire violence pour ne pas porter les mains Ă  la tĂȘte, pour ne pas essayer de tenir le vacarme Ă  l'Ă©cart. Le pire c'est qu'il ne sait mĂȘme plus quelles sont celles qu'il entend rĂ©ellement et celles qu'il imagine ou celles dont il n'entend que les souvenirs.

Etrangement, c'est le comportement de la troglodyte qui lui sert d'ancrage. Malgré la situation, elle n'a pas flanché et échange des coups de feu avec les apparitions. Un sentiment de profonde honte l'envahit devant sa propre inaction et il dégaine son automatique pour couvrir à son tour la progression de la brodeuse. Pas qu'il pense qu'elle ait une idée particuliÚrement bonne mais il faut bien mourir de quelque chose et il a pris soin de garder une balle à part pour se ménager une porte de sortie.

Pour l'heure, il se prépare à presser la détente et une grimace convulse son visage alors que la silhouette inhumaine de Shmenka apparait en plein dans sa ligne de mire.


Olga :

[L’emprise]

Tambour battant. CƓur de la nouvelle Terre. CƓur de la nouvelle ùre. Funeste.

Essence de folie et de haine

Qui se rĂ©pand dans les veines du monde, l’aspire, l’absorbe et le rĂ©gurgite.

[L’ennemi]

Olga plisse les paupiùres face au portail qui ne cùde pas d’un pouce. Ses forces de femme monstre ne sont pas celles d’un ours.

Avec ses fers aux pieds cognant au sol comme les sabots d’un satyre, la crĂ©ature se dĂ©bat, se dĂ©mĂšne avec pour seule motivation : la promesse d’un miracle incertain. Vouloir sauver Vladek au-delĂ  de Belgrade avec la plante miraculeuse. Toujours. Y croire.

Toute obsĂ©dĂ©e qu’elle est, la boiteuse ne prĂȘte plus attention aux propos chuchotĂ©s, Ă  ce nom de mĂ©decin qui ne lui dira rien.

Si la couverture de balles la protĂšge, les dĂ©tonations la font nĂ©anmoins sursauter. Les mains d’un autre fou se joignent aux siennes, et ces mains-lĂ  pourront ouvrir le portail, elle en est presque sĂ»re.

Six. Ils Ă©taient six. DĂ©sormais, ceux qui restent arborent les visages de ceux qui leur font face comme de parfaits doubles. Des parfaits clones ou jumeaux. Un pour chacun.e.

[Intérieur]

Les arpenteurs des profondeurs sont cernés.

Le Luka armé de charger le Luka à la clef anglaise.

Le Lasko armĂ© de foncer sur le Lasko prĂȘt Ă  fuir.

Et l’égrĂ©gore tisse une toile de mots, de reproches, de souvenirs douloureux, de mĂ©faits commis. Coupables, ils le sont tous mĂȘme s'ils ne le savent plus ou pas encore ! Des voix tellement familiĂšres qui rĂ©sonnent Ă  l’intĂ©rieur des crĂąnes, allant jusqu’à s’insinuer dans le cƓur des Hommes.

Adijan frĂ©mit et continue de tirer : « Tu n’y Ă©tais pas ! Tu n’es pas moi !»

Deux de moins.

Olga risque un regard et, les yeux Ă©carquillĂ©s, se retrouve face Ă  un visage familier. Ce presque parfait miroir maudit qui la tient par la gorge, tentant de l’étrangler.

«- Poser les charges, on a dit. Encore une fois, tu triches, tu mens, tu te dĂ©files. Tu m’as volĂ© mes souvenirs, ma vie et regardes ce que tu en as fait. Pauvre merde ! MĂȘme pas foutue de faire ce qu’on lui demande
 Et puis quoi ? Tu vas te remettre Ă  chialer comme tu l’as fait depuis tout ce temps ? Tu me dĂ©goĂ»tes ! Tu ne mĂ©rites pas de vivre
 Salue notre pĂšre pour moi »

L’emprise se resserre autour du cou, l’étoufferait presque. Un duel s’engage comme le sont les bagarres de cours d’école. Une bagarre de chiffonniĂšres. Cheveux tirĂ©s, coups de pieds, et autre joyeusetĂ©s. La mĂȘlĂ©e s’éloigne du portail, disparaĂźt derriĂšre des branchages. Aiguille contre flingue. Pile ou face.

Nouveau coup de feu. Et une brodeuse, hagarde, aux cheveux hirsutes et les habits maculĂ©s de sang qui parvient enfin Ă  s’extirper de l’échauffourĂ©e


Trois de moins.

Les tĂȘtes coupĂ©es de l'hydre ne semblent pourtant pas repousser.

Pendant tout ce temps, Schmenka observe, s’approche mĂȘme de la petite bonne femme avant de dĂ©clarer avec dĂ©goĂ»t, sans pour autant prononcer le moindre mot en l'absence d'une partie de son visage : " Haaa ! Ces dents-lĂ  n’iront pas avec les autres ! », pour se dĂ©tourner vers Luka et Lasko : «Il suffit Lasko, tu n'oserai tout de mĂȘme pas faire de mal Ă  ta vieille nourrice... Hm ? Offrez-moi donc une dent, et vous serez libres ! Celles du fond-lĂ , elles ne vous sont pas trĂšs utiles ! »


Vladek :

Les balles fusent de partout. Comme Lasko a lĂąchĂ© Vladek pour prendre part aux tirs parmi les colonnes effondrĂ©es couvertes de lianes et les marais oĂč poussent les palĂ©tuviers blafards qui dĂ©gueulent une exuvie noire, le pouilleux est par terre, les genoux sur le bĂ©ton et le nez dans l'humus, tremblant, ramenĂ© Ă  la moitiĂ© de lui-mĂȘme. Au milieu des sifflements des projectiles et des bruits des douilles, il gueule dans le micro de sa radio : "Ici Vladek le Pouilleux pour Radio Frondaisons ! Tout va bien dans le village. La vieille Schmenka complĂšte sa collections de dents. Olga la brodeuse coud sa robe de mariĂ©e avec des loques et des toiles de parachute."


