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#151 17 Dec 2015 15:47

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [Inflorenza : Héros, salauds et martyrs à Millevaux] Comptes-rendus

LES ÉNERVÉS DE JUMIÈGES

Sans nerfs et sans parole, dériver sur la Seine, vivre encore, agir sans agir.

Jeu : Inflorenza, héros, salauds et martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux

Joué le 09/07/2015 dans un parc public de la ville de Vannes
Personnage : l'étranger

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crédit : Évariste-Vital Luminais, domaine public.


Le Théâtre :

Deux personnes ont subi un châtiment à l'abbaye de Jumièges pour un forfait quelconque. On leur a enlevé tous leurs nerfs, un des supplices les plus douloureux qui soit. Ensuite, on les installées dans des fauteuils sur un radeau, avec tout un bric-à-brac, et maintenant ces personnes dérivent sur la Seine, incapables de se mouvoir, de parler ou de ressentir la moindre douleur. Elles ont l'air apaisées sur leur radeau, presque en transe, mais c'est bien la mort qui les attend au bout de leur voyage.
Ce théâtre est très librement inspiré du tableau Les Enervés de Jumièges d'Évariste-Vital Luminais, de la légende du même nom, et d'un commentaire lu par ici.


Le personnage :

L'étranger.
Objectif : se venger des gens de Jumièges qui lui ont infligé ce supplice.
Symboles : douleur, eau.


L'histoire :

L'étranger et son frère sont sur le radeau, inertes, autour du bric à brac qui fut jadis leurs possessions matérielles.
Son frère a la tête penchée, il le regarde.
Le radeau glisse sur la Seine. Silence.

L'étranger revit la scène du supplice. C'est son frère qui y est passé en premier. Il voit la grande salle de pierre qui abrite le supplice. Des gens le maintiennent. Son frère est sanglé à une table de pierre et le bourreau lui arrache le premier nerf, un long vaisseau gris qu'il lui retire du bras. Son frère hurle.

La mère supérieure de l'abbaye de Jumièges, Léonore, penchée sur lui. Difficile de donner son âge. Ses yeux sont ardents. Elle lui dit qu'il peut échapper à ce supplice s'il charge son frère. Il lui crache au visage.

L'étranger essaye de se souvenir pourquoi ils ont été suppliciés. Ils étaient de passage à Jumièges avec son frère, et l'étranger à volé quelques babioles, de la nourriture, une boussole... Supplice absurde.

Il revoit son frère, presque au terme de son supplice, son corps n'est plus qu'une carte de sang. Le bourreau ne lui a pas encore enlevé les nerfs du cou, ce qui fait qu'il peut parler. La mère supérieure lui précise qu'ils les feront dériver avec leurs dernières possessions terrestres, conformément aux rites funéraires. Elle lui demande ses dernières volontés. Il répond : "Aller dans l'au-delà après ma mort." Alors la mère supérieure montre la boussole qu'ils ont volée, que l'étranger a volée, car son frère est innocent, il a juste été associé au crime. "Ceci est la boussole que vous avez volée. Elle guide les âmes sur le fleuve des morts. Sans elle, il n'est pas possible d'aller dans l'au-delà. C'est la relique la plus sacrée de Jumièges, c'est à cause de ce vol qu'on vous a suppliciés, il fallait faire un exemple. Je te la confie puisque telles sont tes dernières volontés." Elle met la boussole dans sa main et lui referme les doigts dessus.

L'étranger et son frère dérivent sur la Seine. Brumes. Son frère le regarde. Sa main serre la boussole. Maintenant, ils n'ont plus mal, ils n'ont plus de nerfs.

L'étranger veut trouver de l'aide. Le radeau croise la barque plate d'un jeune coupeur de joncs, un adolescent hirsute. L'étranger appelle à l'aide, par la pensée. Mais il comprend que si le coupeur de joncs monte dans le radeau, il leur volera tout leur bric-à-brac. Alors, il transforme son appel pour en faire une menace. Le jeune est pris de terreur, il abandonne sa barque et part dans la campagne en criant : "Des fantômes ! Des fantômes !"

C'est tous les hommes de son village, le village de Noircy, qui accourent ensuite. Ils tirent des flèches enflammées sur le radeau. Les flammes commencent à lécher leur bric-à-brac. Son frère le regarde.

L'étranger ne veut pas mourir ainsi, sans s'être vengé. Il voit le chef des villageois sur la rive, un homme barbu, au visage... déterminé. Déterminé à tout faire pour la survie de son village, par exemple. Il s'adresse à lui en pensées, il lui explique sa situation, lui demande son aide, lui demande de le venger des gens de Jumièges.

Le chef ordonne alors qu'on aborde le radeau et qu'on y éteigne le feu. On emporte l'étranger et son frère jusqu'au village de Noircy, dans la demeure du chef. On les étend chacun sur un lit, un vieux soigneur les ausculte, un médecin vient à leur chevet, un enfant porte une vasque d'onguent qui dégage une grande vapeur, il y a aussi des pleureuses vêtues de noir, et la femme du chef, et le chef en personne. L'ensemble ressemble moins à un rite de guérison qu'à un rite funéraire.
Le soigneur s'exclame : "Alléluia ! Les gens de l'abbaye de Jumièges ne punissent pas les criminels ! Ils en font des saints ! Ces deux gisants sont des saints !"

Le chef s'adresse à l'étranger en pensées. Retour au moment où le supplice commence, sauf que le temps est figé, et le chef est présent. Son frère est sanglé sur la table, le bourreau lui tient le bras et s'apprêter à commencer le supplice. Le chef explique à l'étranger que s'il accède au secret du supplice, il aura de quoi faire plier Jumièges et tous les autres villages, alors Noircy sera à l'abri de tout danger. Il lui dit : "Avance le temps, que je puisse voir."
L'étranger ne répond rien, pour lui signifier son mépris.

Retour au présent. La salle est emplie de vapeur, les silhouettes des gens de Noircy sont comme des fantômes. L'étranger ne veut pas que les supplices se perpétuent. Il veut en dégoûter les gens de Noircy. Il veut leur projeter des images mentales du supplice, à tous sauf au chef qui serait trop heureux d'ainsi apprendre le secret. Mais il sait que certains en mourront d'effroi. Il voit l'enfant entre lui et son frère, qui porte la vasque. Il voit son frère, son frère qui le regarde, et qui en pensées lui dit une seule chose : "Non.".  Il insiste auprès de son frère, et il comprend aussi que chaque revisionnage de la scène du supplice fait renaître toute la douleur dans le corps de son frère. "Non."

Mais le désir de vengeance est le plus fort. L'étranger projette les images mentales du supplice à tous les gens de Noircy excepté le chef. Retour au début du supplice, le bourreau tient le bras de son frère dans une main et son instrument dans l'autre main. D'abord la femme du chef apparaît dans la salle du supplice, médusée. Puis le soigneur, puis le médecin, puis les pleureuses... puis l'enfant à la vasque. Et le temps reprend son cours, le bourreau retire à nouveau le premier nerf, et son frère hurle à nouveau.

Retour au présent. L'enfant à la vasque pousse un léger cri. Il vient de mourir d'une crise cardiaque. La femme du chef se précipite sur lui : c'était leur fils ! Le soigneur s'écrie : "Nous avons fait erreur ! Les gens de Jumièges n'en ont pas fait des saints ! Ils en font des martyrs ! Nous devons punir Jumièges de ce crime atroce !". Le chef balbutie un instant, puis reprend vite la situation à son compte.

Les gens de Jumièges portent les corps des énervés et le corps de l'enfant. Ils montent dans un bateau et placent les énervés sur le pont avant, installés dans des lits, comme des figures de proue. Entre eux deux, ils ont mis le corps de l'enfant. Ils les ont tous trois vêtus de blanc et coiffés de couronnes de lauriers. Il fait nuit, tout le bateau est éclairé de flambeaux.

Ils remontent la Seine et arrivent en vue de Jumièges. Le clan de Jumièges se limite à l'enceinte de l'abbaye, mais celle-ci est devenu une construction baroque, immense, boursouflée de clochers, de flèches, de tours et de gargouilles. Elle brille dans la nuit comme un brasier par les milles feux allumés derrière ses vitraux, et se reflète dans le fleuve.

L'étranger veut que l'attaque soit une réussite. Il envoie aux gens de Noircy des flashes de son cheminement dans l'abbaye, de l'entrée secrète jusqu'à l'accès à la chambre de la Mère Supérieure où il a volé la boussole. Il dévoile ainsi la raison de son supplice, mais à ce stade çà n'a plus guère d'importance.

Le soigneur insiste pour qu'on porte les corps des trois martyrs pendant l'assaut, comme des étendards sacrés. Alors la femme du chef sangle le corps du frère sur son dos ; le frère regarde toujours l'étranger, le chef sangle le corps de l'étranger sur son dos, et le soigneur sangle le corps de l'enfant sur son dos.

Les gens de Noircy, grâce aux indications de l'étranger, déjouent facilement la vigilance des gardes et tuent tous ceux qu'ils trouvent sur leur passage. Ils parviennent à la salle du supplice. Ils y trouvent la Mère Supérieure, nue, et l'une de ses plus jeunes novices, nue, qui lavent la salle des supplices à grande eau. La salle est pleine de vapeur. On comprend qu'elle purifient la salle, mais qu'elles se purifient elle-mêmes. La novice n'a pas pris part au supplice, mais elle prend part au rituel de purification. On peut comprendre que le supplice est un mal nécessaire pour maintenir l'ordre, mais que les gens de Jumièges ont besoin de se repentir après avoir fait subir un châtiment.
"Non", fait le frère.

Mais les gens de Noircy ne l'entendent pas de cette oreille. La femme du chef court vers la Mère Supérieure avec son couteau, le chef court vers la novice. L'étranger lui intime en pensées : "Épargne les femmes et les enfants !".

De nouveau le début de la scène du supplice. Le chef tourne autour du frère. "Donne-moi le secret du supplice et j'épargne les enfants. Refuse-le et je couvrirai ton corps du sang des nouveaux-nés de Jumièges."
L'étranger se mure dans le silence.

Retour au présent. La novice crie. Le chef l'égorge, son cri se mue en bruit bulleux. Il porte le corps de la novice, et frotte la tête de sa novice, qui s'en détache presque, contre le visage de l'étranger, puis lève le corps de la novice bien haut et asperge de son sang le dos de l'étranger, pour bien signifier qu'il associe l'étranger à ce meurtre, et de même sa femme fait avec la Mère Supérieure, et on asperge de son sang le corps du frère.

"Au nom de nos martyrs, tuez les gens de Jumièges jusqu'au dernier ! Cette lignée maudite doit disparaître ! Qu'on baigne nos martyrs dans le sang de leurs nouveaux-nés !", ordonne le chef.

Mais l'étranger n'en démord pas. Il veut que les gens de Noircy s'arrêtent là, quitte à ce que lui en coûte beaucoup. Il envoie aux gens de Noircy des flashs du passé, du meilleur moment qu'il a pu passer à Jumièges, du moment qui prouve que les gens de Jumièges ne sont pas si cruels qu'on le croit.

Une scène de banquet. L'étranger et son frère viennent d'arriver à Jumièges en loques. La Mère Supérieure, au nom de l'asile dû aux indigents, leur a donné des vêtements frais et les a invités au banquet. Un par un, les gens de Noircy apparaissent dans la scène, ils peuvent même interroger les gens de Jumièges. La Mère Supérieure leur explique que le supplice est un mal nécessaire pour protéger une relique des plus sacrées, une relique qui permet le repos des morts. L'étranger et son frère sont côte à côte à une table de banquet. L'étranger regarde la Mère Supérieure, il regarde la boussole montée en sautoir à son cou. Son frère, à ses côtés, lui prend la main, le regarde et lui dit : "Non...".

Les derniers gardes de Jumièges font irruption dans la salle des supplices. Mais avant qu'un ultime combat n'éclate, le chef implore un temps de parole, et explique toute l'histoire. On conclut une armistice. Mais pour calmer les esprits, il faut procéder à un sacrifice, châtier un coupable. On se met vite d'accord pour égorger l'étranger et son frère.

Le chef s'approche du frère avec son couteau à la main. L'étranger, obligé de regarder, ne peut pas en perdre une miette. Avant d'opérer au sacrifice, le chef jette un sourire mauvais vers l'étranger.

Il écarte les doigts du frère.

Et en retire la boussole.


Règles utilisées :

Inflorenza minima (pas de matériel, pas de chiffres, pas de hasard) en mode Carte Blanche (le Confident contrôle le décor et les figurants).


Commentaires sur le jeu :

Déjà, très heureux de tester ce théâtre, qui me trottait dans la tête depuis bien longtemps. Je n'avais qu'une heure devant moi pour jouer, et ce théâtre bref, joué en Inflorenza minima, était idéal. Le défi était de faire du jeu avec une situation de départ très compliquée : des personnages incapables de bouger ou de s'exprimer. J'avais plusieurs atouts dans ma manche pour en faire un bon moment de jeu : les personnages ont des pouvoirs télépathiques, ils peuvent a priori tout tenter, on peut jouer dans le passé, dans le futur et dans les rêves (et on aurait également pu jouer dans l'au-delà).

J'ai reformulé le principe de l'as de pique, en principe d'aggravation supplémentaire de la situation : si un personnage aggrave volontairement sa situation, il gagne un pouvoir qui lui permettra plus tard d'obtenir ce qu'il veut sans payer le prix. L'étranger l'a utilisé quand il appelé le coupeur de joncs à l'aide : il a aggravé sa situation en lui faisant peur. J'ai appliqué une conséquence que je ne lui avais pas expliqué à l'avance (et je pense que c'est une erreur de ma part) : le coupeur de joncs alerte les gens de Noircy qui tirent des flèches enflammées sur le radeau. Cela a amené l'étranger a utiliser son pouvoir pour inverser la situation (apitoyer les gens de Noircy pour qu'ils les ramènent sur la rive). Ludiquement, c'était un peu faible. Si j'avais informé l'étranger des conséquences totales de l'aggravation (fuite du coupeur de joncs + tir de flèches enflammées sur le radeau), il aurait sans doute choisi une autre option.

J'ai proposé au joueur le choix entre Carte Blanche et Carte Rouge (on aurait joué tous les deux un personnage, et contrôlé décors et figurants à tour de rôle, en même temps que notre personnage), le joueur a préféré Carte Blanche car il préfère se cantonner à l'incarnation de son personnage. En débriefing, il m'a avoué avoir manqué de bases sur ce qu'il pouvait faire et ne pas faire. Peut-être ça aurait moins manqué si on avait joué sur un temps moins limité, si je lui avais demandé ses attentes en début de partie, ce que j'ai omis de faire, bref si on avait fait un point à la première difficulté. Au lieu de ça, on a joué une heure d'affilée sans méta-jeu, vu qu'à ce stade d'intégration dans la fiction, même le système de résolution n'est plus du méta-jeu, tout au plus est-il une énumération d'issues possibles, une partie du maelstrom en sorte..
Le joueur m'a expliqué qu'en jeu de rôle, il attendait aujourd'hui que les choses soient bien cadrées pour lui, qu'il ait une bonne vision des possibilités des personnages et des possibilités de l'univers. Autrement dit, l'ouverture d'Inflorenza ne pouvait guère lui convenir. Il est possible de fermer Inflorenza, en employant des théâtres détaillés, en jouant Carte Blanche, en interdisant les pouvoirs surnaturels aux personnages, mais ici le théâtre était flou et les pouvoirs surnaturels autorisés. Je réalise qu'il aurait pu être davantage client de mes scénarios pour Millevaux Sombre les plus cadrés. Un autre joueur a employé à plusieurs reprises le terme de "vertigineuse liberté" pour décrire le désarroi qu'il éprouvait devant l'ouverture de certains de mes jeux (Arbre, Inflorenza).

J'ai été pour ma part satisfait de la séance, mais j'ai bien ressenti que le joueur bloquait sur pas mal de choses, qu'il aurait pu être plus pro-actif, qu'au final j'ai guidé la fiction plus encore que ce qu'il aurait désiré, puisqu'en quelque sorte, tout ce qui lui restait c'était sa volonté. Certes, sa volonté a énormément guidé la fiction, ça a guidé de A à Z la composition et l'attitude des décors et figurants, mais je ne suis pas certain que pour le joueur c'était visible. Bref, pour moi les contraintes étaient bien visibles et fertiles (le joueur veut telle chose et je m'adapte en conséquence), pour le joueur c'était autre chose, peut-être suis-je le seul à m'être amusé pendant cette partie. De même, si les allers et retours passé-présent étaient déjà audacieux, je sens qu'on aurait pu aller beaucoup plus loin, introduire des scènes de rêve, de futur, d'au-delà. Mais il eut fallu que le joueur procède à des appels de scène, soit ouvert à ce genre d'expérimentation, ou tout simplement les considère possibles, et il n'avait pas les clés pour cela.

J'en reviens à la conclusion suivante : c'est important, en début de partie, de demander les attentes des joueurs. Cela peut permettre de bouger certains curseurs de la partie pour que ça se passe mieux. En revanche, cela ne saurait être suffisant. C'est impossible pour un joueur de pouvoir énumérer la totalité de ses attentes, d'autant plus quand on lui propose une expérience aux antipodes de ses sentiers battus. L'harmonisation est l'affaire de plusieurs parties, confort que je peux rarement m'offrir. J'ai beaucoup joué avec ce joueur, mais c'était il y a des années, sur des propositions ludiques bien différentes de celles que j'explore aujourd'hui. L'harmonisation était complètement à refaire, car lui comme moi avions évolué dans nos goûts.