Une femme s'avance vers Luka, armĂ©e d'un fusil steampunk. Enceinte, vĂȘtue d'une toile grise de prisonniĂšre frappĂ©e d'un numĂ©ro, maigre et bouleversĂ©e. "Tu me reconnais, mĂ©cano ? Je suis Caslavka Krasniqi, la vanniĂšre du quartier de Mladenovac. Tu m'offrais des bouquets de tiges filetĂ©es et de boulons pour me faire rire et me sĂ©duire. Tu m'as amenĂ©e danser au bal pour la fĂȘte des moissons. Tu m'as embrassĂ©e. Et puis tout le reste... Mais quand ton boss a dit qu'il fallait me recruter dans "les usines de reproduction", t'as bien fermĂ© ta gueule et tu l'as laissĂ© faire.

Alors bien sûr je ne suis qu'une vision générée par l'égrégore concentrée ici à cause des spores toxiques.

Et si tu me tues, alors votre problÚme sera résolu. Vous pourrez passer outre et rentrer à Belgrade avec ton pouilleux aux puces d'or.

Et c'est que tu vas faire bien sĂ»r. Un bon coup de clef anglaise sur la tĂȘte. Vas-y, je suis prĂȘte.

Vas-y, fais-le, et plus personne ne vous obligera à poser ces explosifs, et Olga pourra ouvrir la porte et satisfaire sa curiosité."


Lasko :

Le doigt de Lasko se crispe sur la dĂ©tente quand la vieille Shmenka lui parle et il tire par pur rĂ©flexe avant d'avoir le temps d'assimiler ce qu'elle disait. La balle va fracasser le crĂąne d'un ennemi juste Ă  cĂŽtĂ© de la vieille nourrice et dans la mĂ©moire brouillĂ©e du mercenaire le visage de sa derniĂšre victime se mĂ©lange Ă  celui de l'enfant abattu dans la forĂȘt et Ă  ceux de dizaines d'autres dont il ne connait mĂȘme plus le nom mais qui lui semblent tous ĂȘtre ses jumeaux.

Il dĂ©signe d'un hochement de tĂȘte le corps de la chose qu'il vient d'abattre.

"Il y a lĂ  toutes les dents que tu peux vouloir."

Il en dirait plus mais se tait soudainement quand il réalise que son bras droit pend inutilisable à son cÎté et que la manche de sa veste dégouline d'un fluide visqueux, translucide et parcouru de veines noires. Machinalement, alors qu'il essaye de comprendre ce qui vient de se passer, il fait passer l'automatique dans sa main gauche et se fige quand son bras effleure la boßte pendue à son cou et qu'il se souvient brusquement qu'il a encore une dent à donner.


Mihaljo :

Trois enjambĂ©s, deux mains, une folie. Les pieds s'enfoncent, s'enlisent dans cette mĂ©lasse noirĂątre et gluante dont l'odeur est pestilentielle. Une fois la vieille souche enracinĂ©e, les extrĂ©mitĂ©s de ses doigts poussent, Ă©pousent le rebord de la porte et s’immiscent dans le joint. Les feuilles poussent Ă  vu d’Ɠil, voraces d'emprise. La peau se craquelle et s’épaissit, les muscles crissent, couinent, grincent, claquent et finalement craquent en mĂȘme temps que la porte.

Des éclats de bois volent accompagnés d'un lourd et épais nuage qui envahit lentement l'espace. Sous la pression contenue, la plaque au trÚfle nucléaire a volé à travers la grotte emportant tout sur son passage, comme ce qui y était agrippé. C'est l'automne, les feuilles roussissent, bientÎt l'hiver sera là.

Le nuage se rĂ©pand, coupant la vue Ă  certain, occasion que saisi Adjin pour rejoindre le trio. Un, deux, trois, la tĂȘte vole en Ă©clat. Le corps s'enfonce lentement dans le bourbier, un demi regard rĂȘvant encore de libertĂ© fixe Valdek.


De fil en aiguille leur histoire s'Ă©crit sur des petits bouts de tissu, la main de la camarde tisse, brode mais commence Ă  ĂȘtre Ă  court de fil.

[KLING ! KLONG !]

Le martellement d'une clé anglaise ou stigmate d'un présent pas si passé ?

[KLING ! KLONG !]

Bruit des aiguilles du temps qui tournent ou des armes qui vomissent leurs douilles ?

[KLING ! KLONG !]

Une ombre se forme et sort lentement.

[UN, DEUX, TROIS, ...]


Luka :

Ah l'esprit embrumé qui peine à pointer le nord. Vladek le mourrant, Olga la Timbrée, la Mauvaise Graine et le Mercenaire Gauche, continuaient de vivre leurs vies, à base de trefle nucléarisé, de grand ancien à gueule de lynx. Un anubis?
Et elle est lĂ . Cette fille qui l'a rendu Homme. LĂčka etait tombĂ©e sous le charme Ă  l'Ă©poque, outrepassant la doctrine belgradite asservissant les femmes. Il faut dire que les dependances agricoles de la vieille ville sont plus souples. La faute Ă  une presence militaire ne pouvant ĂȘtre aufour et au moulin. La faute aussi Ă  cette doctrine qui veut que seules les bonnes pondeuses soient selectionnĂ©s. La poitrine riche, le bassin large. La future armĂ©e de la RĂ©volution ne peut se compromettre avec des petites tĂȘtes rachitiques et la mort funeste des incubatrices designĂ©es volontaires.

Il pointe le doigt vers l'apparition, qui ne se cachait mĂȘme pas d'etre issue de sa psychĂ©e tordue. Il gueule.


"Tu devais contribuer Ă  l'Avenir ! Nous donner les moyens de lutter contre la forĂȘt ! Tu n'etais comme moi qu'un engrenage d'un monde plus complexe ! Et tu l'avais compris !"