Ce joueur est très investi dans le théâtre d'improvisation, nous avons ensuite échangé là-dessus. Je m'étonnais que l'ouverture le dérange, vu sa pratique du théâtre d'improvisation. Il m'a expliqué qu'en théâtre d'improvisation, il appréciait aussi avoir un certain cadre, les impros trop ouvertes, ou chacun disait toujours oui, avaient tendance à virer au gonzo selon lui, et l'empêchaient de construire une histoire intéressante. Une réflexion à confronter aux vues croisées jeu de rôle-impro d'Eugénie sur le blog Je ne suis pas MJ mais, pour ce qu'elles ont de différentes et de complémentaire.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

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#152 18 Dec 2015 12:46

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [Inflorenza : Héros, salauds et martyrs à Millevaux] Comptes-rendus

Le retour du joueur, à froid :

j'ai relu tout ça
je pense que c'est bien retranscrit oui
je me souviens que ce que j'avais trouvé intéressant dans ce scénar, c'était le point de vue de mon personnage sur "qu'est-ce qui est juste"
comment essayer de faire régner un maximum de justice dans ce monde

En sachant que l'énervement me paraissait être la pratique la plus barbare, à châtier et faire cesser en priorité
et qui justifiait que l'on tue les gens qui font ça
mais pour mener ça à bien il fallait une morale élastique
et y'a eu pas mal de dilemmes pas évidents à trancher


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#153 21 Dec 2015 15:33

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [Inflorenza : Héros, salauds et martyrs à Millevaux] Comptes-rendus

MORTAL KARTHAGE

Phénicie décadente, honneur et arts martiaux. Pour chaque guerrier, seulement six dés à faire durer au long d'une frénésie de combats !

Jeu : Inflorenza, héros, salauds et martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux

Joué le 29/07/15 dans ma maison natale, dans les Vosges
Personnages : Razza Senza Nome, Ninja

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crédits image : Jteale (licence cc_by_nc), Jules Martel (avec son autorisation)


Les Personnages :

Razza Senza Nome
Objectif = exercer librement les arts martiaux
Symboles : Karaté / Indépendance
Sa famille vit auprès de lui dans les égouts

Ninja
Objectif = Aider Razza à atteindre son objectif
Symboles : Full Contact / Liberté


L'histoire :

Carthage, ville blanche, ville aride. Le Culte de Moloch domine. Il interdit toute forme de rébellion. Personne, à l'exception des servants de Moloch, n'a le droit de porter ou de pratiquer les arts martiaux. Toute désobéissance est punie de mort.

Razza Senza Nome et Ninja font partie d'une société secrète qui se cache dans les égouts de la ville pour pratiquer les arts martiaux. Ils vivent et combattent sous l'enseignement du Sensei.

C'est l'heure de l'entraînement des combattants. Ils sont tous réunis dans la grande salle de pierre en forme de cube. Au sol le grand symbole d'un dragon dans un cercle de pierre. Au milieu du cercle, un puits. Suspendues au plafond, des chaînes. Sur chacun des quatre murs, une entrée de tunnel fermée par une grille.
Le Sensei frappe sur le gong pour annoncer le premier combat d'entraînement.
Razza et Ninja affrontent Fer et Cruelle. Ils veulent profiter de ce combat pour mesurer leur loyauté.
Fer, massif, casqué, en armure, attaque au bâton. Frontal, brutal. Cruelle, fine, sa peau mate presque violette, attaque par derrière.
Razza et Ninja emportent le combat mais ne sont pas parvenu à mesurer le niveau de loyauté de leurs adversaires. Fers dit qu'il sera bientôt à leur place.

Puis Razza et Ninja combattent Obscure et Force. Ils gagnent à nouveau le combat, et cette fois-ci, ils sont assurés de la loyauté de ces adversaires.

Razza veut un nouveau combat contre Fer et Cruelle. Cruelle veut qu'il se déroule en plein jour et elle veut choisir le lieu.
Razza préfère que le Sensei choisisse.
Le Sensei choisit le Temple de Tanit, la déesse de la Fertilité, le seul culte autorisé à part le culte de Moloch et celui de la Déesse aux Deux Visages.

Les guerriers sortent à la surface de Carthage. Ils passent l'enceinte du domaine de Tanit. Derrière l'enceinte, ce n'est plus l'aride Carthage qu'ils connaissent, mais la jungle. Il y a des serres remplies de plantes et de fleurs extraordinaires, et des panthères en liberté. Ils gravissent les degrés de la pyramide au centre de la jungle.
Au sommet de la pyramide, il y a des flambeaux, et le temple de Tanit avec des serpents de pierre en guise de colonnes.
La Prêtresse de Tanit se tient entre ses colonnes. C'est une des plus belles femmes du monde, drapée dans son voile blanc sacré.
Le Sensei lui demande hospitalité et protection pour ce combat.

Fer et Cruelle insistent pour utiliser leurs armes, Razza refuse, alors les adversaires les laissent de mauvaise grâce à la garde de la prêtresse. Mais durant le combat, Cruelle arrache son épée des mains de la prêtresse. Fer utilise le Sensei comme bouclier humain, Ninja lui tord la main.
Cruelle fait des arcs de cercle avec son épée qu'elle tient comme une dague, Razza la frappe dans son angle mort.
Le combat est gagné. Razza et Ninja PJ comprennent que Cruelle est une traîtresse et que Fer veut la gloire avant tout. Cruelle saute du haut de la pyramide et disparaît dans les cimes de la jungle.

La Prêtresse de Tanit propose son aide si Razza et Ninja lui enseignent leur art martial lors d'un combat. Mais ils n'ont pas le temps ; ils veulent d'abord retourner dans les égouts pour s'assurer que leurs familles et leurs disciples ne sont pas en danger, maintenant qu'ils savent qu'ils avaient une traîtresse en leur sein.

Razza et Ninja courent dans les égouts. Ils arrivent dans un long tunnel de pierre avec des arceaux de fer fixés sur la poutre maîtresse. Obscure et Force les rejoignent.

Du goudron s'écoule par les canalisations jusqu'à inonder toute la surface du tunnel. Un golem de goudron en émerge. C'est un terrible Guerrier cyclope qui fouette l'air avec sa massue faite avec des os calcinés des victimes sacrifiées à Moloch. Ninja le frappe sur l’œil, Razza récupère une épée dissimulée dans une des planques du tunnel : voilà ce qui se passe quand on l'attaque sur son terrain ! Il crève l’œil du Cyclope d'un coup d'épée. Obscure part rejoindre la famille de Razza pour la mettre à l'abri. Cyclope frappe Force d'un coup de massue, Force tombe dans le goudron, il meurt de ses blessures et de l'asphyxie. Razza achève le Cyclope avec rage.

Le Sensei conseille à Razza et Ninja de demander asile auprès d'un puissant allié. Comme ils n'ont pas confiance en la prêtresse de Tanit, ils se renseignent sur la Déesse aux Deux Visages. Razza va au marché, pose des questions, il donne une pièce à un marchand qui lui dit que la Déesse aux Deux Visages était persécutée dans son pays d'origine avant de migrer à Carthage et d'y devenir une déesse. Depuis elle protège les persécutés. Tous ses fidèles portent un voile noir, on dit que ce sont des monstres ou des résistants recherchés par le culte de Moloch qui profitent de la protection de la Déesse pour masquer leur identité. A partir de ces informations, Razza dit aux membres de sa société secrète de se rendre à la Tour d'Ivoire, où réside le culte de la Déesse. Ils s'y rendront par petits groupes séparés, un guerrier et sa famille à chaque fois.

Ninja se déplace vers la Tour avec trois enfants. Tous sont déguisés et dispersés dans le marché. Cruelle intercepte Ninja. Elle est escortée par deux gardes affiliés au Culte de Moloch. Ils ont le visage couvert de peinture noire et blanche dégoulinante et sont armés de lances.

Cruelle dénonce Ninja aux gardes. Ninja lance un tapis à la tête d'un garde, Razza rapplique et tue Cruelle d'un coup d'épée. Ninja tue les deux gardes parce qu'ils voulaient s'en prendre aux enfants.

Quand ils arrivent à la Tour d'Ivoire, ils sont reçus directement par la Déesse aux Deux Visages, au sommet de la Tour. C'est une adolescente drapée dans une robe rouge à sequins. Son double visage est éprouvant à regarder, elle parle avec deux voix, l'une apaisante et l'autre persifleuse, c'est comme si elle avait deux personnalités. Autour d'elle, une dizaine de fidèles recouvert d'un voile noir intégral. La Déesse accepte d'accorder son aide si Razza et Ninja lui enseignent leur art martial, en lui faisant une démonstration lors d'un combat contre son champion. Razza se bat pour que les fidèles de la Déesse aux Deux Visages n'utilisent pas son art à mauvais escient, qu'ils épargnent les vaincus.
Cette salle du sommet de la Tour est circulaire. La voûte du plafond est paré d'un lustre à défenses d'éléphants. Il y a de grands flambeaux sur les côtés et des ouvertures sur l'extérieur.
Le champion de la Déesse laisse tomber son voile. C'est un Corax, un homme à ailes de corbeau, au visage anguleux, au torse couvert de plumes noires. Dès que le combat s'engage, Razza lui brûle les ailes avec les flambeaux.
L'Homme-corbeau le pousse au bord de l'ouverture, Razza est suspendu au-dessus du vide, il s'accroche avec ses mains. L'homme-corbeau veut lui marcher dessus mais Ninja l'étrangle. Des corbeaux emportent Ninja au-dessus de la ville, mais entre temps Razza a repris pied et a pris le contrôle de l'Homme-Corbeau, qu'elle menace de tuer si on ne ramène pas Ninja sur le sol ferme. Les deux guerriers ont remporté ce combat, et selon leurs conditions

Obscure, qui scrute par les ouvertures, leur signale qu'il voit Fer sur l'aqueduc. Il affronte les gardes de Moloch à ciel ouvert. Les corbeaux emmènent Razza, Ninja et leurs alliés sur place, dans un survol vertigineux de toute la ville, Carthage entière dans sa fierté blanche.
Fer a voulu faire une démonstration de force pour prouver qu'il était l'ultime guerrier, mais il est aux prises avec beaucoup de gardes. Les alliés de Razza et Ninja lui viennent en aide.
Razza combat Apparition, un soldat de Moloch au visage caché sous casque monstrueux, qui combat avec des griffes d'acier qui semblent être ses vraies griffes. Le soldat le traite de lâche, parce qu'il ne s'engage pas dans des combat à un contre un. Razza le vainc et il accepte de rejoindre la résistance à condition que les combats contre les maîtres du culte se fassent selon un code d'honneur : à un contre un.
Ninja combat Ombre, un encapuchonné qui se combat en téléportant dans les ombres. Il le vainc et lui dit de rejoindre la résistance. Ombre répond : "Plutôt mourir !". Comme ils ont eux-même demandés à la Déesse d'épargner les vaincus, Ninja garde son calme et ordonne qu'on le mette au cachot.

Avant l'affrontement final avec le Culte de Moloch, il faut un dernier allié : la Prêtresse de Tanit.
Ils la retrouvent à l'intérieur de sa pyramide, dans la salle de rituel. Elle est habillée de larges voiles blancs. A ses côtés, le Serpent Noir, créature vivante, terrifiante, mystérieuse. Il y a une vasque enflammée au milieu. Cette salle de rituel est en fait le sommet d'un gigantesque pilier qui constitue le cœur du temple, il est entouré de vide et de murs garnis de piques. Il y a une roue de bois au-dessus du flambeau, reliées aux parois du temple par des poutres garnies de lianes abondantes.
Le combat pour la transmission de l'art martial s'engage.

A cause de ses voiles, la Prêtresse est un fantôme intouchable. Elle pousse Ninja sur le bord. Razza monte sur la roue et tombe sur la prêtresse, il l'étrangle avec des lianes. Ils gagnent le combat et obtiennent sa totale loyauté. Au départ, elle prévoyait de supprimer le culte de Moloch pour prendre leur place, mais à la demande de Ninja, elle accepte de laisser les citoyens vivre libre. Elle explique que son Serpent tue tout ce qu'il touche, mais Razza et Ninja lui disent de ne pas en faire usage.

C'est l'heure de la confrontation finale avec les maîtres du Culte de Moloch. Un long escalier de basalte part du centre de la ville jusqu'à surplomber le littoral. A ce sommet, face à la mer, se dresse l'immense statue de Moloch, monstre-dieu aux cornes de taureau, à la gueule avide garnie de crocs où brûle un éternel brasier. Il y a des enfants ligotés sur ses bras, les prêtres de Moloch actionnent un treuil pour monter les bras petit à petit jusqu'à la gueule enflammée de l'idole.

Les alliés cassent la gueule aux gardes, certains se jettent dans le vide mais les corbeaux les rattrapent : on épargne les vaincus. Le Serpent avance et barre la route aux gardes qui fuient. La Prêtresse de Tanit plonge sa main dans le corps du Serpent comme si c'était une brume. Quand elle ressort sa main, celle-ci est devenue une main de squelette. Cela impressionne tellement les gardes qu'ils se rendent.

Razza affronte Armor, un guerrier d'élite qui porte une armure réfléchissante et des bracelets-poignards. Quand il voit Razza s'armer, il exige un combat sans arme pour mesurer le talent martial de son adversaire. Il défait son armure d'un simple geste. Razza accepte les conditions, il le vainc et Armor passe dans leur camp.

Ninja affronte Thrull, le Prêtre Suprême de Moloch. Thrull porte un masque en crâne et des épaulettes en os, il a une longue crinière noire et de grandes griffes en os : difficile de savoir si ce sont des attributs où s'il n'est déjà plus humain.  Thrull ordonne aux prêtres de faire monter ler bras de Moloch jusqu'à la gueule. Pendant le combat, il griffe Ninja au poitrail, monte sur les bras de la statue et s'empare d'un enfant pour le jeter dans le brasier, mais Razza le neutralise. Il lui enlève son masque, révélant son vrai visage, qui est atrocement brûlé. Thrull implore sa clémence et Ninja se laisse berner. Alors  le prêtre le paralyse au thorax avec un point martial, il se jette sur une chaîne et emporte Razza mais Razza lui coupe la main et Thrull tombe seul dans le feu !

C'en est fini de la tyrannie du Culte de Moloch. Le peuple de Carthage est désormais libre !


Règles utilisées :

J'utilise une variante que j'appelle le 6 en banque :
Les joueur.se.s ont six d6 chacun.e au départ. Lors d'un conflit, ils peuvent lancer un de leurs dés pour chaque coup ou parole qu'ils donnent. A chaque coup ou parole, les figurants répliquent par un coup ou une parole.
Quand les joueur.se.s pensent avoir rassemblé assez de dés (max 6), ils les lancent. Il faut au moins une victoire, sachant que les 1 et 6 donnent une victoire. Mais tous les 1 causent une blessure, c'est-à-dire que l'un des participants au conflit perd irrémédiablement un dé. Quand on n'a plus de dé, on est mort ou éliminé. On refait un personnage avec cinq dés (puis avec quatre dés, et ainsi de suite).


Commentaires sur les règles :

+ Cela mettait la pression et ça "programme" la fin. Les derniers combats se sont faits à 3 dés chacun. (Je crois que c'était 4 pour Ninja et 2 pour Razza, et j'ai dû permettre que Ninja fasse un « don de chi » et transmette un dé à Razza). A la fin de la partie, il ne restait plus que deux dés à Razza et un dé à Ninja.
+ Cela a permis d'émuler le genre film d'arts martiaux avec la touche Inflorenza : l'objectif d'un combat pouvait dépasser le simple stade de la victoire, et inclure des informations sur l'adversaire ou des engagements de sa part.
+ En 2H, on a joué 14 combats, plus un conflit d'enquête (prise d'infos sur la Tour d'Ivoire). C'était donc exceptionnellement fluide. On ne jouait pas les combats en totalité, juste les premiers échanges de coups. Quand les joueur.se.s pensent avoir assez de dés, on lance et on conclut. C'était rapide et cinématique.
+ J'ai utilisé des Cartes Magic (jeu noir, assez désertique) comme source d'inspiration. Les deux personnages et pas mal de figurants étaient inspirés d'une carte Magic, ce qui explique leurs noms et leur look.


Commentaires sur le jeu :

+ Ce qui m'a le plus bluffé, c'est quand la joueuse de Razza annonce tuer Obscure juste pour avoir un dé ! C'était absolument légal du point de vue des règles (l'objectif du conflit était de ne pas être fait prisonnier, je crois. On peut tout décrire pour avoir des dés, sauf la réalisation de l'objectif). C'était top, parce que ça ne ressemble pas à un combat de jeu de rôle classique, où tu ne te permettrais pas de tuer une de tes Némésis sur une simple déclaration. Là, la joueuse m'envoyait un signal que c'en était fini avec cette Némésis, il était temps de lui envoyer du sang neuf en matière d’adversité. Donc, avec des règles toutes simples, qui permettent de plaider pour son personnage, je permets aux joueur.se.s de prendre des sacrées libertés en terme de narration. Vraiment mémorable.
+ Le système fait complètement illusion pour un one-shot mais ne remplacerait pas un système dédié (Wulin, Tiamat, Wushu, Feng Shui) sur le long terme.
+ C'est par la suite que j'ai eu la très bonne surprise de découvrir Le Monde des Brumes, hack d'Inflorenza par Olivier Semillon pour jouer dans un cadre d'arts martiaux légendaires, avec juste ce qu'il faut d'ajout de règles et de listes pour apporter une vraie durée de vie à la formule.
+ Il a permis exploiter la passion de mes deux joueur.se.s pour le karaté, puisqu'ils avaient toute latitude pour décrire leurs coups.
+ Le 6 en banque est un peu illusionniste dans la progression de l'adversité. Je programmais la difficulté en ajustant le nombre de péripéties en fonction du nombre de dés/points de vie restants des joueurs. Cela convenait avec ce groupe, mais si les joueurs préfèrent moins d'illusionnisme, il faut jouer Carte Rouge, ou alors convenir dès le départ du nombre de conflits qu'on va jouer (en l'occurrence, 7 par joueur me paraît un bon équilibre, ça donne quelques sueurs froides vers la fin).
+ L'autre souci, c'est que mécaniquement, la difficulté progresse dans le sens où les personnages perdent de plus en plus de dés. Si on jouait avec juste un Inflorenza sans phrase comme on l'a fait dans La Main Sanglante, on aurait une impression différente (mais alors il faudrait bien jouer avec les sacrifices contaminants pour restituer une sensation de risque).
+ J'aurais pu pousser l'aspect Mortal Kombat du jeu en accordant au vainqueur de faire une fatalité (sans pour autant que ça se solde par la mort de l'adversaire). C'est une façon élégante de dire au joueur ou à la joueuse « Tu as le droit de raconter l'issue. », et je pense que les joueur.se.s auraient trouvé ça bien fun.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#154 09 Jan 2016 11:42

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [Inflorenza : Héros, salauds et martyrs à Millevaux] Comptes-rendus

L'ARCHIPEL D'EIREANN

Test du théâtre irlandais écrit par Kantelder, retour à Inflorenza classique, et réflexions sur le jeu intimiste et épique.