Qui essayait-il de convaincre ? Lui-mĂȘme ? La main cherche et fini par se reffermer sur l'Outil. HallucinĂ© ? Il ne sait, c'est fort comode.


"Le bien commun... C'est notre idéal."


Bordel. Il avait devellopĂ© trop d'empathie Ă  ĂȘtre si proche de ces gens chaloupĂ©s. CelĂ  avait un effet instable sur son mental, le laissant s'ouvrir Ă  des constats peu agrĂ©ables.

Se prenant la tĂȘte, souffrant clairement, il fini par lancer l'objet du dĂ©lit. En direction de l'odieuse tourmentrice.

Pile ou face.

Face ou Pile.

Un choc, et il deviendrait ce monstre fascisant pret Ă  sacrifier ses emotions pour le Kollectif.


Un échec, et il serait obligé de faire face à son passé, et aux horreurs qu'il etait pret à justifier.


L'inconscient aura décidé pour lui. Une deviation au dernier moment ? Une precision funeste ?

Et bien...


Un bruit sourd.


Vladek :

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Nag Bdud Ceremony, par Phurpa, des chants bouddhistes tibétains, d'une voix inhumaine et monocorde, de profonds chants de basse qui résonnent à travers la moelle, une muraille sonique transcendante, psychotrope.

KLONG !

Étonnant le bruit fort et minĂ©ral que peut faire le choc du mĂ©tal sur un crĂąne. Caslavka chute en arriĂšre, son front rouge de sang. L'impact a Ă©tĂ© suffisant pour lui fissurer l'os sous la peau.

Elle tombe. Étonnant le bruit lourd que fait la chute d'une femme enceinte sur la grande dalle qui les sĂ©pare de la porte.

Elle pourrit Ă  toute vitesse, se couvrant de mouches puis d'asticots. Ce n'Ă©tait qu'un fantĂŽme aprĂšs tout. La vraie Caslavka est toujours Ă  Belgrade.

Shmenka prend la boßte de Lasko qui contient sa premiÚre dent. Elle l'en extirpe et l'incruste dans ses gencives. "Merci petit, fais attention à toi et aux autres, maintenant." Et elle s'écroule à son tour et pourrit comme une charogne en accéléré.

La porte frappée du trÚfle nucléaire, de la faucille et du marteau, semble toujours les attendre, cyclopéenne, impavide. Les gigantesques colonnes doriques percluses de lianes et de lierre semblent soutenir la totalité du monde.

Vladek s'aggrippe à Lasko : "Mihaljo, Olga, nous sommes débarassés des fantÎmes. Allons à Belgrade...

Ne cédez pas à la curiosité et au fantasme... N'ouvrez pas la porte."


Olga :

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Une belle journée - Nicolas Dick

VĂ©gĂ©ter Ă  en devenir vĂ©gĂ©tale, croit-elle. L’impression d’un cauchemar sans fin oĂč les branches s’infiltrent et glissent Ă  travers les pores de sa carcasse ; pour de sa sĂšve, se nourrir Ă  foison comme des stryges assoiffĂ©es du sang qui pulse encore. La sensation d’une peau devenue Ă©corce, de cheveux se mettant Ă  pousser, pousser, pousser encore jusqu’à s’emmĂȘler, se divisant pour mieux se ramifier. Pousser ! pousser ! pousser ! Grandir avec cette brĂ»lure incisĂ©e sous et sur la chair, s’ancrer de ses racines, pieds lourds d’avoir trop marchĂ© pour happer l’indicible rĂȘve. Fleurir enfin, encore au printemps de sa vie, et se couvrir de feuilles, de bourgeons prĂȘts Ă  Ă©clore alors qu’une brise vient souffler sa sĂ©rĂ©nade se mĂȘlant aux multiples trilles guillerets d’oiseaux bavards. MĂ©lopĂ©e ou litanie se mettent Ă  rĂ©sonner aux oreilles de la femme-arbre dĂ©sormais rĂ©unifiĂ©e, connectĂ©e Ă  l’originel, libĂ©rĂ©e de sa condition de simple humaine. Une femme-arbre devenue ou qui deviendra une fantaisiste broderie sur un morceau d’étoffe


Si le songe Ă©veillĂ© ne rejoint pas la rĂ©alitĂ© : l’image s’estompe des pensĂ©es chahutĂ©es.

Olga a peur. Elle a cru mourir, mais croit renaĂźtre dans l’étrangetĂ© de l’instant. Ses yeux fixaient jusqu’à prĂ©sent cette porte obsĂ©dante ayant semblĂ© s’entrouvrir dans un terrible fracas. Peut-ĂȘtre est-ce le cas ? N’y avait-il pas lĂ  une monstrueuse silhouette nimbĂ©e de tĂ©nĂšbres ? Dieu oubliĂ© ou horla dĂ©sespĂ©rĂ© ?

[Une ombre frĂȘle et vacillante. L’impasse de l’emprise. PiĂšge Ă  rĂȘves ?]

La voix rassurante de Vladek la ramĂšne pourtant Ă  la raison, cisaillant de part et d’autre la gangue de silence dans laquelle s’enfermaient la brodeuse et son tumulte. Brodeuse encore dĂ©passĂ©e par la tournure de cet incroyable pĂ©riple.

[Changer le monde : est-ce d’abord se changer soi-mĂȘme ?]

Sa menotte revient se blottir dans celle du radiophoniste, comme on confie sa vie ou lĂąche prise sans pour autant s’avouer vaincu, car elle a trouvĂ© rĂ©ponse Ă  sa quĂȘte prĂ©tentieuse.

Juste de la confiance pour se laisser guider vers cette Belgrade promise, prĂ©tendument loin de l’emprise. Bastion de rouages et d’écrous, de clefs anglaises et de vieux soldats fous.


OĂč on le soignera, et oĂč ils se marieront.

« Je ne voulais ni ne veux te perdre, Vladek
 Cette idĂ©e m’est insupportable. »

Elle range enfin sa prĂ©cieuse petite aiguille tachetĂ©e d’une rouille ensanglantĂ©e, comme une Ă©pĂ©e qui retourne Ă  son fourreau. Ses prunelles se dispersent entre le mercenaire, le dĂ©boulonnĂ©, et le sorcier dans un moment d’hĂ©sitation.

[Le chemin plus que la destination ? Partons maintenant tant qu’un souffle nous anime encore.]

Et sur un parchemin de pensĂ©e tissĂ© par l’égrĂ©gore, s’esquisse la broderie d’un trajet dans lequel s’engouffre Adijan, pour mieux pousser les autres Ă  lui emboĂźter le pas.


Lasko :

Lasko panse soigneusement la blessure qu'il a au bras. Vu la sĂšve noire qui coulait de la plaie, il a ses doutes sur ses chances de rejoindre Belgrade mais il n'est pas prĂȘt Ă  se laisser aller. Il se concentre sur l'image du fruit d'un arbre aux feuilles d'acier tourbillonnantes autour d'un tronc de lumiĂšre. Fin ou commencement.

Les poches de chargeurs vides rejoignent l'humus et la boue sur le sol, vestiges d'un passé qu'il a l'impression d'abandonner à chaque pas.

[Se changer soi mĂȘme ?]

Il laisse Ă©chapper un demi ricanement ironique. Qu'il le veuille ou non, il est parti pour changer rapidement au train oĂč vont les choses. Dans ses pensĂ©es, l'image de l'arbre donne naissance Ă  celle d'un ananas de mĂ©tal cuivrĂ© et il se surprend Ă  sourire plus franchement alors qu'il s'accroupit de nouveau pour reprendre Vladek sur son dos.

"Va pour Belgrade, le radiophoniste. Vais te porter sur un bout de chemin, paraßt que c'était conseillé par le Christ d'avant."


Vladek :

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s/t, par Jarboe & Helen Money, le chant féminin de Jarboe, aussi désincarné qu'omniprésent, le violon d'Helen Money, parfois fragile parfois massif, le chant et la blessure du cygne dans une seule élégie.

Ainsi les fantÎmes ont été vaincus. Olga et Mihaljo ont entrevu ce qu'il y avait derriÚre la porte, et c'était plus porteur de menace que d'espoir.

Alors tout le monde a suivi le mecano vers Belgrade.

Le voyage n'a pas Ă©tĂ© de tout repos, avec la blessure mortelle de Vladek, avec les dangers de la route, Ă  remonter des profondeurs, Ă  traverser la forĂȘt garnies de fruits explosifs et hantĂ©e par une faune grotesque. Mais tous se sont tenus les coudes. Le fusil de Lasko a Ă©tĂ© d'une grande aide, et Adijan a Ă©tĂ© une parfaite assistante logistique.

Puis Belgrade se dégagea enfin de la brume. Construite sur des ruines et des ruines, garnies de remparts et de barricades sans cesse pris d'assaut par les arbres. Ils purent rentrer dans la forteresse inexpugnable grùce à l'appui de Lukà. A l'intérieur, des rues étroites et nettes, et des passants affairés. Pratiquement que des hommes. Les femmes ? On ne voit que des vieillardes, des enfants et des handicapées. Beaucoup de bùtiments sont fermés à double tour. Les affiches dégueulent de slogans paranoïaques.

Durant le voyage, Olga a tissĂ© de bric et de broc une robe pour elle et un complet pour son joli-coeur. Le prĂȘtre accepte de les unir au titre qu'"Olga est une handicapĂ©e."

Seuls les survivants de cette aventure se joignent Ă  la cĂ©rĂ©monie dans une Ă©glise trop grande pour eux, oĂč des branches percent les vitraux. Vladek est trĂšs pĂąle et se tient Ă  Olga pour ne pas tomber.

Luka, Lasko, Mihaljo et Adijan ont Ă©tĂ© les tĂ©moins. Les deux idiots n'auraient pas rĂȘvĂ© mieux.

C'est comme si l'esprit de Shmenka flottait par lĂ  aussi.

Vladek soulĂšve le voile rapiĂ©cĂ© d'Olga et l'embrasse avec maladresse, conscient que c'est peut-ĂȘtre un de ses derniers baisers. Son bras se met Ă  diffuser La Bamba. Adijan invite Lasko Ă  danser, il s'y prĂȘte de mauvaise grĂące, mais finalement, mĂȘme Luka sautille un peu sur ses pieds en gromellant comme un ours.

Ensuite, le chef de Luka les reçoit tous dans son QG. Il est trĂšs heureux de l'expĂ©dition, alors qu'il n'y croyait pas des masses au dĂ©part, soupçonnant mĂȘme une tentative d'Ă©vasion de la part du mĂ©cano. Mais l'apport des nano-puces est au-delĂ  de ses espĂ©rances.

"On va faire appel au Docteur Mladik, il va te le remettre sur pied ton Pouilleux et il pourra nous apprendre Ă  nous servir des nano-puces, pour la grandeur des Belgadi...

Mais d'abord, on va te réquisitionner, Adijan. Tu seras parfaite pour rejoindre le camp d'incubation."

Lasko ressent un picotement dans sa nuque, comme une aiguille.


Lasko :

Lasko conserve son habituel demi sourire pendant toute la cérémonie. Sous sa veste rapiécée, il peut presque sentir ses veines charrier son sang malade et propager ce qui le ronge de l'intérieur à travers tout son corps mais il se sent presque bien. Pour la premiÚre fois depuis longtemps, il se sent en paix. Le climat de la ville ne le surprend pas particuliÚrement ni le comportement du chef du mécano. Une partie de son esprit s'y attendait depuis que Luka a parlé de Belgrade.

"Vous savez, je devrais vous montrer quelque chose avant que vous ne décidiez de l'envoyer dans un camp d'incubation. Les nanopuces ne sont pas la seule chose que nous avons ramené, ça devrait vous intéresser."

Il sort de sous sa veste l'aiguille que la vieille Shmenka lui a confié.