Jeu : Inflorenza, héros, salauds et martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux

Joué le 14/08/15 chez moi

Personnages : Ewen de Kernan, Gwena

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crédits : 'J', andy patterson, dawn_perry, licence cc-by-nc, galerie sur flickr.com


Le Théâtre :

L'Archipel d'Eireann est un théâtre de Kantelder, qui a lieu en Irlande.


L'Histoire :

Ewen de Kernan

+ Je veux retrouver mon père, disparu il y a quelques années dans la Brume.
L'île de Belfast. Industrieuse et vaporeuse. Quais et docks crasseux et enfumés. Dockers humains et ogres à la peine. Le Mur de la Honte sépare la ville en deux. Jadis les catholiques étaient d'un côté et les protestants de l'autre, mais aujourd'hui il y a trop de passages entre les deux. Il y a encore des Faes à Belfast, mais ils sont tous réduits en esclavage, ils travaillent sur le port, où font partie de rouages, de machines ou de chaudières.
Moi, j'erre de pub en pub, le plus souvent soûl comme une barrique. Depuis des années, je cherche des informations sur l'endroit où a pu disparaître mon père, et j'ai longtemps cru que les tavernes de Belfast était le meilleur endroit pour en glaner. J'y ai fait la connaissance d'Aubouin, un être difforme et encapuchonné, bonhomme rabougri, hideux, qui me donne quelques informations sybillines en échange d'une pinte de bière de temps en temps.

Gwena

+ Je veux retrouver cette île inaccessible qui hante mes songes.
Depuis que je suis toute petite, je rêve de cette Île. On la prétend inaccessible, pourtant j'ai voué ma vie à la retrouver, persuadée qu'il y a un moyen. Aujourd'hui, j'ai grandi, je vis de la vente du poisson à Belfast avec ma famille, mais je n'ai jamais perdu espoir, je n'ai jamais cessé de mener l'enquête.

Ewen de Kernan

+ Je souhaite mettre la main sur une Carte des Brumes écrite par les druides.
C'est la Nuit de Saint-Patrick. C'est jour de fête et de beuverie pour tout le monde, mais c'est aussi jour d'amnistie pour les Faes, qui peuvent ce jour seulement quitter leurs cages, leurs cachots ou leurs chaudières, et se déplacer librement dans la ville. Saint-Patrick ce jour-là fait la paix avec le Serpent. (Dans l'Irlande chrétienne, les Faes sont assimilés au Serpent et par extension aux Horlas, et c'est bien pratique pour les réduire en esclavage).
Je me rends à la Taverne du Bout du Monde, c'est là où les plus grosses festivités auront lieu, l'occasion rêvée pour progresser dans mes recherches. La Taverne est située sur une jetée au-dessus de la mer de brume. Elle est ronde et en son centre, il y a un immense gouvernail couché. La grande table au milieu sert de piste de danse et les tabourets sont placés à la circonférence du gouvernail. Les barres du gouvernail sont suspendues au dessus de la mer, on voit l'eau entre les barres. Le gouvernail est toujours en rotation, et lorsque les danses les plus rythmées surviennent, les fêtards font tourner le gouvernail de plus en plus vite.
Le hideux Aubouin m'y a donné rendez-vous. Nous sommes tous deux attablés au gouvernail, et je l'arrose de Guinness pour avoir de nouvelles informations. Il m'explique que mon père est rendu sur une île réputée inaccessible. Enfin pas si inaccessible que ça : pour s'y rendre, il faut utiliser la carte des brumes. Bien sûr, il s'agit d'un artefact unique, les druides sauraient où le trouver.

Gwena

+ Mes passages successifs dans les tavernes m'ont convaincue que ce n'était pas dans la mémoire des hommes que je trouverai mes réponses.

J'ai passé beaucoup de temps dans les tavernes à poser des questions, mais les humains sont idiots et ignorants. Je pense maintenant que seule le peuple Fae connaît la réponse. Alors, je me dis que le Soir de la Saint-Patrick est la meilleure opportunité que j'aie. Je me rends à la Taverne du Bout du Monde, où je sais en trouver en masse. Je me fais passer pour une serveuse pour épier les conversations. Et là, je décroche le gros lot. J'entends un homme et un Fae rabougri parler de l'Île Inaccessible. Je leur sers une tournée, je leur dis que je recherche l'Île comme eux, et je me joins à la conversation.

Aubouin nous dit que la Nuit de la Saint-Patrick est le moment ou jamais pour trouver la carte des brumes : il nous donne trois pistes, qui seront caduques dès le lendemain : aller voir le Vaisseau des Druides, en partance pour des îles païennes, ou aller voir le Vaisseau de la Morrigane, une tristement célèbre chasseuse de Faes, ou aller voir un Leprechaun qui a installé un bar éphémère au sommet du Mur et vend un alcool terrible, qui, s'il ne ne vous enlève pas la raison, vous donne toutes les réponses.
La fête bat son plein. Des personnes éméchées font tourner le gouvernail alors que les couples de danseurs investissent la table centrale.
S'approchent de nous trois personnes vêtues de noir et encapuchonnées : deux larrons, avec à leur tête une femme avec le haut du visage peint en rouge. Ils sortent leurs épées : visiblement ils veulent nous tuer tous les trois !

Ewen de Kernan

+ Je ne suis pas un soldat des seigneurs féodaux, mais les longues heures passées dans les tavernes m'ont appris à me battre salement, à coups de tabourets et de croc-en-jambes.

Avec Gwena et Aubouin, nous montons sur la table centrale pour nous mêler aux danseurs. Mais Visage Rouge et ses trois hommes nous y rejoignent. Toutes épées dehors, ils ne prennent même pas la peine de cacher leurs intentions et bousculent ou blessent tous ceux qui se dressent sur leurs passages.
Moi, je me bats comme le fauve enivré que je suis, et j'éclate un tabouret sur le crâne d'un des larrons.

+ J'ai vu une incantation mystique gravée dans la peau d'un cultiste. (Pouvoir)

Alors que je me battais contre un des larrons, je lui arraché sa veste, et j'ai vu sur son dos le tatouage d'une formule magique en ancien celte, que j'ai aussitôt mémorisée. J'ignore ce qu'elle signifie, mais je suppose qu'elle recèle un terrible pouvoir.

Gwena

+ Je suis très alerte et réagis rapidement, mais ma stratégie est défensive, je sauverai ma peau avant celle des autres.

Quand alors la Secte de la Carte nous donne l'assaut. Je monte sur la table et me joins aux danseurs, passant de cavalier en cavalier, comptant sur la rotation de la table pour désorienter Visage Rouge, la plus tenace. Aubouin tente de me suivre, mais il est si laid que chaque cavalier le repousse, il avance plus en se faisant bousculer que de son propre chef. Obnubilée par ma propre survie, je ne parviens pas à le protéger, et il se fait poignarder sous mes yeux avant que je prenne la fuite avec Ewen.

Ewen de Kernan

+ Il ne me reste plus de souvenirs de mon père, seul l'argent issu de la vente de ses biens.

Avec Gwena, nous allons au port et tentons d'appareiller sur le vaisseau des druides. Mais ce dernier est littéralement pris d'assaut par les personnes qui veulent quitter Belfast pour les îles païennes, notamment les Faes aministiés d'un soir. Un druide à la barbe blanche (rien ne nous dit qu'il est si vieux qu'il n'y paraît, la magie use prématurément les druides) fait le tri sur le pont. Après une queue interminable, nous arrivons en face de lui, je sors une bourse pleine d'or, tout ce qui me reste de l'héritage de mon père.

Gwena

+ Je compense la maigreur de ma bourse, remplie par la vente de poissons, par la beauté et la jeunesse de mes traits.

Quand nous voulons monter sur le vaisseau des druides avec Ewen, il nous faut trouver une monnaie d'échange pour être acceptés en tant que passagers, puisque l'équipage est déjà au complet.
Mais le Druide n'a plus que deux places, et les Faes éplorés viennent d'aporter un gisant sur lequel ils ont déposé le corps d'Aubouin. Dans la mort, Aubouin a retrouvé sa beauté légendaire, et tout le monde l'a enfin reconnu : il s'agissait d'Obéron, le Roi des Faes, qui avait perdu sa beauté, corrompu par l'atmosphère industrieuse de Belfast. Les Faes veulent qu'il appareille, pour que les Druides l'emportent vers les îles païennes et lui rendent les hommages funéraires dûs à son rang. Le Druide n'a plus que deux places : il a le choix entre Gwena et moi, ou le gisant d'Obéron. Je me sais belle et jeune, d'aucuns disent à couper le souffle, j'espère que le chef des druides y sera sensible. Mais il me regarde et dit d'un air désolé : "J'aurais vraiment aimé naviguer en votre compagnie, mais je ne peux refuser au Peuple Fae d'emporter la dépouille de leur Roi, malgré tous les ennuis que cela pourrait me rapporter."

Ewen de Kernan

+ Beaucoup des Faes de Belfast ne me portent pas dans leur cœur.

En redescendant sur le quai, je vois les Faes, minuscules fées aux ailes de dentelle, leprechauns noircis par la fumée, ogres fourbus, qui me regardent. Ils savent que je n'ai pas protégé Obéron durant le combat de taverne, et que j'ai fui.

Gwena

+ Mon moral est miné en prenant conscience d'à quel point mon visage est marqué par les nuits d'insomnie et m'enlaidit.

Pour moi, le refus du druide n'est pas lié au choix qu'il devait faire entre nous et Obéron. Je réalise que mon visage est prématurément fané. Ma quête de l'île Inaccessible me consume à petit feu. Je commence à perdre espoir.
Une femme nous offre une porte de sortie : elle se présente à nous, vêtue d'une capeline de noir. Son visage, très pâle, est d'une grande beauté. Ses dents sont taillées en pointe comme celles d'un piranha, ses cheveux sont d'un noir de corbeau et ses yeux sont verts et fendus comme ceux d'un serpent. C'est Morrigane, la chasseuse de Faes. Elle dit savoir que nous cherchons la carte des brumes, elle prétend être la seule à pouvoir rattrapper le vaisseau des druides avec son propre vaisseau, et elle dit avoir besoin de nous, à cause de notre volonté de trouver la carte des brumes, pas à cause de nos éventuelles compétences de marins. La mort dans l'âme, nous nous résignons à rejoindre son équipage. Alors je m'enhardis dans ma quête, il ne me reste plus que ça finalement.

Ewen de Kernan

Beaucoup des Faes de Belfast ne me portent pas dans leur coeur.
Au moins, Belfast sera derrière nous, et avec lui les Faes qui voulaient se venger de moi.

Le vaisseau de la Morriganne, perdu dans les brumes crasseuses du port, a une sinistre coque goudronnée, et des voiles en écailles de serpent. A bord, nous rencontrons un insolite équipage de gueules cassées et de brigands de grand chemin. Parmi eux, il y a Medb, une Fae à taille humaine. Ses ailes sont déchirées, ses poignets portent encore les anneaux de chaînes, son corps tatoué est meurtri par la torture. Elle a sans doute appareillé pour fuir Belfast. Il y a aussi un vieil homme, qui cherche aussi l'Île Inaccessible. Il nous explique que sur l'Île Inaccessible, chacun trouve exactement ce qu'il y recherche. C'est pour cela que j'y retrouverai mon père, c'est pour cela qu'il recherche l'Île, espérant y retrouver sa femme morte il y a cinquante ans. Il a quelques doute sur le fonctionnement exact de l'Île. Il pense que seul le premier à y accoster verra son vœu exaucé. Par conséquent, s'ils peuvent coopérer un temps, ils seront au final en compétition.
Nous croisons aussi... les trois personnes qui ont voulu nous tuer à la Taverne du Bout du Monde ! Le vieil homme nous explique qu'elles sont membres de la Secte de la Carte, une société qui veut empêcher quiconque d'atteindre l'Île Inaccessible, pensant que celui qui le fera demandera forcément le pouvoir suprême, ce qui bouleverserait l'équilibre du monde et provoquerait sûrement la fin de ce monde. Par voie de conséquence, ils veulent aussi détruire la carte des brumes puisque c'est le seul moyen d'accès vers l'Île Inaccessible. Or, la carte des brumes n'est rien d'autre que le cerveau d'Obéron ! Nous arrivons à transiger avec ces trois-là : nous savons que le vaisseau fait cap vers l'Île des Morts, où les druides se rendent également pour célébrer l'hommage funéraire d'Obéron. La Secte de la Carte veut autant s'y rendre que nous, puisqu'ils veulent détruire le cerveau d'Obéron. Or, la Morrigane a besoin de nos volontés à tous pour atteindre l'Île des Morts : nous sommes donc tous obligés de collaborer jusqu'à être arrivés. La Secte de la Carte conclut donc une trêve avec nous le temps de la traversée.

Le vieil homme m'explique enfin que la Morrigane convoite le corps d'Obéron, qui est à lui seul un puissant artefact, mais qu'elle convoite surtout le cerveau d'Obéron, alias la carte des brumes. En effet, Morriganne est une des dernières Déesses survivantes (Obéron était un Dieu). Elle veut la carte des brumes pour atteindre l'Île Inaccessible et demander le pouvoir suprême, alors elle sera la dernière Déesse et hommes et Faes vivront sous sa domination.

La Morriganne nous réunit dans sa cabine, où se trouve un gouvernail des brumes. C'est un gouvernail posé à l'horizontal. En son centre, une carte de l'archipel, sous verre, envahie par un brouillard artificiel. Il nous faut tous empoigner une barre du gouvernail et penser à la destination, alors le vaisseau atteindra l'Île des Morts à temps. Nous envisageons un temps de conseiller plutôt un abordage sur le vaisseau des druides à travers la brume, mais nous renonçons à cette option, trop risquée.

Gwena

+ J'acquiers une connaissance très pointue du fonctionnement de la "brume" (Pouvoir)

Alors que nous utilisons le gouvernail des brumes et que celui-ci utilise notre volonté pour atteindre l'Île des Morts, j'accède en retour au savoir contenu dans le gouvernail. Je comprends vraiment ce qu'est la brume : une trame d'égrégore, un objet de nos fantasmes, je comprends à quel point elle réagit à la volonté humaine, et qu'elle peut emmener une personne exactement où elle le désire, si cette personne atteint un haut degré de maîtrise de l'égrégore. Alors que j'acquiers ce pouvoir, je réalise aussi que la Morrigane vise également une maîtrise parangonique des brumes, que c'est la forme de pouvoir suprême qu'elle recherche sur l'Île Inaccessible, et que cela lui permettrait de faire d'énormes ravages, comme par exemple rayer l'île de Belfast de la carte.

Le voyage à travers les brumes est plein de tensions, nous craignons à chaque instant que la Secte de la Carte rompe la trêve et nous poignarde, nous luttons aussi contre la tentation de penser à autre chose que l'Île des Morts, mais finalement nous tenons bon.

La brume s'écarte un temps devant la proue du navire, révélant l'Île des Morts, île blanche couverte de résineux noirs, surmontée de corbeaux croassants. L'accès principal est une baie surmontée d'un grande arche de pierre blanche, on y aperçoit des barques noirs et le vaisseau des druides. Le vaisseau de la Morrigane accoste de l'autre côté, discrètement. La Secte de la Carte renonce à nous attaquer, au lieu de ça, ils endossent des tenues de camouflage et partent sur une barque : lors de la traversée, j'ai utilisé le pouvoir du gouvernail des brumes pour deviner leur plan. La processions funèbre va partir de la baie, monter au sommet de l'île, puis redescendre de l'autre côté, et déposer le gisant d'Obéron dans une barque, qu'on laissera partir à la dérive. C'est alors que la Secte de la Carte interviendra et détruira le crâne d'Obéron, à l'abri des regards.
Avec Medb et le vieil homme, nous désertons discrètement le vaisseau et rejoignons le vaisseau des druides : nous les mettons au courant des projets de la secte de la Carte et de la Morrigane. Les Druides nous expliquent qu'une fois le gisant d'Obéron mis à l'eau, il partira dans une autre dimension, à travers la brume. Le plan de la Secte de la Carte est donc voué à l'échec : ils ne pourront jamais aborder la barque d'Obéron, car ils ne seront tout simplement pas dans le même monde. En revanche, les Druides pensent que la Morrigane va attaquer pendant le cortège funèbre, et c'est ce qu'ils craignent par dessus tout : la Morrigane est une Déesse, et la plus terrible d'entre elles. Il faudra tenir jusqu'à la côte opposée, en respectant le rythme de marche funéraire, sans quoi le rituel de la renaissance d'Obéron n'aura pas fonctionné. Medb se joint au cortège funéraire. Elle révèle qu'elle est la dernière Déesse, avec la Morrigane, et qu'elle s'oppose à ses plans de domination.
Avec le vieil homme, nous échafaudons le plan suivant : nous nous joignons au cortège funéraire, pour participer à la défense du corps d'Obéron contre les assauts de la Morrigane. Et quand le cortège jettera la barque d'Obéron à la mer, nous sauterons dans la barque avant qu'elle disparaisse dans les brumes. Alors nous pourrons trouver la carte des brumes. Bien sûr, cela laisse en suspens la question de la compétition pour atteindre l'Île Inaccessible en premier. On verra au dernier moment.