"Vous voyez ça ressemble à une simple aiguille. Mais, attendez un instant..."

Sans cesser de parler ni de sourire, il se rapproche du chef et fouille dans son sac.

"Ah voilà. Juste un gadget que j'ai récupéré .. Donc si j'introduis l'aiguille ici .."

Clic.

[Vous devriez vraiment quitter Belgrade vous savez. Les nanopuces ne les sauveront pas.]

"Dix."

Alors qu'il enlace l'homme dans une étreinte d'ours, Lasko se surprend à regretter que la mécanique qu'il vient d'active soit dépourvue de toute curiosité, qu'elle soit incapable de se demander ou de comprendre pourquoi il a choisi de fermer le circuit à cet instant précis.

"Neuf."


Olga :

La fin du voyage. Une longue marche Ă  travers la nature hostile, mutante, prodigieusement difforme oĂč il est si aisĂ© de s’égarer, de s’enliser, de perdre l’esprit Ă  dĂ©faut d’un bras ou d’une jambe, si ce n’est la vie. Une nature qui gangrĂšne, dĂ©vore, se repaĂźt, s’étend.

Lorsque son Ɠuvre sera achevĂ©e... Que restera-t-il ? Qui restera-t-il ?

Des monstres amnĂ©siques sans plus aucune Ă©motion, sans plus une once d’humanitĂ© ?

[Qu’est-ce que l’humanitĂ© au fond ?]

La fin du voyage. Olga a prĂ©cieusement cousu tout le long. Pensivement, elle a ornĂ© les Ă©toffes de fioritures pour crĂ©er des peintures Ă  l’aiguille Ă©voquant des rĂȘves d’enfants, embellissant les songes d’une forĂȘt de camaĂŻeux qu’aucun ne saurait dire d’oĂč lui sont venus ces dĂ©cors fantasmagoriques sans le moindre stigmate de trĂšfle nuclĂ©aire, sans horla, sans emprise.

Cela ne ressemble pas mĂȘme Ă  ce qui a pu subsister comme image de cette Ă©poque lointaine qu’est l’ñge d’or. Juste des arbres humains dont les feuillages ne sont que bulles d’espoir multicolores, pourtant teintĂ©es d’une folie douce-amĂšre.

Puis, il y a ce petit paquetage. Tout emmaillotĂ©, bien prĂ©cieux qu’elle a longtemps portĂ© contre son corps comme s’il ne devait avoir froid. Parfois, des pleurs d’enfants
 Mais ce ne sont que ces vilains volatiles cherchant de la chair humaine Ă  becqueter, n’est-ce pas ?

Avant de quitter la porte obsĂ©dante, profitant que Lasko porte son joli cƓur blessĂ©, et quand bien mĂȘme a-t-elle pressĂ© le pas ensuite : un tout petit ĂȘtre a trouvĂ© refuge entre ses bras. Un pauvre nourrisson oubliĂ©, dĂ©posĂ© sur un rocher avant que ne meurt la femme en jaune.

« Il sera fort comme son pÚre ! Il faudra lui trouver un joli nom !»

Luka ne lui avait donc pas ĂŽtĂ© la vie lors de l’étrange offrande.

Une longue marche qui s’achĂšve Ă  Belgrade la dĂ©gradĂ©e. Pleine de gravas, et menĂ©e d’une main de fer par un graveleux haut gradĂ©.

Olga la bancale est trĂšs mal Ă  l’aise. Nulle jeune femme, nul enfant. A qui pourrait-elle proposer ses services pour rapiĂ©cer, recoudre, ou faire des jolies choses ? Elle a si peur pour Vladek, pour le bĂ©bĂ© qu'elle camoufle, le faisant passer pour un petit ballot de tissus innocent... L’instinct lui dicte qu’il faut garder l’existence de ce trĂ©sor bien cachĂ©. De plus en plus d’ailleurs, ses yeux observent le dĂ©boulonnĂ© avec mĂ©fiance.

Avant le mariage et pour ne pas faire d’histoire, l'innocent bagage est alors confiĂ© Ă  Mihaljo avec de multiples recommandations.

La cĂ©rĂ©monie fut nĂ©anmoins bien plus magnifique et Ă©mouvante que tout ce que son imagination lui aurait permis de concevoir. MĂȘme ce premier baiser maladroit qu’elle prolongea tant il lui parĂ»t suave et dĂ©licieux sans se soucier d’ĂȘtre indĂ©cente aux yeux du monde. Et pour cause, son joli cƓur n’est pas encore soignĂ©, ni guĂ©ri. Alors mĂȘme si elle se refuse Ă  l’envisager, si le premier doit ĂȘtre le dernier
 Comment s'empĂȘcher de le vivre pleinement ?

Les paroles qui se dĂ©versent au QG la font frĂ©mir. Une fois encore, un tressaillement intĂ©rieur. Une fois encore
 L’image incertaine d'un pĂšre incestueux se mĂȘle au visage du chef, et l’aiguille la dĂ©mange. Une fois encore, sentiment d'urgence et de vengeance. Qu’elle fait taire. SĂ»rement n’est-ce rien de mal, qu’elle comprend mal
 Qu’est-ce que l’incubation d’ailleurs ? Ce mot ne lui est malgrĂ© tout pas inconnu.

Un souvenir frappant lui revient. Celui des mutilĂ©s cherchant Ă  s’infiltrer dans Belgrade, prĂ©tendument Ă  cause de la faim et du froid, avant de tenter d’empoisonner l’eau sur ordre de Rustovic pour [libĂ©rer des opprimĂ©s], [faire diversion]. Dans la bouche de ce dernier, cela sonnait Ă©trangement
 Certains ne revinrent jamais, comme celui qui vola du pain. Ils avaient racontĂ© de drĂŽles de choses Ă  leur retour, effrayant la jeune femme qu’elle Ă©tait encore.