Le cortège funéraire monte la colline, sur un pas désespérément lent et solennel. Les druides vêtus de blanc portent le gisant d'Obéron, recouvert d'un linceul blanc, de fleurs et de cadavres de minuscules Faes mortes au même moment d'Obéron, dans l'arc d'égrégore de son agonie. Un ogre au pelage brun, armé d'une masse, ouvre la marche, et Medb, armée d'un couteau gravé de motifs celtes, ferme la marche
Tous nous portons des couronnes de gui, et nous montons la colline alors que la brume s'épaissit de plus en plus, bientôt nous n'avons plus aucune visibilité. Pourtant nous atteignons le sommet de la colline. Un gigantesque dolmen y est érigé, nous le franchissons comme un passage vers l'autre monde. Obéron ouvre alors les yeux !

Une fois que nous sommes passés sur l'autre versant, une silhouette géante apparaît devant nous ! Morrigane dans sa forme de Déesse. Elle mesure quatre mètres de haut, ces cheveux sont des serpents noirs, elle a de gigantesques ailes de corbeau. Elle tient une masse de métal noir terminée d'un maillet effilé d'une corne : l'arme idéale pour ouvrir le crâne d'Obéron, et pour massacrer tous ceux qui se dresseraient sur son passage.

Le cortège poursuit son avancée à pas solennel, tous font remparts de leurs corps pour protéger Obéron. L'ogre se rue vers la Morrigane avec son gourdin en hurlant. La Morrigane le crève en deux d'un seul coup de masse !

Ewen de Kernan

Le combat qui suit est d'une grande violence et d'une grande confusion. J'utilise les terribles mots de pouvoir appris sur la carte tatouée dans le dos des larrons, pour échapper plusieurs fois au coups de la Morrigane. J'apprends aussi durant le cortège un peu des secrets de la brume, je deviens vif comme elle, presque intangible. Mais beaucoup de druides et de Faes du cortège n'auront pas cette chance et tomberont sous les coups de la Déesse. Au final, Medb affronte la Morrigane en combat singulier, et tombe à son tour. Morrigane est maintenant, de fait, la dernière Déesse au monde.

Gwena

+ Inflexible dans ma volonté de protéger Obéron, je n'ai pas hésité à m'interposer jusqu'au bout malgré les druides qui tombaient au combat.

Quand est venu l'heure de protéger le cortège funèbre de la Morriganne, alors que je me pensais lâche et égoïste, je n'ai pas hésité à prendre part au combat. J'ai découvert que sous la pression du danger, ma maîtrise de la brume avait atteint un point culminant : je pouvais me téléporter dans la brume ! C'est en changeant de position à chaque seconde que j'ai distrait la Morriganne suffisamment pour que le cortège amène Obéron jusqu'à la jetée.

Ewen de Kernan

+ Je peux devenir la Brume, intangible et vif, au risque de me disperser d'une bourrasque.

Morriganne a tué la plupart des membres du cortège, mais elle n'a pas atteint son but. Les derniers druides poussent le gisant d'Obéron sur la barque. Avec Gwena, nous poussons la barque et nous apprêtons à sauter dedans.
Mais derrière nous, le vieil homme grimace : "J'ai passé cinquante ans à préparer ce moment, ne croyez pas que vous allez me doubler !". Il sort de sa manche deux disques d'argent : ce sont les boucles d'oreilles de sa défunte femme, tout ce qui lui reste d'elle. Il a passé cinquante ans à les aiguiser, leur bord est coupant comme du diamant, et elles sont gorgées d'égrégore. Il lance les deux boucles comme des shurikens, une vers moi, une vers Gwena. Vif comme la brume, je me jette sur le côté, tellement vif que je manque de perdre ma cohésion interne et de me disperser, puis je m'arque à nouveau et saute dans la barque.

Il ne me reste plus de souvenirs de mon père, seul l'argent issu de la vente de ses biens.

Le shuriken qui m'était destiné ne me touche pas un cheveu, mais il tranche les cordons de ma bourse, qui tombe sur la jetée dans un tintement de pièces : je laisserai donc derrière moi tout ce qu'il me restait de mon père.

Gwena

Le vieux nous jette deux shurikens parfaitement mortels mais ma volonté de gagner l'Île est plus forte que lui : à nouveau je me téléporte dans la brume, j'échappe au projectile, et je me retrouve dans la barque d'Obéron avec Ewen.

Le vieux hurle sa détresse : il ne nous a pas touchés, et nous avons sauté dans la barque avant lui. Il a perdu.

Ewen de Kernan

Aussitôt que la barque glisse sur l'eau, les brumes nous enferment. Nous apercevons un instant la silhouette de la barque de la Secte de la Carte, qui se dissipe aussitôt. Nous comprenons que nous sommes passés dans un autre monde. Obéron ouvre la bouche et avale une grande goulée d'air, comme s'il revenait à la surface après une longue apnée. Il est revenu à la vie ! Je sens qu'il attend que nous lui posions des questions. Mais je n'ose rien dire.

Gwena

Alors qu'Ewen se redresse, ressuscité, il est temps de l'interroger. Il en sait beaucoup plus qu'il n'en a bien voulu dire à Belfast : c'était là facéties de Fae et faiblesse de la corruption. Ewen n'ose rien dire, alors je me lance : "Comment atteint-on l'Île Inaccessible ?".

Obéron nous regarde.

Et sourit.


Playlist :

Bande originale du film Braveheart (musique classique aux accents celtiques)
Tempradura : A la rue (musique pan-celtique festive)
Ulver : Kveldssanger (dark folk)


Feuilles de personnage :

Ewen de Kernan

+ Je veux retrouver mon père, disparu il y a quelques années dans la Brume.
+ Je souhaite mettre la main sur une Carte des Brumes écrite par les druides.
+ Je ne suis pas un soldat des seigneurs féodaux, mais les longues heures passées dans les tavernes m'ont appris à me battre salement, à coups de tabourets et de croc-en-jambes.
+ J'ai vu une incantation mystique gravée dans la peau d'un cultiste. (Pouvoir)
+ (barré) Il ne me reste plus de souvenirs de mon père, seul l'argent issu de la vente de ses biens.
+(barré) Beaucoup des Faes de Belfast ne me portent pas dans leur cœur.
+ Je peux devenir la Brume, intangible et vif, au risque de me disperser d'une bourrasque.

Gwena
+ Je veux retrouver cette île inaccessible qui hante mes songes.
+ Mes passages successifs dans les tavernes m'ont convaincue que ce n'était pas dans la mémoire des hommes que je trouverai mes réponses.
+ Je suis très alerte et réagis rapidement, mais ma stratégie est défensive, je sauverai ma peau avant celle des autres.
+ Je compense la maigreur de ma bourse, remplie par la vente de poissons, par la beauté et la jeunesse de mes traits.
+ Mon moral est miné en prenant conscience d'à quel point mon visage est marqué par les nuits d'insomnie et m'enlaidit.
+ J'acquiers une connaissance très pointue du fonctionnement de la "brume" (Pouvoir)
+ Inflexible dans ma volonté de protéger Obéron, je n'ai pas hésité à m'interposer jusqu'au bout malgré les druides qui tombaient au combat.


Règles utilisées :

Carte Blanche sans instance, jeu avec phrases, dés (d12), tableau des symboles, pouvoir.

Le joueur d'Ewen est un des joueurs de la campagne Les Épines de la Rose qui a inspiré Inflorenza (et notamment le théâtre Tre Città per Morire). C'est aussi la première personne qui m'ait parlé de narration partagée (il était MJ à Boule de Neige) alors même qu'à l'époque je trouvais l'idée saugrenue. Je lui avais beaucoup vanté Inflorenza, et il l'avait lu par ailleurs. Alors, quand nous avons eu l'occasion de rejouer à nouveau, je ne pouvais pas faire l'impasse de refaire une partie sous Inflorenza classique, c'est-à-dire les règles de la première édition, avec 12d12, le tableau des inflorescences, les pouvoirs... J'ai proposé Carte Blanche ou Carte Rouge, mais comme la joueuse de Gwena avait peu d'expérience en jeu de rôle, elle a préféré que nous jouions en Carte Blanche. Néanmoins, le joueur d'Ewen, qui voulait participer largement à la narration, a pu le faire sans problème, dans la mesure où l'écriture des phrases en offre une belle opportunité, et dans la mesure où en Carte Blanche, un joueur peut dire ce qu'il veut sur le décor et les figurants, tant que le Confident ne le contredit pas.
Nous avons créé les personnages (une phrase) avant de commencer à jouer.
Je me suis permis une innovation par rapport aux règles de la première édition : nous avons fait une minute de silence entre la création de personnage et la partie.


Retour des joueurs :

Joueuse de Gwena :
+ Au départ, l'aspect très narratif du jeu me faisait peur car je suis timide, mais finalement c'était facile.
+ L'univers était plus facile d'accès que celui de la Légende des 5 Anneaux [Note de Thomas : à mon avis, c'est dû au fait que l'univers d'Inflorenza est émergent et incohérent (on peut se permettre toutes sortes de fantaisies et d'anachronismes), alors que l'univers de L5A est fixé et codifié.]

Joueur d'Ewen :
+ Le tableau des symboles était très important pour moi, car ces contraintes créatives m'ont forcé à sortir de ma zone de confort.
+ J'avais l'occasion de satisfaire ma passion pour le jeu masochiste, mais je ne l'ai pas exploitée à fond (j'aurais pu barrer des phrases plus cruciales). [note de Thomas : les joueurs ont eu aussi pas mal de chance aux dés, ont évité certains sacrifices en prenant des pouvoirs, et comme nous jouions sans instance, j'ai été généraux avec le don de phrases sans conflit : à deux reprises, je leur ai demandé d'écrire une nouvelle phrase juste avant de lancer un conflit. Par exemple : avant le combat contre la Secte de la Carte, je leur ai demandé d'écrire une phrase sur leur style de combat.]
+ J'étais plus en terrain connu que la joueuse de Gwena [Note de Thomas : ce joueur a une bonne expérience de rôliste, et a beaucoup joué à Millevaux avec moi.] J'ai beaucoup apprécié l'expérience de jeu, je n'ai pas été déçu par rappport à ce que j'attendais d'Inflorenza.
+ J'ai beaucoup aimé créer des choses dans la fiction (comme la mort d'Obéron, que j'ai décrite à l'occasion d'un conflit perdu.) et que le Confident leur confère un impact large par la suite. [puisqu'en effet j'ai largement exploité la mort d'Obéron.]
+ La partie était trop épique, je m'étais préparé à des situations dont l'enjeu ne concernait que mon propre personnage, mais là, il était largement dépassé. [note de Thomas : je n'avais pas cerné l'attente des joueurs de jouer intimiste, et je n'ai pas mobilisé certains outils existant dans la base (il existe un handicap sur les tonalités de jeu). J'ai bien demandé les attentes des joueurs au début du jeu, mais la question du genre narratif n'a pas été abordée. Or, en Carte Blanche, le Confident a largement la main sur le genre narratif, et bien que les joueurs aient en effet joué des personnages plutôt street level, j'ai succombé aux sirènes du jeu épique, et monté les enjeux de plus en plus au cours de la partie, jusqu'à mettre le sort de toute l'Irlande entre les mains des personnages. A l'avenir, si je voulais éviter ce genre d'écueil, j'emploierai des gestes du pouce (pouce vers le haut : plus de ça, pouce vers le bas : moins de ça), la grille de genre narratif présente dans le livre de base.]


Retour personnel :

+ L'Irlande (avec l'Islande) est un pays dont l'identité m'échappe, à tel point que j'ai été jusqu'à présent incapable d'en rédiger une description pour l'Irlande, préférant éluder l'existence du pays. Le théâtre de Kantelder me donnait quelques billes, mais si peu. Il m'a néanmoins forcé à faire quelques recherches sur Wikipedia, notamment sur Obéron, et de fil en aiguille sur Morrigane. Et en jeu, la magie a opéré. Pour squelettique qu'il était, le théâtre de Kantelder nous a amplement suffi pour créer une séance mémorable. Il est vrai qu'on a déjà fait avec dix fois moins, comme lors des parties La forêt qui poussait sous la mer, L'inconnu ou Tes paroles ne m'atteignent pas. Je suppose que les irlandophiles et les celtophiles ne manqueront de relever un tas d'âneries, mais dans le cadre de Millevaux (où je me permets par ailleurs un tas d'invraisemblances), je trouve que ça passait bien, et ça m'a donné des billes pour le jour où je m'attelerai enfin à cette description de l'Irlande pour l'Atlas.

+ La séance a été l'occasion de quelques combats hauts en couleur. A Inflorenza, je joue le combat comme un film, mais je réalise qu'Inflorenza classique n'est pas forcément le meilleur outil pour cela. Déjà, j'ai laissé les joueurs utiliser toutes leurs phrases d'un coup (par exemple, le joueur d'Ewen jouait trois phrases d'un coup, puis la joueuse de Gwena utilisait trois phrases d'un coup) alors que l'alternance entre joueur impulse plus de rythme au combat, plus la sensation d'une progression chronologique. L'autre chose que je ferais différemment, c'est que j'intercalerais une action ou un inventaire du Confident entre chaque utilisation de phrase, pour illustrer une vraie passe d'armes entre les personnages et les figurants. L'autre inconvénient est qu'on jouait avec des phrases : et les joueurs ont plus tendance à écrire des motivations (surtout ces joueurs-là, qui voulaient finalement jouer intimiste et non épique) que des techniques de combat, et ça se ressent quand ils utilisent leurs phrases : ils rappellent les motivations de leurs personnages plutôt que de décrire leurs passes d'armes : on se retrouve presque avec du combat shonen, très dialogué, qu'avec du combat cape et d'épée, très chorégraphié.

A tout prendre, la meilleure version pour du jeu épique avec des combats détaillés et vivants, reste le jeu avec dé mais sans phrases (il faut décrire une action ou un inventaire à chaque dé, et le Confident peut intercaler des interventions entre chaque pose de dés). Voir pour cela le compte-rendu Mortal Karthage, exemplaire de ce point de vue là (on y jouait avec du 6 en banque : il faut bien penser à décrire des pertes ou des blessures à chaque sacrifice de dé, parce qu'il n'y a ni puissance ni souffrance).


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
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#155 21 Jan 2016 16:55

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [Inflorenza : Héros, salauds et martyrs à Millevaux] Comptes-rendus

LA SUCCESSION DE SHAMAN OURS

Test du théâtre "Au Nord sous les étoiles silencieuses", entre trip chamanique et rébellion dans le Grand Nord, au sein d'un village de devoirs et de non-dits, harmonie de groupe et solipsisme.

Jeu : Inflorenza, héros, salauds et martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux

Ce compte-rendu a été rédigé par Eugénie, un tout grand merci à elle ! Compte-rendu original sur La Partie du Lundi

Joué le 28/11/2015 à la Librairie Charybde lors de la tournée Paris est Millevaux
Personnages : Shaman Rennes, Pierre, Phénix, L'Ombre, L'épouse de l'Hiver

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credits (c) par Etienne-Martin, cc-by-nc par Flavio~ & trevorklatko, galeries sur flickr


Le Théâtre :

Au Nord, sous les étoiles silencieuses : un théâtre d'Epiphanie.
Tout au nord se trouve un village dont on dit que c’est le dernier avant les glaces. Les habitants y vivent dans un hiver éternel, la nuit dure dix mois et l’on n’adresse plus ses prières au soleil, trop faible ici pour exaucer les souhaits. Comment survivre entre les deux malédictions de la forêt et
du givre sinon en se réfugiant dans ses obsessions, pour ne surtout pas penser à la limite, là où la forêt s’arrêterait et où habitent les vieilles légendes du passé ?


L'Histoire :

Pas de tour préliminaire

Tour 1

Shaman Renne a lu les runes et ils sont néfastes. Les esprits du gel menacent le village. Il se dirige vers le centre du village pour faire part de ses préoccupations aux habitants.
[Légendes incarnées] Je veux lutter contre les esprits du gel qui ont décidé de mettre à mal le village
Shaman Ours, le Shaman des glaces est aujourd’hui très vieux et très faible. Il l’intercepte et lui annonce qu’il n’aura pas la force d’endosser le Costume (son costume de Shaman, une énorme structure de bois, de tissus, de peaux) pour affronter la glace. Shaman Ours fait part de ses doutes quant à la vocation de son apprenti Pierre, qui n’est peut-être pas prêt.
Shaman Renne se propose de confier la tâche à Shaman Loup, ce qui implique une promenade dans la neige, et la disparition du vieux Shaman…
[Pulsions] Le gâtisme de Shaman Ours nécessite que l’on prenne sa succession en main.


Pierre aime sculpter seul dans la forêt. Il façonne un arbre givré pour lui donner la forme d’un ours, c’est sa façon de méditer. Il ne se sent pas prêt à devenir Shaman à la suite de Shaman Ours, car il aime trop la vie qu’il mène, et refuse de l’oublier.
[Glace] Je ne veux pas devenir Shaman Ours et partir dans l’autre monde de glace car ça me ferait oublier mon passé
Il aime rentrer dans la chaleur de sa yaranga, et que sa femme Inouk l’y attende. Il ne sait pas lui parler, il n’a pas les mots, mais il a besoin d’elle, de sa présence et de son regard.
Inouk prépare le repas, ils mangent, en silence, puis alors que la nuit progresse, il taille encore des petits objets dans des ivoires narval. Enfin, quand le feu est au plus bas, ils se déshabillent et se couchent, et il lui fait l’amour, comme chaque nuit, sans mot dire, son corps dit ce que sa bouche tait. Et puis ils s’endorment sans rêve.
[Solitude] Sans Inouk, je me sens seul.


Phénix, la fille de Shaman Renne, harangue une vingtaine de villageois. Tous portent des masques bricolés à tête d’Ours noir. Elle attise le mécontentement envers les Shamans, qui seraient menteurs, alcooliques, manipulateurs et avides. Tous les hivers, ils disent combattre les « esprits du gel », mais en réalité ils ne sont bons à rien.
[Animisme] Les Shamans n’en ont plus pour longtemps
Phénix évoque une route qui mène en des lieux où le climat serait plus clément. Elle dresse un tableau idyllique des terres du Sud.
[Obsessions] Je veux conduire le peuple au Sud.


L’Ombre rôde dans le village. Il ne sait plus s’il est un humain qui a oublié sa substance ou une ombre qui aurait pris son indépendance.
[Société] Je reviens toujours au village.
[Nature] Je veux sentir le lichen sous mes pieds.


Ce qui suit s’est passé il y a longtemps : la jeune fille est morte d’une épidémie de fièvre-givre. Mais quand les Shamans ont déposé son corps pour ses funérailles célestes, c’est L’Hiver qui est venu la chercher et il l’a prise pour épouse.
Elle s’est éveillée il y a peu dans un palais de glace désert, et enceinte de l’Hiver. Elle a quitté le palais sans savoir où aller est ses pas l’ont ramenée au village. Elle s’en approche avec envie, attirée par sa chaleur.
[Glace] Je veux que la chaleur du village soit un berceau pour mon enfant
Pierre interpelle l’épouse de l’Hiver. N’étant pas encore Shaman, il vient sans arme, mais il lui demande de partir et laisser le village, le gel a fait trop de mal. Si elle revient, il la combattra pour la chasser définitivement. L’épouse de l’Hiver insiste, en échange de chaleur, elle propose de changer le village en jardin de givre, et offrir des funérailles célestes à tous ses habitants.
[Glace] Seule la glace est pure


Tour 2

Phénix vient trouver Shaman Renne dans sa hutte. Elle l’accuse de les avoir abandonnées, elle et sa mère. Lui affirme ne pas se souvenir de sa vie d’avant. Phénix essaie de convaincre Shaman Renne de considérer son projet de partir au Sud. Elle sort une carte qu’elle brandit, mais Shaman Renne la jette dans le feu.
Conflit duel (Shaman Renne & Pierre vs Phénix) : Phénix l’emporte sur un sacrifice, raye « Je veux conduire le peuple au Sud ».
En sortant la carte du feu, Phénix s’est brûlé la main.
Pour Shaman Renne : [Pulsions] La vie d’avant est finie, il n’y a rien à regretter… il ne faut rien regretter


Tandis que Pierre contemple Inouk dormir et voit qu’elle n’est pas heureuse.
[Ténèbres] Si Inouk reste dans la nuit, elle sombrera
Phénix va trouver Pierre pour achever de le convaincre de ne pas devenir Shaman et de laisser Inouk partir au Sud avec les Ours noirs. Pierre acquiesce en échange de son aide : deux horlas hantent le village, l’un d’ombre, l’autre de glace ; il veut endosser le Costume pour les chasser, mais il ne peut pas le faire seul.
[Pulsions] Ce soir j’aurai le courage d’endosser le Costume


Phénix et Pierre se glissent dans la grotte de Shaman Ours pendant son sommeil et tentent de faire endosser le Costume à Pierre à l’aide de poulies.
Shaman Loup vient chercher Shaman Ours pour l’entraîner dans la forêt et l’y perdre, comme disparaissent les Shamans trop vieux. Shaman Ours se réveille à peine, pendant que Pierre et Phénix paniquent. De l’intérieur, Phénix renvoie Shaman Loup en criant que Pierre va devenir leur nouveau chef, et que le temps des Shamans est terminé.

Conflit duel (Phénix & L’épouse de l’Hiver vs Shaman Renne & Pierre) : Shaman Renne l’emporte.
[Solitude] Le destin du Shaman : être seul et endosser la responsabilité collective
Pour Pierre : [Société] Même si j’en déteste l’idée, je dois devenir le chef
Phénix est subjuguée par la force qui émane de Pierre.
[Société] Le village va avoir un nouveau chef qui guidera la peuple vers la vérité de l’esprit.
[Chair] Il faut que j’apprenne à résoudre mes conflits autrement que par la violence.
Pour l’épouse de l’Hiver : [Ténèbres] J’ai peur que les Shamans me renvoient à la nuit.


L’Ombre n’a trouvé qu’une personne à qui parler. C’est Inouk. L’Ombre lui parle (ou c’est Inouk qui parle) de solitude, de silence, de froid. Ce qu’Inouk ne peut pas dire à Pierre, ou entendre de lui, c’est L’Ombre qui s’en charge. Et Inouk sombre, petit à petit.
[Solitude] La solitude est une tempête qui nous assaille, Inouk et moi.


L’épouse de l’Hiver a longtemps tourné autour du village, attirée par sa chaleur et craignant les menaces de Pierre. Elle a fini par s’approcher de la grotte de Shaman Ours, et se coller contre la porte, sans oser entrer.
Shaman Renne s’en vient à son tour chercher Shaman Ours devenu trop vieux. Les villageois l’accompagnent. En les voyant arriver, l’épouse de l’Hiver panique, la porte contre laquelle elle s’appuyait vole en éclats de givre, et elle tombe à l’intérieur, aux pieds de Pierre dans le Costume.
Dans le monde des esprits, elle voit se dresser trois silhouettes au-dessus d’elle : Pierre en ours monumental, Shaman Renne dont les bois sont ornés de houx, et Phénix.
L’épouse de l’Hiver tente de supplier, elle demande de la chaleur pour son enfant à naître. Pierre lui propose un compromis : il lui donnera sa chaleur la moitié de l’année, il élèvera l’enfant. Inouk partira avec Phénix pour le sud, pour la durée de l’Hiver, pour éviter de sombrer. Mais quand elle reviendra, l’épouse de l’Hiver devra partir.
Au moment où l’épouse acquiesce, l’Hiver s’en vient reprendre son bien.

Conflit duel (L’épouse & Pierre vs Phénix)  : l’épouse de l’Hiver l’emporte sur un sacrifice et raye « J’ai peur que les Shamans me renvoient à la nuit ».
Au moment où Pierre la prend dans ses bras, l’épouse de l’Hiver subit sa délivrance. Les premiers cris de son enfant sont un gazouillement d’oiseau et d’eau qui court, son nom est Printemps. Et à son cri, l’Hiver se détourne et s’enfuit.
Pour Phénix : [Ténèbres] Printemps doit mourir
[Obsessions] Ma place n’est plus dans le village, ni du côté de mon père, ni côté de Pierre


Tour 3

Shaman Renne félicite Pierre d’avoir accepté de devenir Shaman. Pierre se défend, il n’a pas vraiment accepté il a juste endossé le costume… Mais Shaman Renne est confiant, les Shamans ont tous commencé comme ça. Et puis ils s’assagissent.
Phénix vient parler de sa mère à Shaman Renne : elle est seule et sombre petit à petit depuis qu’il les a oubliées toutes les deux.

Conflit duel (Pierre & Phénix vs Shaman Renne). Shaman Renne remporte sur une puissance. Il refuse le souvenir.
[Ténèbres] Mes dernières attaches à l’humanité disparaissent les unes après les autres
Pour Phénix : [Nature] La glace m’a définitivement pris mon père.


Pierre veut chasser le horla d’ombre. Il demande à Phénix de la conduire à la maison de sa mère, l’ancienne épouse de Shaman Renne. Il l’accuse d’être la cause de l’Ombre qui rôde autour Inouk, mais la vieille ne comprend pas. Dans son dos, L’Ombre les observe. Phénix tente de tuer sa mère, devenue l’ombre d’elle-même, pour la délivrer. Pierre veut l’en empêcher..

Conflit duel (Phénix vs Pierre). Phénix l’emporte sur une puissance.
[Animisme] L’ombre étend son emprise ?
Pour Phénix : [Troupeaux] Le troupeau des ours noirs est prêt pour le départ
[Solitude] La solitude est une tempête qui nous assaille
L’Ombre reste seule, penchée au-dessus du corps sans vie de la mère de Phénix.


Épilogue

Les Ours noirs de Phénix ont fini par prendre le départ vers le Sud. Inouk s’est jointe à eux. Ils atteignent l'épave d'un cargo échoué.

Pierre a été incapable de formuler un adieu, enfermé dans son mutisme, mais débordant d’amour pour elle.

L’hiver a passé. L’Ombre rôde toujours au sein du village, elle a remarqué que certaines personnes se mettaient à briller. L’épouse de l’hiver brille particulièrement fort.

Cette dernière attend le retour d’Inouk avec inquiétude. Elle ne veut pas qu’on la chasse mais elle a accepté.

Shaman Renne regarde sa yourte brûler, abandonnant ses dernières traces d’humanité. Les ours noirs partent au sud avec celle qui fut sa fille. Prenant dans ses bras celle qui fut son épouse, il se rend dans un grand cimetière de glace où gisent dans de grands blocs translucides les morts du village. Au milieu d’une rangée, une place vide, celle qu’occupait la femme qu’il a aimée et qui n’est désormais plus là. Il y installe celle qui fut sa femme et se détourne vers l’est, la forêt et la nuit.

Le printemps approche. Pierre attend Inouk sur le seuil de sa Yaranga. Elle ne vient pas. Il regarde en face de lui l’arbre où il sculpté l’ours. A côté, L’épouse hivernale sculpté un arbre de glace, qui commence à fondre. Pierre a sa hache en main. Il s’approche de l’arbre-ours. Et frappe !


Feuilles de personnage :

Shaman Renne
[Légendes incarnées] Je veux lutter contre les esprits du gel qui ont décidé de mettre à mal le village
(barré) [Pulsions] Le gâtisme de Shaman Ours nécessite que l’on prenne sa succession en main
[Pulsions] La vie d’avant est finie, il n’y a rien à regretter… il ne faut rien regretter
[Solitude] Le destin du Shaman : être seul et endosser la responsabilité collective
[Ténèbres] Mes dernières attaches à l’humanité disparaissent les unes après les autres

Pierre
[Glace] Je ne veux pas devenir Shaman Ours et partir dans l’autre monde de glace car ça me ferait oublier mon passé
[Solitude] Sans Inouk, je me sens seul
[Ténèbres] Si Inouk reste dans la nuit, elle sombrera
[Pulsions] Ce soir j’aurai le courage d’endosser le Costume
[Société] Même si j’en déteste l’idée, je dois devenir le chef
[Animisme] L’ombre étend son emprise ?

Phénix
[Animisme] Les Shamans n’en ont plus pour longtemps
(barré) [Obsessions] Je veux conduire le peuple au Sud
[Chair] Il faut que j’apprenne à résoudre mes conflits autrement que par la violence
[Société] Le village va avoir un nouveau chef qui guidera le peuple vers la vérité de l’esprit
[Ténèbres] Printemps doit mourir
[Obsessions] Ma place n’est plus dans le village, ni du côté de mon père, ni du côté de Pierre
[Nature] La glace m’a définitivement pris mon père
[Troupeaux] Le troupeau des ours noirs est prêt pour le départ
[Solitude] La solitude est tempête qui nous assaille

L’Ombre
[Société] Je reviens toujours au village
[Nature] Je veux sentir le lichen sous mes pieds
[Solitude] La solitude est une tempête qui nous assaille, Inouk et moi

L’épouse de l’Hiver
[Glace] Je veux que la chaleur du village soit un berceau pour mon enfant
[Glace] Seule la glace est pure
(barré) [Ténèbres] J’ai peur que les Shamans me renvoient à la nuit


Débrief Thomas (Carte Rouge et solipsisme) :

Une des choses qui m’ont plu dans la partie de samedi, c’était qu’entre joueurs on évitait d’imposer notre façon de voir les choses aux autres joueurs.

Plusieurs exemples :
Phénix dit que le Shaman Renne ment sur plusieurs points (de tête, sur le fait qu’il n’aurait regret de sa vie passée, sur le fait qu’il manipule le village et invente des menaces pour garder la suprématie), mais R. évite de dire à Epiphanie comment il doit jouer Shaman Rennes où quels faits sont vrais au sujet de Shaman Rennes, Epiphanie a fait lui-même le tri dans les propositions de R. formulées à travers son personnage
Je pose des questions à J. sur ce qu’est son personnage, il dit qu’il n’est pas encore décidé, et on le laisse se maintenir dans son indécision
Pierre dit à l’épouse de l’Hiver qu’elle est dangereuse pour le village, mais moi j’évite de te demander si tu veux jouer une antagoniste, c’est toi qui décide si Pierre psychote ou si ses craintes sont fondées.
Pierre pense qu’Ombre et la vieille sont une seule et même personne, et en tant que joueur je laisse J.t en décider ou laisser planer le doute.

Où je veux en venir :
Quand on voulait donner notre patte à l’univers émergent et au roleplay des autres personnages, on évitait de formuler des propositions en tant que joueur, on faisait des suppositions en restant dans le personnage. D’une, ça laissait la possibilité au joueur de refuser la proposition sans recourir à la violence du véto, de deux ça créait une impression de solipsismes, chaque perso avait une vision différentes du monde, et ces visions coexistaient. J’ai trouvé ça élégant, et non-violent, et mind-fuck.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
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#156 29 Jan 2016 15:15

Thomas Munier
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Re : [Inflorenza : Héros, salauds et martyrs à Millevaux] Comptes-rendus

ODYSSÉA 1/3 : LES DERNIERS JOURS DE TROIE

Nous avons revécu l'Odyssée dans une mer en ruines envahie par la forêt. En voici la légende. 15 heures de jeu en table ouverte, 28 personnages, 25 personnes.

Jeu : Odysséa peut être vu comme un jeu à part entière (à paraître prochainement) ou comme un théâtre pour Inflorenza, héros, salauds et martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux

Joué le 29 octobre aux Utopiales à Nantes

Personnages :
Le protecteur, l'incertaine, le vengeur, le déserteur, la justicière, Athléos, Alistène, Achille, Andréas, Inos, Clélia, Emera, Ulysse 1, Thésias, l'enfant, Circé, Ulysse 2, le mycénien, le père de famille, le frère, l'oracle de la mer, celui qui ne voulait pas souffrir, Callisto, Hélène, Ulysse 3, le charpentier, l'oracle de la guerre, Télémaque, Énée

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crédits : Bushman.K, chaley 420, Chrisgold NY macroscopic solutions, sarah sitkin, streetweeper, licence cc-by-nc, galerie sur flickr.com


L'histoire :

Partie 1 : les derniers jours de Troie

Dix ans que la guerre de Troie s'enlise. Ulysse a un plan pour y mettre fin. Le Cheval de Troie. Il fait construire un cheval de bois assez grand pour qu'il puisse s'y dissimuler avec ses meilleurs soldats. Ils offriront le cheval en tribut aux troyens. Le peuple de Troie croira que les grecs se rendent et feront rentrer le Cheval dans la ville. Alors, à la faveur de la nuit, Ulysse et ses braves sortiront du Cheval et ouvriront les portes de la ville aux troupes grecques. Mais Ulysse confie son problème à ses hommes : les troyens ne tomberont jamais dans un tel panneau, pas tant que les dieux les protégeront. Alistène, champion grec qui voue sa vie à la guerre, sait comment faire pour que Troie perde la faveur des dieux. Il faut tuer le prêtre d'Apollon, protecteur de la ville.

Mais d'abord, il faudra passer les gardes qui protègent le temple. Alistène va voir l'oracle d'Arès, le dieu de la guerre, pour qu'il lui assure de passer les gardes. L'oracle est un fou exubérant, qui porte une cuirasse défoncée, les cheveux et la barbe en bataille, et qui exhorte les soldats à se lancer dans des charges meurtrières au lieu de se reposer. L'oracle lui dit : "Pour faire réussir une ruse aussi sournoise, je te demanderai de combattre un taureau dans l'arène au nom d'Arès. Mais ce taureau te prendra ton œil."
Alistène accepte. L'oracle le fait entrer dans une modeste arène construite au milieu du campement grec avec des charpentes de bateau. Il referme la porte de l'arène derrière lui, le laissant seul face au taureau et au sable blanc. Ce qui devait arriver arriva : Alistène remporte le combat contre le taureau, mais l'animal lui éclate un œil avec sa corne.

A la faveur de la nuit, Alistène et ses hommes de confiance longent le chemin sur la falaise hors des murs de Troie qui conduit au Temple d'Apollon. Les rochers de la falaise sont en pleine croissance. On entend le grondement de la pierre qui travaille et on voit à l’œil nu des excroissances grossir de la falaise. Depuis le début de la guerre de Troie, la terre est devenue folle. Elle grandit et dévore la mer, petit à petit.

Grâce au sacrifice d'Alistène, ils trouvent devant le temple les gardes troyens en plein sommeil et peuvent au-delà en silence.

Dans le temple, il n'y a que le prêtre et son enfant. L'enfant se présente devant eux, et pointe un couteau sur sa propre gorge. Il menace de se tuer si l'on porte la main sur son père. S'avance vers lui un guerrier grec, qu'on appelle le protecteur, parce qu'il voulait gagner la guerre en épargnant les civils. Comprenant que c'est un sacrifice nécessaire, il passe outre ses convictions et tue l'enfant.

Les grecs sont devant le prêtre, maintenant. C'est un homme à la barbe blanche. Il écarte sa tunique et leur montre son torse nu. Il s'adresse au guerrier grec le plus proche, celui qu'on appelle le vengeur : il veut gagner la guerre parce qu'on lui a dit que les grecs devaient se venger de Troie. "Frappe en plein cœur, si tu l'oses !". Le vengeur hésite un instant, puis se résout à planter son épée dans le torse du prêtre.

Alors que le prêtre s'écroule, il reste à renverser la vasque qui contient le feu sacré d'Apollon. Celui qui commettra un tel sacrilège aura certainement un assassin d'Apollon à ses trousses. S'avance celui qu'on appelle le déserteur, parce qu'il veut avant tout fuir la guerre. La réussite du stratagème du Cheval de Troie lui paraît la seule façon de mettre fin à la guerre, et donc de s'enfuir. Alors, c'est un risque à prendre. Il renverse la vasque.