RĂ©miniscence fugitive qui, par l’égrĂ©gore, se dĂ©ploie Ă  ceux prĂ©sents. La tournure la surprend. Un vent de panique la saisit. PrĂȘte Ă  faire passer Adijan pour sa sƓur au ventre sec, c'est Lasko bientĂŽt mĂ©tamorphosĂ©, et Luka qui ont pourtant les armes en main.

[Sauver Vladek. Sauver l’enfant
 Sauver tout le monde ?]

[Les mutilĂ©s pourraient aider ? Me cherchent ! Savent oĂč je suis... Diversion
 Radio ?]


Mihaljo :

Un long voyage pour s'Ă©loigner, se perdre, s'oublier, tout oublier, les mĂ©faits mĂȘme ceux par inaction mais aussi son humanitĂ© dĂ©jĂ  perdue dans des dogmes et des croyances, carcans de l’esprit. Mais l'esprit est assez habile pour avoir crĂ©Ă© ce rĂȘve, ce trop long rĂȘve dans lequel il s'est complu durant toutes ces annĂ©es, dans lequel il s'est enfermĂ©, il s'est protĂ©gĂ© de la vĂ©ritĂ©. Celle qu'il a fuit en mĂȘme temps que Zagreb, celle de ne pas avoir lutter pour protĂ©ger sa sƓur, qu'il a dĂ©laissĂ© au lieu d'ĂȘtre lĂ  prĂ©sent, de la dĂ©fendre, de la soutenir, d'ĂȘtre son frĂšre, sa famille. Il l'a laissĂ© se faire ensemencer.

Sa porte s'est ouverte et l'ombre, rĂ©elle ou simple jeu de lumiĂšre dans la fumĂ© qui en est sortie, lui a rendu cette vĂ©ritĂ©. Ce souvenir qu'il n'oubliera plus en Ă©change de tout les autres, presque juste qu'au dernier. Une vie oubliĂ©e est peu pour une humanitĂ© retrouvĂ©. Pour l'envie et le dĂ©sir d'Ă©voluer, de progresser, de se bonifier, de se changer pour enfin pouvoir peut ĂȘtre changer un jour le monde.



Belgrade, ville en sursis tout comme ces citoyens, rongés petit à petit de l'extérieur et de l'intérieur, semblent vouloir les gober pour les assimiler comme le ferai l'emprise. Mais le vent de douce folie qui les a accompagné jusqu'ici n'a pas fini de souffler.

Les recommandations prodiguĂ©s sont vite oubliĂ©s quand il se retrouve les bras chargĂ©s du prĂ©cieux balluchon gigotant et babillant d'Olga. Une foule de sentiments naissent ou renaissent chez le sexagĂ©naire, l'envie de protĂ©ger, de soutenir, d'ĂȘtre frĂšre malgrĂ© les annĂ©es les sĂ©parant. D'autant plus que ça futile quĂȘte est achevĂ© maintenant. La plante qui nourri est en fait une petite graine que l'on a tous en soit et qu'il faut laisser germĂ©, poussĂ©, grandir et croĂźtre jusqu'Ă  devenir un arbre dont on peut se nourrir sans fin de ses fruits. L'amour. Il peut ĂȘtre fou mais il ouvre tant de possible qui peuvent se concrĂ©tiser. Il est juste lĂ  devant lui et bien vivant chez les amants retrouvĂ©s et enfin mariĂ© sur un rythme de Lambada pour ne pas changer.

Son cƓur ne bat plus en rythme et se sert, ses tripes se vrillent et le plient quand il entend les insidieux propos du pĂšre de Belgrade. [Elle ne nous appartient pas. Elle fait parti de nous mais est libre de ses choix.] La rage n'a pas le temps de faire sa place que dĂ©jĂ  Lasko a pris les devant et veut s'exĂ©cuter.

Adijan pose une main sur l'Ă©paule de ce dernier : « Tu pense que ta mort changera Belgrade, un autre prendra sa place et tout recommencera. Ce combat est peut ĂȘtre Ă  mener sans arme, arrĂȘte cette course effrĂ©nĂ© semĂ©e de cadavres, fais la paix avec toi mĂȘme pour trouver la mort que tu recherches, celle de cette ancienne vie qui te colle encore Ă  la peau. »


Luka :

L'apathie, la vision dĂ©catie du corps bouffĂ© par les vers avait son effet, son impact sur la pauvre carcasse du mĂ©chano dont les certitudes etaient challengĂ©s plus que de raison. Morigenant sur chaque pas ces images sinistres, il avait pourtant levĂ© les yeux de sa condition pour le mariage, mĂč par une curiositĂ© bienveillante.


Tenté d'oublier grace à la musique.


Il Ă©tait de retour chez lui. Dans le Joyau Belgadi, repoussant l'odieuse forĂȘt avec un zĂȘle qui forçait le respect. Mais elle avait perdu de ses couleurs, la perle grise Ă©tait un gris sirupeux, qui n’était pas sans rappeler le bĂ©ton nu des anciennes bĂątisses. Le rouge des affiches dominait pour donner de la vie, aussi. Mais comme dit la nature Ă  l'instinct primal: attention, Rouge Danger.


Le reste, ce n’était qu'Ă©vidence. Le patron Ă©tait content, les autres moins. Il Ă©tait armĂ©, et il lui faudra sans doute faire un choix. Mais en attendant...


"Ah Patron... Pensez bien que j'vous ai pas ramené l'Ajani pour son joli minois."


Une haine des mutilés réponds à l'appel de ceux ci dans la psychée, mais il garde raison pour continuer.

"Ses hanches sont fines, j'ai ramené bien mieux. Ajani la Poudreuse peut remplir nos fusils plutot que décharger nos hommes. Elle me parlait de techniques ancestrales pour obtenir de la poudre tonnerre quand on a rien. Et ils avaient rien, chez les Mutilés. Mais aussi des armes. Des armes braqués sur nous, chef. Belgrade, ils veulent en finir !"


Ah revenir Ă  son garage le tentait, mais le voyage l'avait mĂ©tamorphosĂ©. Incapable de rester le mĂȘme passif bourru, il venait en aide Ă  la jeune femme. Mieux vallait charger les fusils que d'obtenir des porteurs, non ?
D'autant que son esprit embrumé n'avait pas compris Lasko et son compte à rebours. Qu'il n'avait jamais eu l'intention de repartir. Si on l'écoutait.

[Le Monde ne peut se sauver de lui-mĂȘme. Mais on peut gagner du temps.]

C'etait le seul constat qu'il avait gagné du voyage, l'importance de donner du temps au temps.


Vladek :

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Rays of Darkness, par Mono, du post-rock quintessenciel qui migre Ă  fleur de peau du climax Ă©mo vers une noirceur screamo et un final noisy, la mĂ©taphore des graines de tĂ©nĂšbres oĂč germent, Ă©closent, vibrent et meurent des ĂȘtres en perdition.

Ils sont plusieurs à avoir quitté Belgrade. Luka et Adijan, au moins sont restés. Adijan a un projet secret. Libérer les femmes. Convaincre les hommes, un par un, qu'elles sont plus utiles libres qu'esclaves. C'est une mission dangereuse, une révolution souterraine. Elle espÚre qu'elle pourra compter sur le soutien de Luka.

Olga, Vladek, Mihaljo et l'enfant, au moins eux, sont retournĂ©s au village du Pouilleux. Vladek n'a pas voulu de la mĂ©decine de Mladik. A peine avait-il franchi le seuil de son officine qu'il comprit qu'il avait Ă  faire Ă  un fou dangereux. Et quand bien mĂȘme Mladik aurait eu les moyens de le guĂ©rir, la science du toubib s'Ă©tait forgĂ©e dans le sang.

Ils ont traĂźnĂ© Vladek sur un travois, Ă  travers la forĂȘt. Ils l'ont hissĂ© sur l'Ă©chelle qui monte Ă  sa cabane.

A l'intérieur, ce qui reste du terminal de radio... et les ronflements énormes d'un ours qui a élu domicile ici pour hiberner.

Vladek part d'un rire idiot : "Mon destin était de mourir de la griffe d'un ours ! Partir de ma cabane m'a épargné cette fin !"

Il demande à ce qu'on le couche dans son lit grinçant, qu'on l'adosse contre l'ours. Il étreint la main d'Olga. Il demande à Mihaljo de poser le bébé sur son ventre.

Il passe la Bamba, mais sa radio est en train de rendre l'ùme tout comme lui. La musique est érayée, répétitive.

"Au moins j'aurai vécu. Je ne regrette rien. C'était Vladek le Pouilleux pour Radio Frondaisons. Ceci est ma derniÚre émission. J'aime Olga, j'aime Mihaljo, j'aime cet enfant. J'aime Lasko, Luka, Adijan et Caslavka.

J'aime toute l'humanité."


Lasko :

"Neuf."

Lasko a le temps d'adresser un sourire encore plus ironique qu'Ă  son habitude Ă  Adijan. Il a beau avoir la mĂ©moire trouĂ©e comme une passoire, il sait exactement ce qui est en train de se passer. Et il a beau considĂ©rer que la troglodyte a Ă©tĂ© une alliĂ©e aussi loyale qu'on peut l'ĂȘtre, il doit bien avouer que la protĂ©ger n'est qu'une partie de son objectif. Depuis le dernier combat, il sait ce qui lui arrive. Devenir une crĂ©ature dĂ©vorĂ©e par l'Emprise ? survivre et servir de cobaye ou d'expĂ©rience pour les gars de Belgrade ? les deux possibles ne l'enthousiasment guĂšre, il a choisi une troisiĂšme voie.

Pendant que le supĂ©rieur de Luka se dĂ©bat mollement et que la voix dĂ©sincarnĂ©e poursuit son compte Ă  rebours implacable, il a le temps de repousser Adijan plus loin, encourageant les autres Ă  dĂ©guerpir. Est ce que ce qu'il va faire va changer quoi que ce soit ? il en doute. Ce n'est pas le but de toute façon, il ne fait que crĂ©er une diversion, donner aux autres la chance d'essayer de trouver leur propre voie. Les voix dans son crĂąne, quelles qu'elles soient, rĂ©elles ou imaginaires, prĂ©sentes ou passĂ©es parlent, expliquent, argumentent, supplient, menacent. Les souvenirs reviennent, la vieille Shmenka, le gamin dans la forĂȘt, d'autres encore dont il a oubliĂ© les noms.

"Un."

Une derniĂšre parole ? Pourquoi faire. Du tronc de l'arbre flamboyant dont il a si souvent rĂȘvĂ©, au milieu du dĂ©ferlement de feuilles d'acier qui lacĂšrent les chairs et les os, un lynx d'ombre et de fumĂ©e s'Ă©tire, ses mĂąchoires Ă©tirĂ©es dans ce qui ressemble Ă  un sourire.

La derniÚre pensée de Lasko est pour remarquer le silence qui rÚgne enfin dans son esprit.


Olga :

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[url=https://monoofjapan.bandcamp.com/track/surrender]Surrender - de l’album Rays of Darkness aussi ;)
[/url]

Une mĂ©tamorphose n’est jamais chose aisĂ©e. Une balle mit fin aux souffrances intĂ©rieures du mercenaire. De vie Ă  trĂ©pas, il n’y a qu’un pas. Ce trĂ©pas que Vladek accueillit bravement sur son dernier lit.

Olga aurait voulu, elle aussi, traverser cette frontiĂšre invisible. Cependant, son devoir Ă©tait ailleurs. Ne restĂšrent que les larmes. De longs sanglots, et le vide intense que cause l’absence d’un ĂȘtre cher, mĂȘme s’il rĂ©chauffe le cƓur par les moments partagĂ©s. Souvenirs que l’oubli viendra tĂŽt ou tard estomper.