Ils sont maintenant à l'intérieur du Cheval de Troie, avec Ulysse. Sans la protection d'Apollon, les troyens ont été dupes du stratagème. Ils ont fait rentrer le cheval dans la ville. La nuit est tombée, maintenant, il est temps d'agir. Ulysse ordonne à ses soldats de tuer les gardes troyens qui campent autour du Cheval et au pied des portes des remparts.
Celle qu'on appelle la justicière, parce que dans cette guerre, elle veut avant tout protéger les innocents, voit une garde qui lui tourne le dos, et Ulysse l'ordonne de la tuer maintenant. Mais la justicière reconnaît cette garde : c'est Sofia, sa meilleure amie.

Elle se rappelle quand Sofia était une guerrière grecque comme elle. Sofia lui expose son projet de déserter au profit des troyens. Troie est la dernière grande civilisation du monde : une nation de paix et de prospérité. Si suffisamment de grecs se rendent aux troyens, c'en sera fini de la guerre et de la souffrance. Sofia lui demande de déserter avec elle, sa meilleure amie, mais la justicière refuse : sa loyauté reste à la Grèce.

Ulysse presse la justicière de passer à l'action, alors elle descend du Cheval, épée en main. Il faut en finir avec cette guerre. Sofia a le temps de se retourner, elle sourit quand elle reconnaît la justicière, puis elle a une expression de surprise quand la justicière lui plante son épée dans le ventre et lui couvre la bouche.

Les compagnons d'Ulysse essayent d'ouvrir la porte, mais c'est impossible. Il faudrait vingt hommes pour y parvenir. Ou un colosse. Une force de la nature que les grecs auraient infiltrée dans Troie pour leur être utile à ce moment précis.

C'est ce type de personne qu'Ulysse a demandé à ses hommes de recruter il y a des mois de cela. Il s'est tourné vers celle qu'on appelle l'incertaine, parce qu'elle ne s'est pas assignée de quête, pour qu'elle leur trouve un tel homme.

Elle a cherché un homme très fort, et elle a trouvé Antaclès. Antaclès est un guerrier grec très puissant, une montagne de muscles, mais soumis à l'hubris, l'orgueil héroïque. C'est un fou de guerre, une bête sauvage. Antaclès est enfermé dans une des prisons du campement grec, car il a mené des actions de guerre inconsidérées qui ont causé la mort de ses hommes inutilement.

L'incertaine lui explique qu'elle va le libérer, il va alors devoir déserter et rejoindre le camp des troyens. Un jour, plus tard, ils feront appel à lui pour qu'il trahisse les troyens. Antaclès accepte mais oblige l'incertaine à prêter le serment des dieux : en échange de ses services, et pour compenser le déshonneur qu'il accepte, dès lors qu'elle fera appel à lui, elle devra lui confier le commandement de cent soldats grecs. L'incertaine hésite. Confier des hommes à ce fou dangereux, c'est les envoyer à la mort. Mais elle ne voit pas de meilleure solution pour ouvrir les portes, alors elle accepte.

Elle s'enfile en ville et va trouver Antaclès devenu troyen. Il l'accompagne et ouvre les portes à lui tout seul alors qu'il faut vingt hommes d'habitude.

Il ouvre les portes, triomphant, sans se cacher d'éventuels tirs de flèches grecques. Déjà les grecs se précipitent dans la brèche. Il y a cent guerriers spartes en tête, les troupes d'élite de Ménélas. Antaclès se tourne vers l'incertaine : "Respecte ton serment !". La mort dans l'âme, l'incertaine fait signe à Ulysse, et Ulysse use de son autorité pour mettre les cent guerriers spartiates aux ordres de ce monstre sanguinaire.

Alors, Antaclès mène ses nouvelles troupes vers le quartier des civils. Ils se précipitent vers les dortoirs où femmes, enfants et vieillards se reposent. Ils vont faire un bain de sang qui restera marqué dans la légende !

Le justicier ne l'entend pas de cette oreille. Il faut empêcher ce massacre. Il court vers le temple de Poséidon qui est dans ce quartier. A l'intérieur, les colonnes du temple ont enflé à cause de l'emprise. Bientôt, le temple sera entièrement refermé. Bientôt, les dieux ne seront plus, puisque comme le dit la légende, le jour où la Guerre de Troie sera finie et qu'Ulysse rentrera en Ithaque, les dieux disparaîtront et la mer se refermera. Le justicier trouve dans le temple l'oracle de Poséidon, un homme frêle aux yeux globuleux, simplement habillé d'un filet de pêche. Il demande à faire un pacte avec lui pour tuer Antaclès. En échange, l'oracle lui demande de tuer le premier guerrier grec qu'il verra en sortant.

Alors qu'il sort du temple, le premier guerrier grec que le justicier aperçoit, c'est Éphyle.

Le vengeur se rappelle bien d'Éphyle. C'était un frère d'armes. Il se rappelle du jour où Éphyle lui a parlé de ce qu'ils feraient ensemble quand la guerre serait terminée. "Quand la guerre sera terminée, on construira un bateau, on ira en mer, et on pêchera la crevette ensemble. On aura le calme de la mer et le bleu du ciel pour nous seuls, et on deviendra riches en vendant les crevettes. T'en pense quoi ? Tu es d'accord ?".

Quand le justicier s'approche d'Éphyle, avec son épée tirée, le vengeur comprend ce qui est en jeu. Tous les autres compagnons d'Ulysse tirent aussi leur épée. Alors le vengeur fait de même. Ils encerclent Éphyle. Éphyle se tourne vers le vengeur, son ami, il lui lance un regard incrédule. Et tous le frappent. Le vengeur le frappe.

Les compagnons d'Ulysse reprennent leurs esprits, et courent vers les dortoirs pour retrouver Antaclès. Antaclès est là avec ses hommes, dans un instant ils vont passer des dizaines et des dizaines d'innocents par le fil de l'épée. C'est alors qu'Hector, le champion de Troie, beau, grand, rutilant dans son armure, fait irruption dans le dortoir, et tue Antaclès sous leurs yeux : il était sans doute l'un des rares hommes sur terre à pouvoir le faire. Antaclès mort, les spartiates se dispersent. Hector s'approche du déserteur, il reconnaît en lui l'homme qui a renversé la flamme d'Apollon. Hector est l'assassin, celui qui dédie sa vie à retrouver le profanateur et le punir de mort pour leur avoir soustrait la faveur d'Apollon. Mais il retient son épée si les compagnons d'Ulysse acceptent d'accomplir une mission délicate pour lui : faire sortir de la cité Priam, le roi de Troie, en toute discrétion.

Ulysse a découvert dans quels quartiers se trouvait Hélène. Il perd son sang-froid. Hélène, la plus belle femme du monde, est la seule femme qu'il ait jamais désirée. Il abandonne temporairement ses compagnons pour aller la retrouver.

Hector conduit les compagnons dans les étages supérieurs de Troie, dans le palais de Priam. Ils franchissent une salle immense au plafond retenu par cent colonnades. C'est une sorte de hammam géant, la vapeur recouvre tout le sol. Ils y croisent des enfants, garçons et filles, certains adolescents, d'autres très jeunes. Ils sont parmi les trois-cents enfants de Priam. Un jeune enfant demande à Hector ce qu'ils font ici. Hector lui dit : "Nous allons faire sortir Priam de la ville." Puis il se couvre la bouche. Il a commis une erreur fatale, il a divulgué leur plan. S'ils veulent que les grecs ignorent la fuite de Priam, il faudrait tuer tous les enfants témoins. Les compagnons d'Ulysse sont fatigués du meurtre d'innocents : ils préfèrent que la fuite de Priam soit chose publique plutôt que de se résoudre à passer ces enfants par le fil de l'épée.

Ils franchissent la salle des enfants et avant d'atteindre Priam, ils trouvent Cassandre, la prophétesse. Cassandre est une belle femme, quoique le regard trop grave. Elle est drapée dans une toge blanche. Athléos, l'un des compagnons d'Ulysse, lui demande de lui faire profiter de ses dons de divination. Cassandre lui annonce qu'elle ne lui dira une vérité qu'à chaque fois qu'il lui sauvera la vie. Athléos dit qu'ils vont l'exfiltrer avec Priam, déjà cela fait une première fois qu'il lui sauve la vie. Alors Cassandre lui dit une première vérité : il ne sera heureux que s'il sert Poséidon. Que faire de cette nouvelle quand on est un compagnon d'Ulysse, dont Poséidon a juré la perte ?

Ils trouvent ensuite Priam, juché sur son trône, dans une salle de palais aux colonnes couvertes d'or. Priam est majestueux, il porte sur sa tête la tiare qui symbolise tout le savoir, la science et la poésie de Troie, ses yeux sont fardés de noir, et sa barbe est ceinte dans un fourreau.

Priam n'accepte de les suivre que s'ils le laissent tuer Ulysse. La légende dit que celui qui tue Ulysse devient Ulysse. Priam deviendrait alors l'héritier d'Ithaque, où il pourrait fonder la Nouvelle Troie.

Ils partent avec Priam et retrouvent Ulysse, qui a emporté la belle Hélène avec lui. Priam enfonce son couteau dans le cœur d'Ulysse, et la prophétie s'accomplit : il devient le nouvel Ulysse. Il conserve l'amour d'Hélène et conserve aussi le passé de Priam : il porte le nom et la science de Troie avec lui. Alistène convoite le nom d'Ulysse et de Priam, pour faire d'Ithaque une nouvelle Troie et ainsi perpétuer la guerre. Cassandre menace de se suicider si Alistène devenait Ulysse/Priam, alors Athléos s'oppose à Alistène, car la vie de Cassandre lui est précieuse au point d'accepter de l'abandonner pour lui donner une chance de survie. Ils se précipitent sur Ulysse / Priam pour le tuer, mais ils le tuent en même temps, alors le nom d'Ulysse / Priam ne saute dans aucun de ces deux meurtriers : il saute dans le corps du déserteur. Hector regarde le déserteur. Priam est mort sous ses yeux. Les compagnons d'Ulysse n'ont donc pas rempli leur part du marché. Alors, de toute sa force de héros, il tue le déserteur, pour venger la profanation du temple d'Apollon.

Hector devient alors Ulysse ! De Priam, il ne conserve pas le nom, mais seulement la science de Troie, un élément fondamental pour refonder une Nouvelle Troie qui soit aussi grande que l'ancienne, la dernière grande nation de l'humanité, maintenant que les grecs sont retournés à la barbarie.

Hector montre un passage secret à ses compagnons, qui permet d'accéder directement au port de Troie et s'enfuir en bateau. Ils peuvent partir aussitôt s'ils le veulent. Hector veut quant à lui retrouver Énée, l'un des fils adultes de Priam, pour emporter avec lui quelqu'un qui porte le nom de Troie. Mais retourner dans les palais de Troie à sa recherche, c'est prendre le risque de rencontrer des grecs. Les compagnons décident pourtant de l'accompagner. Alistène a une idée derrière la tête : tant que le nom de Troie survivra, la guerre se poursuivra, et c'est faire honneur au dieu de la guerre, comme Alistène l'entend.

En repartant à la recherche d'Énée, ils tombent face à Achille, le plus grand guerrier du monde grec. Achille sait par les enfants qu'ils ont prévu d'exfiltrer Priam, et leur somme de lui dire la vérité, sans quoi il les tuera. Athléos tient trop à sa vie pour mentir : il lui annonce la mort de Priam.

Achille se tourne vers Ulysse / Hector : ce moment au coeur de la bataille est l'occasion de se venger de lui. Lors de la guerre de Troie, Achille était tombé amoureux d'une femme, Briséis. Mais dans un accès d'hubris, d'orgueil guerrier, le roi grec Agamemnon a exigé que Briséis lui soit offerte comme concubine. Achille avait caché Briséis pour qu'Agamemnon ne l'obtienne pas. Mais le rusé Ulysse l'avait retrouvée et l'avait livrée à Agamemnon.

Aujourd'hui, Achille va lui rendre la pareille : il va lui dérober un être cher. Il engage le combat avec Ulysse. Athléos sait qu'il doit servir Poséidon pour être heureux, et servir Poséidon, c'est nuire à Ulysse. Athléos demande à Cassandre d'user de ses pouvoirs divins pour lui permettre d'assommer Ulysse. Cassandre accepte, mais en échange Athléos devra lui rendre sa liberté. Athléos accepte : il pense que la devineresse lui en a assez dit sur son futur. Il laisse Cassandre s'enfuir seule vers le passage secret, et profite du combat pour aller dans le dos d'Ulysse et l'assommer.

Pour se venger d'Ulysse, Achille lui dérobe Hélène et va la livrer à Parîs, l'autre fils de Priam, celui qui avait séduit Hélène et l'avait dérobé au roi grec Ménélas, provoquant la Guerre de Troie.
Quand Achille arrive en face de Parîs, celui-ci pointe vers lui un arc à la flèche empoisonnée. Parîs a consacré toute sa vie à apprendre comment tuer Achille, ce fleuron de l'armée grecque qu'on dit invincible, il ne veut pas louper cette occasion.

Achille propose de négocier. Alors Achille lui fait jurer le serment des dieux. Il n'engage pas le combat entre lui, mais en échange Achille jure protection à Hélène. Puis Parîs et Hélène s'en vont ensemble, pour fuir Troie qui est maintenant à feu et à sang.

Quand Ulysse reprend ses esprits, Achille lui dit qu'Hélène est maintenant prisonnière de Ménélas, le roi de Sparte qui a franchi toute la mer et levé une armée pour la retrouver à Troie. Ulysse exige qu'on se précipite par le passage secret, qu'on regagne le port de Troie, pour retrouver Ménélas avant qu'il ne prenne la mer.

Ulysse et ses compagnons descendent sur le port, déjà en proie aux combats. Achille les accompagne, car il veut assister aux souffrances d'Ulysse.

Parmi les rares bateaux encore en état de prendre la mer, ils voient celui de Ménélas et celui d'Agamemnon. Des guerriers grecs qu'ils croisent, ils apprennent qu'Agamemnon reprend la mer car il croit que Ménélas a emporté Hélène sur son bateau, et Ménélas reprend la mer car il croit qu'Agamemnon a emporté Hélène sur son bateau et le retrouvera en mer pour la lui redonner. Parîs a certainement fait un pacte avec un oracle pour que les grecs avalent une telle supercherie.

Ulysse croit toujours qu'Hélène est dans le bateau de Ménélas. Il veut rejoindre ce bateau à tout prix, mais ses compagnons préfèrent prendre le bateau d'Agamemnon. Alors Ulysse se sépare d'eux. Mais la légende dit que la déesse Athéna assigne toujours des compagnons pour protéger Ulysse. Du moment où Ulysse se sépare d'eux, son nom reste parmi eux. L'homme qui les quitte n'est déjà plus Ulysse, c'est juste Hector. Le nom d'Ulysse se réincarne dans un des compagnons qui le désire le plus, Alistène le fou de guerre, qui porte donc avec lui la science de Troie et l'héritage d'Ithaque, deux choses dont il pourra faire usage pour perpétuer la guerre.

Quand Ulysse / Alistène, Athléos et Achille arrivent au bateau d'Agamemnon,  c'est pour assister à une funeste scène. Agamemnon est debout sur l'avant du navire. Homme massif et superbe, son visage caché par un masque d'or à la barbe bouclée, il tient Briséis, la bien-aimée d'Achille, qu'il lui a jadis volée pour en faire sa concubine et sa bien-aimée, et il s'apprête à lui trancher la gorge. Il ne le fait pas par cruauté ou par châtiment. Il le fait parce qu'en ces temps crépusculaires, les dieux ont soif de sang pour survivre, et les offrandes animales ne les contentent plus. Aucun bateau ne peut partir en mer si l'un des membres de l'équipage ne sacrifie pas un être cher aux dieux. Alors, Agamemnon, qui aime sincèrement Briséis, s'apprête à lui trancher à gorge.

Achille ne supporte pas l'idée de voir mourir sa bien-aimée. Il préfère qu'Agamemnon tue Cléos, le fils de Briséis.

C'était il y a quelques années. Ulysse avait trouvé la cachette de Briséis, mais Briséis était enceinte des oeuvres d'Achille. Elle s'apprêtait à accoucher. Alors Ulysse a accepté de laisser Achille assister à la naissance, avant qu'il n'aille livrer Briséis à Agamemnon.
Achille et Ulysse assistaient Briséis en plein travail, au coin d'un feu. Il y avait là aussi l'oracle d'Aphrodite, la déesse de l'amour, une toute jeune adolescente aux cheveux blonds bouclés, au regard innocent : elle apportait son savoir de sage-femme.

Cléos, l'enfant de Briséis et d'Achille, vient au monde. Briséis laisse Achille le prendre dans ses bras. Elle lui demande quel sera le sort de cet enfant. Achille veut-il l'emmener avec lui ou le laisser à Briséis ? Achille préfère lui laisser l'enfant, il sait que c'est nécessaire pour qu'Agamemnon le sacrifie, plus tard. Briséis lui demande ce qu'il préfère : elle peut élever l'enfant en lui inculquant la vénération de son véritable père, Achille, et la haine de son faux père, Agamemnon. Ou alors elle peut s'arranger pour qu'Agamemnon élève et aime Cléos comme son propre fils, mais alors Cléos ignorera qu'Achille est son père. La mort dans l'âme, Achille lui dit d'opter pour cette deuxième solution.

Agamemnon refuse de sacrifier Cléos. Sous l'injonction de Briséis, il l'a élevé et aimé comme si c'était son propre fils, et en réalité, il l'aime trop pour le sacrifier. Il explique à Achille que Briséis est d'accord pour mourir. Elle comprend que ce sacrifice est nécessaire pour qu'Agamemnon, Cléos, et tous ces hommes grecs survivent et rentrent chez eux. Une vie contre tant d'autres.

Mais Achille ne peut se résoudre à voir mourir sa bien-aimée. Il se dit qu'il va tuer Agamemnon, ses marins l'aiment, ce sera lui le sacrifice. Mais Achille a beau être un grand guerrier, Agamemnon est lui-même un héros qui a la faveur des dieux, il n'est pas assuré de le vaincre. Il va voir l'oracle de la guerre, qui est dans ce bateau, toujours en cuirasse, toujours le cheveu et le regard fou, à exhorter les hommes à remettre pied à terre et poursuivre les combats. L'oracle de la guerre promet de favoriser le bras d'Achille dans ce combat, mais en échange il veut plus de sang, il veut que Cléos meure aussi. Achille est désespéré, mais à choisir entre plusieurs êtres chers, il fera tout pour que Briséis survive, alors il accepte le pacte.