Les annĂ©es ont passĂ©. Cahin-caha et clopin-clopant, avec ses creux et ses vagues, la vie se poursuit. Quand l’une coud, l’autre joue de ses pouces verts. FrĂšre et sƓur d’adoption et d’infortune. Vieux chnoque et vieille bique qui se chamaillent comme des enfants !

Justement, l’enfant a grandi. Il apprend l’usage des simples et de la broderie. Depuis peu, la curiositĂ© le pousse Ă  comprendre comment fonctionne la derniĂšre nanopuce, prĂ©cieusement gardĂ©e par Olga la radoteuse qui conte ses histoires Ă  dormir debout. En les embellissant, ou en les noircissant. Jamais semblables, mais toujours teintĂ©es d’ombre et de lumiĂšre. Son joli cƓur et Lasko y sont bien souvent portĂ©s en hĂ©ros lĂ©gendaires. C’est que radio frondaison Ă©tait cĂ©lĂšbre dans le monde entier ! C’est que Lasko n’avait pas son pareil pour tirer sur ce qu’il y a de pire dans cette forĂȘt !

Adijan est tantĂŽt une fiĂšre et farouche guerriĂšre, tantĂŽt une intrĂ©pide princesse dont bien sĂ»r Luka en est l’amoureux secret et transi, lui fabriquant une foultitude d’objets technologiques pour leur rĂ©volution. Un rĂȘve en Ă©volution.

D’autres annĂ©es ont passĂ©. Le livre de broderie est achevĂ©. TĂ©moignages des stigmates du temps d’avant, fil tĂ©nu duquel se dĂ©croche la mĂ©moire. Tout est si flou


L’enfant, lui, est devenu jeune homme. Un adolescent suffisamment dĂ©brouillard pour assurer sa survie, et trouver sa place au village. Il aime d'ailleurs beaucoup jouer avec les Ă©crous et les clefs anglaises.

Mihaljo est bien vieux et malade Ă  prĂ©sent. Olga ne va guĂšre mieux. Des feuilles de nĂ©crose parsĂšment son corps et tachettent son visage. Les spores imbibĂ©es d’emprise ont fait leur ouvrage Ă  l’intĂ©rieur pour Ă©clore Ă  l’extĂ©rieur. Ils ont eu une plus belle vie qu’ils ne l’auraient espĂ©rĂ©, mais le devoir les rappelle Ă  la rĂ©alitĂ©. Il n’est plus temps d’attendre, plus temps de tergiverser, car l’égrĂ©gore leur a dictĂ© le moment. Faire diversion.


Le voyage fut bien long et pĂ©rilleux jusqu’à Belgrade, mais ils tinrent bon. GuidĂ©s par Luka et sa dulcinĂ©e, les voilĂ  qui entament leurs derniers pas avant le trĂ©pas.

Faire diversion en laissant croire Ă  une infiltration. Beaucoup d’hommes de garde sont pris d’un sommeil trĂšs lourd, quand d’autres constatent une potentielle Ă©pidĂ©mie de dysenterie. C’est que certaines plantes bien dosĂ©es pour assaisonner les plats sont souvent un bon remĂšde pour dĂ©tourner l’attention !

Un étrange compte à rebours résonne alors à travers le vent charriant mille voix. Ils croiraient y entendre celles de Vladek et Lasko dans un écho singulier.


Explosent enfin les charges rĂ©cupĂ©rĂ©es par les deux tourtereaux encore dans la fleur de l’ñge ! Il leur en aura fallu du courage pour retourner Ă  cette fameuse porte qui leur apparĂ»t entrouverte. Qu’a-t-il bien pu rĂ©ellement s’en Ă©chapper ? Rien n’aurait su pourtant dĂ©tourner la poudreuse et le dĂ©boulonnĂ© de leur objectif.

Un chaos sans nom rÚgne désormais sur Belgrade. Assez pour que soient libérés les femmes et les enfants.

L’ennemi est partout et nulle part Ă  la fois. La horde des mutilĂ©s ? Les sheitanistes ? Les toges jaunes ? Nul ne le sait.

Lorsque la tension redescend et qu’on y voit plus clair, c’est un couple de vieux pris en flagrant dĂ©lit qui est cueilli Ă  fleur de fusil.

Ces deux-là ne trouvent rien de mieux que de se gausser comme des sales gosses, avant que leurs carcasses ne rejoignent le fossé.

DerriÚre le mur invisible : Olga a-t-elle retrouvé Vladek pour une danse endiablée sur la bamba ? L'histoire ne le dit pas.

Plusieurs mois ont passĂ©. Belgrade a quelque peu changĂ© de visage depuis que Luka a remplacĂ© l’ancien chef. Toujours en lutte contre l’emprise, toujours en quĂȘte de technologies d’une Ă©poque rĂ©volue, toujours militariste. NĂ©anmoins, elle est dĂ©sormais gardĂ©e par autant de matonnes que de matons.

Quelle que soit la menace grandissante Ă©chappĂ©e des boyaux putrides de la terre, en cette journĂ©e de pluie et d’orage : toutes les radios des Balkans se mettent Ă  crachoter. Larsen et bruit blanc suivis d'une voix qui s’extirpe entre deux grĂ©sillements


« Bienvenue sur Radio Frondaisons sur la frĂ©quence 53.45 ! ici c’est Schmenko la mauvaise graine de bricolo, mais aussi votre animateur prĂ©fĂ©rĂ© pour la seule Ă©mission de radio Ă  des clics Ă  la ronde ! »


L’hĂ©ritage est assurĂ©.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie crĂ©ative. Univers artisanaux.
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#3 11 Oct 2018 08:00

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [Les ForĂȘts Mentales] Comptes-rendus de partie

UN P'TIT VAROU BOSSU

Une partie à deux sur Infinite RPG par Boréalis et nOOne dans les ruines de Bucarest entre Dracula, Chat noir / Chat Blanc, et La Cité des Enfants Perdus.

La partie est inachevĂ©e mais l’immersion est garantie !

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dumplife (Mihai Romanciuc), Peter Edin, cc-by-nc, sur flickr.com


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