Achille défie Agamemnon en duel, et, favorisé par le dieu de la guerre, il terrasse le roi de Mycènes. Les marins sont plongés dans une grande tristesse. Ils ont perdu leur roi, leur général, leur capitaine. C'est alors que l'oracle de la guerre prend la parole, et ment sciemment aux marins : "Mes amis, le sacrifice d'Agamemnon n'a pas suffi ! Votre ferveur envers lui n'était pas assez grande ! Le bateau ne partira pas, à moins de sacrifier également Cléos, l'enfant d'Agamemnon !"

Briséis se tourne vers Achille. L'oracle de la guerre l'a convaincue que le sacrifice de Cléos est inévitable, alors comme elle aime cet enfant plus que tout, c'est elle qui va le tuer. Mais elle demande à Achille de le faire avec lui. Ensemble, ils étreignent l'enfant, et Achille le tient tandis que Briséis lui tranche la gorge. Achille comprend alors que Briséis ne pourra plus l'aimer. Il va voir l'oracle d'Aphrodite, la déesse de l'amour, il demande à faire un pacte pour regagner l'amour de Briséis. Elle accepte à condition qu'Achille fasse un nouvel enfant à Briséis. Briséis revient voir Achille, elle lui dit qu'il faut réparer aussitôt cette perte, elle l'entraîne dans une cabine et alors que le bateau prend la mer, ils conçoivent un nouvel enfant. Puis ils mettent une chaloupe à la mer et quittent le navire. Achille n'a plus en tête d'assister aux souffrances d'Ulysse. Il a une nouvelle vie à mener avec sa bien-aimée.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#157 02 Feb 2016 15:26

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [Inflorenza : Héros, salauds et martyrs à Millevaux] Comptes-rendus

LA TRAVERSÉE

Le périple d'Ulysse et de ses compagnons comme il n'a jamais été vécu auparavant.

Jeu : Odysséa peut être vu comme un jeu à part entière (à paraître prochainement) ou comme un théâtre pour Inflorenza, héros, salauds et martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux

Joué le 30 octobre aux Utopiales à Nantes

Personnages :
Le protecteur, l'incertaine, le vengeur, le déserteur, la justicière, Athléos, Alistène, Achille, Andréas, Inos, Clélia, Emera, Ulysse 1, Thésias, l'enfant, Circé, Ulysse 2, le mycénien, le père de famille, le frère, l'oracle de la mer, celui qui ne voulait pas souffrir, Callisto, Hélène, Ulysse 3, le charpentier, l'oracle de la guerre, Télémaque, Énée

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illustration (c) : Thibault Boube, pour le jeu Odysséa


L'histoire :

Le navire d'Agamemnon est maintenant en pleine mer, en route vers Mycènes. Agamemnon est mort, tué en combat singulier par Achille. Puis Achille a sacrifié son enfant Cléos pour que le bateau puisse prendre la mer, et il a quitté le navire avec sa bien-aimée Briséis, pour mener une nouvelle vie auprès d'elle.

Parîs, fils de Priam le roi de Troie, qui a enlevé Hélène et a fui de Troie avec elle, a conçu un pacte avec les dieux pour que Ménélas, le roi de Sparte, l'époux légitime d'Hélène, croit que son épouse est sur le navire d'Agamemnon.

Les voiles rouges d'un navire pointent alors à l'horizon. Celui du puissant roi spartiate. Le navire arraisonne celui d'Agamemnon, et abat une passerelle garnie de crochets sur son pont. Ménélas monte à bord du navire presque comme s'il faisait un abordage. Le roi de Sparte est un géant aussi gras que musclé, il cache son visage sous un masque de fer qui lui donne un air imperturbable et sinistre. Il exige de parler au capitaine du navire.

A bord du navire d'Agamemnon, il n'y a pas que de véritables grecs. Il y a Andréas, un espion troyen qui a profité de la débâcle des navires grecs au partir de Troie en flammes, pour monter à bord. Andréas est au service de Parîs. Sa mission est de s'assurer que la nation troyenne perdure. Il est dans ce navire pour rapporter des renseignements à Parîs, le dernier porteur du nom de Troie avec Énée.
Jadis, à Troie, il est allé voir l'oracle de Poséidon, cet homme grêle aux yeux globuleux vêtu d'un simple filet de pêche. Il lui a demandé de lui accorder un pouvoir de communication télépathique avec lui, afin qu'il puisse lui envoyer des informations stratégiques qu'il relayerait à Parîs. L'oracle a demandé qu'Andréas lui offre sa langue en échange, et Andréas a accepté, alors l'oracle lui a arraché la langue.
A bord du navire d'Agamemnon, Andréas est donc vu comme un simple marin. Un marin muet.

Quand Ménélas demande qui est le capitaine du navire, une femme s'avance. C'est Clélia, la plus âgée des bâtardes d'Agamemnon. Ulysse s'avance aussi pour prendre la tête du navire à sa place, mais les autres compagnons ne le soutiennent pas, et les marins non plus, emmenés par Inos, le petit frère de Clélia, qui place les valeurs familiales au-dessus de tout.

C'était pendant la guerre de Troie, au moment où les combats faisaient le plus de victimes. Clélia va voir son frère Inos. Elle le supplie de déserter, pour qu'au moins un des bâtards d'Agamemnon survive à cette guerre et revienne au pays, colporter la légende de leur père. Inos refuse cette offre. Ce n'est pas là sa vision de l'amour filial. Il doit se sacrifier, comme Clélia, avec elle combattre aux côtés de son père, quelles qu'en soient les conséquences. C'est cela sa vision de l'amour filial.

Alors, c'est bien Clélia qui prend la tête du navire. Elle a alors la difficile tâche d'annoncer à Ménélas deux mauvaises nouvelles : Hélène n'est pas à bord de ce bateau et Agamemnon est mort. Apprenant la perte de son frère adoré, le roi de Sparte demande qui est responsable de ce désastre. Ulysse dénonce Clélia : après tout, en tant que capitaine du navire, c'était son devoir de protéger Agamemnon. Ménélas, ivre de colère et d'hubris, décapite Clelia d'un coup d'épée, et plaque sa tête contre le visage de son petit-frère Inos en tonnant : "Voilà ce qui se passe à ceux qui faillissent à leur devoir !".

Ménélas ne quitte pas le navire pour autant. Il exige de savoir ce qu'il est advenu d'Hélène, et projette d'interroger tous les marins. Il fait monter à bord une oracle d'Hadès, le dieu des Enfers. Cette oracle est une femme d'âge cacochyme, drapée dans une capuche. C'est l'une des trois Parques en personne.

Deux personnes savent ce qu'il est advenu d'Hélène, c'est-à-dire qu'elle a fui avec Parîs : Ulysse et Andréas. Andréas sait même dans quelle direction a fait voile le couple maudit . Ulysse va voir Andréas ; ils doivent s'associer pour tromper la Parque : Ulysse ne veut pas encourir la colère du puissant Ménélas et Andréas ne veut pas que Parîs soit découvert. Ulysse présente l'oracle de la guerre à Andréas, il lui dit de pactiser avec lui pour déjouer l'interrogatoire de la Parque. L'oracle de la guerre accepte d'occulter la clairvoyance de la Parque, à condition qu'Andréas lui révèle la position de Parîs, c'est-à-dire l'île des mangeurs de lotus.

Andréas est alors interrogé par la Parque, qui lui tend une carte pour qu'il lui indique où se trouve Parîs. C'est une carte où le dessin change tout le temps, au gré des caprices des dieux et de l'emprise. Andréas pointe du doigt l'île des cyclopes.

Andréas n'est pas le seul espion troyen à bord. Il y a aussi Emera. Emera veut que le nom de Troie survive dans la légende, mais il pense que la nation troyenne doit disparaître pour que sa légende demeure. Il veut donc contrecarrer tout projet de fondation d'une nouvelle Troie.

Emera va voir l'oracle de la guerre pour savoir à quel endroit Andréas lui a révélé que Parîs se cache réellement. L'oracle de la guerre lui dit qu'il accédera à sa demande s'il révèle à l'équipage sa filiation avec Priam.

C'était au tout début de la guerre de Troie. Emera était un soldat troyen. Le grand roi Priam l'a convoqué dans son palais. Il lui a révélé qu'il était son père, une chose qu'il avait gardé cachée. Tous ceux qui porteraient son nom seraient en danger, et il avait voulu en préserver un. Priam confie à Emera une tablette de pierre qui atteste de sa filiation. Il lui confie également la mission de perpétuer la légende du nom de Troie, et lui demande de déserter des rangs troyens pour rejoindre les rangs grecs. En cas de victoire grecque, il sera ainsi l'homme dans leurs rangs qui sera capable de perpétuer le nom de Troie dans la légende. Emera accepte toutes ces charges et cet honneur secret, avec piété.

Emera répond alors à l'oracle de la guerre : "Tu m'en demandes trop. Je ne peux m'y résoudre. Garde ton secret pour toi.".

Inos sait que quand Ménélas atteindra l'île des cyclopes, il n'y trouvera pas Hélène et comprendra qu'il a fait fausse route. Il a promis que s'il revenait bredouille de l'île des cyclopes, il descendrait aux Enfers pour retrouver sa sœur Clélia et la torturerait pour lui faire avouer où est Hélène, et comme Clélia ignore où est Hélène, ce supplice ne connaîtra pas de fin.
Alors, il va voir l'oracle de l'amour, et lui demande qu'elle échange sa place avec celle de Clélia aux Enfers. L'oracle lui demande s'il est prêt à subir une torture sans fin. Elle le projette un instant dans le futur pour qu'il en mesure toute la douleur. Inos accepte.

Il perd connaissance, et se réveille dans le corps de Clélia, et Ménélas le torture.

Clélia perd connaissance, et se reveille, bien vivante, sur le bateau, dans le corps de son frère Inos, qui s'est sacrifié pour elle.

Sur le navire, il y a aussi Thésias. Il est parti de Mycènes avec son roi Agamemnon, il a fait toute la guerre, et maintenant il rentre au pays. Ce qu'il veut par-dessus tout, c'est retrouver sa famille, mais dix ans ont passé depuis qu'il est parti. Dix ans de chaos. Il n'est pas du tout sûr que sa famille soit toujours à Mycènes. Alors il demande à l'oracle de l'amour où ils sont. Elle lui répond : "Es-tu prêt à le savoir, même si la réponse pourrait te déplaire ?". Thésias insiste. Alors l'oracle répond : "Ta famille est aux Enfers." Et elle lui explique la direction pour gagner l'Île des Morts, où se trouve sa famille.

Il est difficile de naviguer sur cette mer devenue folle. Finalement, seuls deux personnes connaissent une direction : Andréas la direction de l'île des mangeurs de lotus, et Thésias la direction des Enfers. Ils votent et Andréas l'emportent : le navire fait route vers l'île des mangeurs de lotus.

Quand le navire accoste sur l'île, les marins sont accueillis par des enfants, tous mutilés de guerre, qui leur tendent des fleurs de lotus. Ils disent que cette île est l'île de la paix, et que tous ceux qui veulent en fouler le sol doivent déposer leurs armes. L'oracle de la guerre est si belliqueux qu'il ne peut même pas descendre du navire. Il s'adresse alors à tous les marins et leur promet une récompense pour la capture de Parîs ; il leur promet d'accomplir leur rêve le plus fou, et chacun sait qu'il en a le pouvoir en tant qu'oracle divin. Retrouver Parîs et Hélène, c'est perpétuer la Guerre de Troie, et chacun se doute que l'oracle est prêt à offrir gros pour que cela soit possible.  Andréas se tourne vers Inos / Clelia. Il pense qu'il/elle ne pourra résister à une telle offre, s'il peut obtenir en échange le retour de sa soeur/frère des Enfers. Alors Andreas tente de le/la tuer, mais Ulysse et Emera s'interposent.

Arrive l'oracle de Poséidon, le dieu de la mer, cet homme frêle aux yeux globuleux, vêtu d'un filet, celui-là même avec qui Andréas est en liaison télépathique, et qui était censé accompagner Parîs et Hélène. Il est escorté par un enfant, mutilé de guerre comme les autres. L'oracle de la mer vient solliciter l'aide d'Andréas pour sauver Parîs. L'enfant accompagne l'oracle parce qu'il veut voyager, il veut repartir à bord du navire.
L'oracle se tourne vers Ulysse et lui prophétise qu'il sera tué par son fils. Ulysse n'y prête qu'une oreille incrédule. Pour autant, le poison est déposé. Il sait plus que quiconque qu'il est difficile d'échapper à son destin.

Le garçon se rappelle quand le prêtre du lotus l'a recruté. Il est alors, avec d'autre enfants troyens, prisonnier dans un camp de travaux forcés installé par les grecs. Le prêtre du lotus est un homme énigmatique, en cape rouge. Il a un visage fixe mais un regard exalté, et un lotus tatoué sur le front. Il explique à l'enfant qu'il vient le sauver de la guerre, qu'il peut partir avec lui sur une île où il vivra en paix et en sécurité. Mais pour cela, il doit accepter de manger du lotus, au moins une fois, avant de partir avec lui. Le lotus le plongera dans un de ses meilleurs souvenirs. L'enfant accepte.

Dans ce souvenir de lotus, l'enfant vit avec ses parents en bordure de Troie. Ses parents vivent dans la misère, alors l'enfant travaille à la mine pour leur compte, là-bas ils ont besoin de personnes de petite taille pour s'aventurer dans des filons. C'est le soir, alors qu'il rentre de la mine pour retrouver ses parents, sur la crête en face de la mer, noire de pins. L'oracle de la mer vient le trouver là, sous la bénédiction de ses parents. Il lui révèle qu'il n'est pas le fils de misérables citoyens troyens comme il le croit. Il a été confié à cet homme et à cette femme quand il était tout petit, mais ce ne sont pas ses vrais parents. En réalité, il est le fils d'Ulysse, l'héritier du plus beau royaume du monde, Ithaque, le seul qui subsistera quand l'emprise aura complètement engorgé la terre, la mer et le ciel. C'est cela la bonheur qui l'attend, être héritier d'Ithaque. Et il est le fils d'Hélène, la plus belle femme du monde, car à l'époque où Hélène était courtisée, elle a accordé une nuit à Ulysse, et l'enfant en est le fruit, et il a dû vivre caché, car ensuite Hélène n'a pas épousé Ulysse, mais Ménélas, le roi de Sparte.

L'enfant considère Ulysse. Il est en colère contre lui, de l'avoir abandonné. Mais il n'ose rien dire pour le moment.

Ils suivent l'oracle et l'enfant au cœur de l'île, dans le village des mangeurs de lotus. Ce sont là de très modestes huttes, où enfants et adultes vivent cloîtrés dans les rêveries du lotus.

L'oracle les conduit à la hutte où sont couchés Parîs et Hélène, complètement hagards, plongés dans leur rêve de lotus. Ils semblent conscients de la réalité en parallèle de leur rêve, mais ce n'est pas possible de communiquer avec eux. Andréas demande comment pouvoir parler à Parîs, on lui répond qu'il n'a pas d'autre choix que de manger du lotus à son tour, et Andréas se résigne à manger l'une de ces fleurs narcotiques dont la texture et le goût rappellent la chair des mollusques.

Andréas se retrouve dans le rêve de Parîs. Comme tout rêve de lotus, c'est un de ses meilleurs souvenirs. C'est au temps de la gloire de Troie, au tout début de la guerre. La lumière du jour pénètre à pleins poumons dans le palais de Priam, il pleut des pétales de roses, et toute une foule acclame le descendant de la grande cité. Parîs est en train de remettre les honneurs à ses meilleurs guerriers, Hélène est à son bras, rayonnante, elle n'est jamais autant la plus belle femme du monde qu'à ce moment là, et Parîs remet une couronne de lauriers sur le front d'Andréas.

Pendant ce temps, Ulysse et Emera chargent les corps de Parîs et d'Hélène sur leurs dos, ils les portent vers le navire.

Andréas dit à Parîs qu'il faut se réveiller. Parîs lui dit que cet endroit, c'est le meilleur endroit où ils puissent être. C'est la meilleure cachette. Andréas insiste, il lui rappelle sa loyauté, sa volonté de le protéger. Parîs dit qu'Andréas peut rester à ses côtés, et le protéger dans le rêve.

Mais tous deux savent que si on charge leur corps dans le navire alors qu'ils sont encore en proie à la rêverie du lotus, ils mourront sous le choc. "Qu'importe, dit Parîs. Alors nous serons libres et heureux pour l'éternité, dans le rêve du lotus, dans cette époque glorieuse. Je suis d'accord pour qu'Hélène soit réveillée, j'en ai discuté avec elle. Elle sera à mes côtés pour toujours dans le rêve, et dans la réalité, elle pourra rejoindre Ulysse, qui est l'autre homme de sa vie. Dans les deux cas, elle sera heureuse, et je ne veux que son bonheur."

Andréas ne veut pas rester protéger Parîs dans le rêve, car il n'y a rien qui le menace ici. Parîs comprend alors que c'est le serviteur qui choisit son maître et non pas l'inverse. Andréas choisit à qui va sa loyauté. Elle ne va pas à Parîs mais au nom de Troie. Alors Andréas abandonne Parîs à sa rêverie, il reporte ses espoirs sur son frère Énée, l'autre porteur du nom de Troie, qu'il va devoir retrouver pour le protéger et l'aider à fonder la Nouvelle Troie.

Emera les rejoint dans le rêve de lotus. Lui aussi, à ce moment, se fait revêtir le front de la couronne des lauriers qui revient aux braves. C'est avant sa mission secrète et avant sa désertion. Il converse avec Parîs, puis va voir Priam et lui demande ce qu'il doit faire pour que soit conservé le nom de Troie. Alors que Priam lui répond, il est plongé dans le futur.

Emera est maintenant vieux, il a une longue barbe. Il se tient sur les marches d'un temple avec Priam à ses côtés, bien sûr ce n'est qu'une projection de Priam. Des centaines de personnes sont massées au pied du temple. Des vasques enflammées éclairent la nuit tombée. Le public semble attendre les paroles d'Emera avec impatience. Priam lui dit : "Si tu veux que le nom de Troie perdure, tu dois limiter toute opportunité de fondation d'une nouvelle Troie. Parîs est déjà hors course. Il reste Énée... et il reste toi... Tu devras briser les tablettes qui t'identifient comme mon fils, comme porteur du nom de Troie. Tu changeras de nom pour garder l'anonymat. Emera, tu te feras appeler Homère, et tu consacreras ta vie à propager la légende de Troie."

Andréas et Emera se réveillent du rêve de lotus. Emera brise ses tablettes, comme Priam le lui a demandé.

Ulysse charge Parîs à bord du navire, qui en meurt. Il est désormais enfermé dans un éternel rêve de lotus. Il réveille Hélène, et elle est prête à reprendre la mer avec Ulysse, à tout recommencer avec lui. L'oracle de la mer monte dans le navire aussi, car il ne veut pas rester dans l'île des mangeurs de lotus.

Ulysse et l'enfant se regardent en chiens de faïence. L'enfant est en colère, mais il ne le dit qu'à demi-mots, et Ulysse ne sait pas expliquer non plus ses regrets ou sa peur. Est-ce le fils parricide dont parlait l'oracle de la mer ? Ulysse laisse monter l'enfant à bord.

Le navire reprend la mer. A bord, il y a trois personnes qui veulent retrouver Énée : Andréas, pour le protéger et refonder une nouvelle de Troie, Emera, pour tuer Énée et empêcher la fondation de la nouvelle Troie, et celui qu'on appelle le père de famille, qui veut retrouver sa famille et sait qu'elle accompagnait Énée dans sa fuite. Ils veulent faire un pacte avec l'oracle de la mer pour aller sans encombre dans l'endroit où se trouve Énée. L'oracle de la mer exige en échange qu'ils le laissent saborder le navire une fois qu'ils y seront arrivés, et ils acceptent. Guidé par l'oracle de la mer, le navire passe entre Charybde, une tempête de transformation, ou eau, terre et chair se transmutent les uns en les autres en permanence, et Scylla, où pleut en permanence du sang et des nouveaux-nés.

Le navire accoste sur une île minuscule. Il y a une toute petite plage de galets, où une femme vêtue de noir les attend, équipée d'un flambeau pour les guider et éviter qu'ils ne se naufragent sur les récifs qui entourent le reste de l'île. Le reste de l'île n'est qu'une haute falaise. Sur son sommet verdoyant paissent des cochons. Dès qu'Ulysse a le dos tourné, l'oracle de la mer saborde le bateau avec la bénédiction d'Andréas, d'Emera et du père de famille. Ulysse sombre alors dans une profonde dépression. Il a perdu le goût de lutter.

La femme se présente : elle s'appelle Circé, elle est la gardienne de l'île. Quand on lui demande où sont Énée et la famille qui l'accompagnait, elle répond qu'elle les avait accueillis comme elle accueille aujourd'hui l'équipage d'Ulysse, et qu'un d'eux lui a fait... du mal. Alors elle a utilisé son savoir en sorcellerie, elle a fait comme si de rien n'était, comme si c'était pardonné, et elle leur a préparé un festin. Mais c'était un festin empoisonné, qui avait le pouvoir de les transformer en ce qu'ils étaient vraiment, et elle les a transformés en cochons. Malgré sa rancœur qui demeure, elle accorde à l'équipage d'Ulysse l'autorisation de tenter de communiquer avec ces personnes devenues des cochons.

Le père de famille va voir l'oracle de l'amour, il lui demande de pouvoir parler la langue des cochons, elle lui répond que c'est langue pour langue, et il accepte. Elle plonge alors sa main dans la bouche du père de famille, et quand elle la retire, sanglante, la langue du père de famille s'est transformée en une langue de cochon : il a sacrifié le parler humain pour savoir parler cochon.

Parmi les compagnons d'Ulysse, il y a celui qu'on appelle le frère. Il veut se venger d'Énée car il pense qu'il a tué son frère. Il demande à l'oracle de l'amour qu'Énée redevienne un homme juste assez longtemps pour qu'ils aient une conversation, et elle le lui accorde à condition qu'il sacrifie sa vie. Le frère n'a que quelques minutes pour parler avec Énée redevenu homme. Énée lui explique qu'avant même la guerre de Troie, les grecs ont envoyé son frère l'assassiner. Il allait le frapper dans le dos, Énée a juste eu le bon réflexe, il a lutté pour sa vie, et il a tué son frère en état de légitime défense. Le frère rend son dernier soupir, il sait la vérité et il a perdu l'envie de lever son épée sur Énée.

Andréas sacrifie sa vie en offrande à l'oracle de l'amour pour qu'Énée redevienne un homme. Le père de famille va voir l'oracle de l'amour, il veut aider sa famille. Elle lui propose d'emporter son frère, parce que c'est lui qui a fait du mal à Circé. Le reste de sa famille lui en veut car c'est à cause de son forfait, parce qu'il n'a pas su freiner ses pulsions, qu'ils sont tous devenus cochons, et depuis ils le maltraitent et ils finiront par le tuer. Mais si le père de famille emporte son frère dans le bateau, il y aura forcément un jour où... - et l'oracle de la mer le projette dans ce futur pour qu'il visualise les conséquences - le bateau est perdu en pleine mer. Les marins n'ont plus rien à manger. Ils se tournent vers le cochon.

Le père de famille répond : "Je ne veux pas que ça se passe comme ça. Je préfère devenir un cochon, alors je resterai ici, auprès d'eux, pour les protéger tous." L'oracle de la mer est trop émue pour lui demander une contrepartie. Elle le touche, et déjà il est devenu un cochon. Il peut enfin revivre aux côtés des siens.

L'enfant décide de rester sur l'île auprès de Circé, ce qui arrange bien Ulysse.

Mais pour les autres, il faut repartir, et ils n'ont plus de bateau. Le charpentier du navire supervise la reconstruction d'un bateau à partir des débris des précédentes épaves naufragées sur les récifs. L'oracle de la mer sacrifie un cochon pour favoriser cette reconstruction.

L'une des marines, Athéia, discute avec Ulysse et celui qu'on appelle le mycénien. Elle leur explique que quelqu'un va de nouveau devoir sacrifier un être aimé aux dieux, sinon le nouveau bateau ne partira pas. Qui va se dévouer ? Ulysse, qui veut que le bateau reparte, et enfin rentrer à Ithaque, envisage de tuer Hélène, puis finalement propose à Hélène de le sacrifier lui. Le mycénien, tout ce qu'il veut au départ, c'est revoir sa famille. Et ne pas souffrir.

Il se rappelle quand il court sur les quais de Troie aux côtés d'Ulysse à la recherche d'un bateau. Il voit Athéia sur le pont du navire d'Agamemnon, elle leur lance un filet pour qu'ils puissent monter à bord.
Le mycénien est blessé. Durant toute la traversée, Athéia lui prodige des soins. Elle lui murmure des chansons pendant qu'il délire, pour l'apaiser.

Le mycénien reprend ses esprits et regarde Athéia, dans le présent. Athéia lui dit : "Je crois que tu tiens à moi, alors tu pourrais me sacrifier pour que le bateau reparte, pour que tu puisses revoir ta famille. Moi, je n'en ai aucune." Mais le mycénien ne veut pas souffrir, il ne peut pas se résoudre à tuer son amie Athéia. Il lui demande de le tuer lui. Ceux qui souffrent, ce sont ceux qui restent. Elle accepte et annonce qu'elle fera le chemin pour aller sa voir sa famille et leur expliquer quel homme il a été, ainsi son nom restera dans la légende, et sa famille se souviendra de lui.

Mais le mycénien imagine ce futur possible. Il voit Athéia rencontrer sa famille et leur annoncer la mauvaise nouvelle. Et sa famille assassine Athéia, car quand on tue le messager, on annule la mauvaise nouvelle. Il se voit revenir auprès d'eux à cause du meurtre d'Athéia.

Alors, il dit à Athéia : "Non. Tue-moi, mais ne retourne pas voir ma famille. Tant pis, mon nom ne sera pas dans la légende, ils m'oublieront."

Hélène approche son couteau de la gorge d'Ulysse. Athéia approche son couteau de la gorge du mycénien.
En même temps, l'oracle de la mer est allé voir Énée. Il lui dit : "J'ai toujours protégé la lignée de Troie, et je veux que tu puisses reprendre la mer pour fonder une nouvelle Troie, car j'ai l'espoir que les dieux s'y réfugient et survivent ainsi au crépuscule. Énée, sacrifie-moi, tu es le seul qui puisse le faire."

Quand Ulysse voit Énée sortir son épée, il fait signe à Hélène de reposer son couteau, et il sauve aussi le mycénien du sacrifice in extremis.
Ainsi meurt l'oracle de la mer, celui que personne n'aimait. A part Énée. Et le bateau reprend les flots.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#158 07 Feb 2016 14:47

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [Inflorenza : Héros, salauds et martyrs à Millevaux] Comptes-rendus

ITHAQUE OU L’ÉTERNEL RETOUR

Dernière journée de la campagne d'Odysséa, où tout se dénoue, où tout recommence.

Jeu : Odysséa, revivez l'Odyssée dans une mer en ruines envahie par la forêt.
Peut être vu comme un jeu à part entière (à paraître prochainement) ou comme un théâtre pour Inflorenza, héros, salauds et martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux

Joué le 31 octobre aux Utopiales à Nantes

Personnages :
Le protecteur, l'incertaine, le vengeur, le déserteur, la justicière, Athléos, Alistène, Achille, Andréas, Inos, Clélia, Emera, Ulysse 1, Thésias, l'enfant, Circé, Ulysse 2, le mycénien, le père de famille, le frère, l'oracle de la mer, celui qui ne voulait pas souffrir, Callisto, Hélène, Ulysse 3, le charpentier, l'oracle de la guerre, Télémaque, Énée

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illustration (c) : Thibault Boube, pour le jeu Odysséa


L'histoire :

C'est l'heure du départ d'Ulysse pour la Guerre de Troie, sur le port d'Ithaque, le plus beau royaume du monde. Le ciel est d'un bleu immaculé, les familles couvrent les marins de fleurs, le vin coule à flots. Pénélope se rend auprès d'Ulysse et lui présente Callisto, son homme de confiance. "La famille de Callisto sert ma famille depuis des générations. Je veux te confier à sa garde pour qu'il te protège durant tout ton périple avant que tu reviennes et reprennes le royaume d'Ithaque en mains. Je vous demande de prêter tous les deux serment de mutuelle protection. Faites-vous mutuelle offrande d'un objet qui vous est précieux."

Callisto se rappelle de sa jeunesse. Sa mère lui confie une épée. "C'est l'épée de notre famille, elle est au service des héritiers d'Ithaque depuis des générations. J'ai protégé Pénélope pendant toutes ces années, maintenant il est temps que je te transmette cet honneur et cette charge. Voici mon épée. J'ai fait un pacte avec les dieux, sache qu'elle peut porter un coup fatal à coup sûr, une seule fois. Utilise-là à bon escient."

Callisto donne son épée à Ulysse.

Ulysse se rappelle quand il a sculpté son lit dans le bois d'un olivier. Avec un morceau de souche qu'il avait détourné, il sculpte un taureau. Télémaque, son fils adoré, est à ses côtés, ce n'est encore qu'un enfant. Ulysse lui apprend à poncer le bois. Il sait qu'un jour, il léguera ce taureau à son fils, Télémaque, et alors il ne sera plus attaché au royaume d'Ithaque, il pourra voyager et vivre sa vie en homme libre.

Ulysse donne le taureau à Callisto.

Sur les récifs qui entourent l'île de Circé, le charpentier ramasse des morceaux d'épaves, pour reconstruire le bateau. L'oracle de la guerre vient le voir, il lui propose des aménagements pour le futur bateau. Le charpentier l'écoute. Il fabrique un véritable navire de guerre, avec une corne de fer sur l'avant, avec des renforts de métal, avec des balistes.

Ulysse, Callisto et le charpentier s'entretiennent de la direction à prendre avec les oracles. L'oracle de la guerre propose de passer par le territoire du Kraken, c'est plus court mais bien sûr c'est dangereux, mais bien sûr c'est glorieux. L'oracle de l'amour leur conseille de passer par le territoire des Sirènes. Leur chant peut faire couler le navire, mais si suffisamment de marins se bouchent les oreilles, il n'y a aucun danger, et pour ceux qui écoutent le chant, les Sirènes leur révéleront les secrets nécessaires pour accomplir leur quête.

Le charpentier brûle d'éprouver son navire de guerre en affrontant le Kraken, mais Ulysse et Callisto préfèrent faire voile vers les Sirènes. Ulysse demande à l'oracle de l'amour de lui permettre d'atteindre Ithaque sans souci. L'oracle lui prend l'amour d'Hélène en échange : désormais Hélène sera amoureuse d'elle et non plus d'Ulysse. C'est le prix à payer pour atteindre Ithaque sans souci.

Ulysse est désespéré : ce qu'il voulait vraiment, c'était atteindre Ithaque, mais pas trop vite, car il voulait profiter le plus longtemps possible de l'amour d'Hélène, et voilà qu'il l'a perdu.

La nuit, il fait irruption dans la cabine de l'oracle de l'amour, il porte l'épée que lui a offerte Callisto, il veut tuer l'oracle pour lui reprendre l'amour d'Hélène.
Il y a deux personnes qui surveillent les agissements d'Ulysse. Callisto, pour le protéger, et Alistène, le porteur de guerre, car il sait que s'il peut y avoir une nouvelle guerre après la guerre de Troie, c'est à cause d'Ulysse qu'elle arrivera. Alistène s'est tenu tranquille pendant la traversée, mais alors qu'Ithaque semble se rapprocher, il redevient actif.

Callisto et Alistène s'interposent, alors Ulysse blesse simplement l'oracle. De cette blessure, l'amour d'Hélène en coule : Hélène n'aime plus l'oracle, mais elle n'aime pas non plus Ulysse en retour.

Le navire traverse la région de la mer hantée par les Sirènes. Les eaux sont grosses de tempête, au loin on entend une rumeur semblable à des pleurs. L'oracle de l'amour a fait fondre toutes les bougies du navire. Il est temps que les volontaires se bouchent les oreilles avec de la cire pour manoeuvrer le bateau alors que d'autres se feront ligoter aux mats pour écouter le secret que les Sirènes ont à dire. Alors que Callisto s'apprête à se faire ligoter à un mât (il a grand besoin de savoir comment mener Ulysse à Ithaque sans encombre), Silas le marin vient le voir. Il veut revoir ses parents. S'il n'entend pas les sirènes, alors il y a eu peu de chance qu'il les revoit. Il demande à Callisto de prendre sa place à la manœuvre, ou alors de lui offrir une contrepartie. Qu'il prenne le sort de Silas en pitié où qu'il craigne le prix de la contrepartie, on ne le sait pas, mais Callisto cède à la demande de Silas : il se bouche les oreilles avec de la cire, prend son poste à la manoeuvre du bateau et encorde Silas au mât.

Le bateau progresse en plein territoire sirène. Des brumes lèchent la coque. Les Sirènes, femmes sensuelles, écailleuses, à corps de faucon ou de pieuvre, approchent leur visage de ceux qui sont encordés.
Le charpentier, encordé, demande aux Sirènes d'arriver à bon port avec son bateau mais les cruelles Sirènes demandent un prix de chair humaine, et le charpentier refuse de payer un tel prix : le bateau arrivera à Ithaque après le passage des Sirènes, mais il sera détruit.

Ulysse, encordé, demande aux Sirènes d'arriver à bon port mais le plus tard possible. Une Sirène lui explique ce qui se passera alors.

Sept ans plus tard. Ulysse et ses compagnons sont sur une plage qui semble ne pas avoir de fin. Des bénitiers immenses montent la garde. Le bateau n'est plus. Il n'en reste que des planches de bois éparses, léchées par les vagues.
Ulysse est allongé sur la plage, Hélène est à ses côtés, la tête penchée contre la sienne. Avec le temps, il a pu la reconquérir, un peu, ils sont encore dans une relation d'amour-haine. Énée est mort du scorbut.

Pendant ce temps, à Ithaque. Les prétendants au trône d'Ulysse perdent patience. Ils disent qu'Ulysse est mort en mer, ils pressent Pénélope de prendre un nouvel époux, de désigner un nouvel héritier au royaume d'Ithaque. Pénélope a jadis annoncé qu'elle choisirait un nouvel époux le jour où elle aurait fini de coudre le suaire de son père. Mais le suaire n'était jamais terminé. Les prétendants ont fait pression sur les servantes de Pénélope pour qu'elles l'espionnent. Ils ont harcelé la plus fidèle d'entre elles, la sœur de Callisto, jusqu'à ce qu'elle craque, et qu'elle dénonce Pénélope. Dans le palais ravagé par les prétendants, où brûle le méchoui des meilleures bêtes du royaume, elle a désigné Pénélope, et elle a déclaré qu'elle défaisait le suaire chaque nuit, et que par cette entremise magique, les prétendants croyaient être toujours le même jour.
Un prétendant, fort et gras, s'empare du bras de Pénélope. Télémaque s'emporte et se jette sur lui avec son épée pour défendre l'honneur de sa mère, mais le prétendant est plus fort et enfonce son épée dans le ventre de Télémaque.

Voilà l'avenir dont rêvait Ulysse, et en voilà les conséquences. Ulysse demande à la Sirène comment il peut éviter un tel avenir. La Sirène lui dit qu'il lui suffit de se presser de rentrer à Ithaque, mais ce faisant, en rentrant dans son royaume, il mourra dans son lit, le lit qu'il a taillé de ces mains dans le tronc d'un oliver. Ulysse accepte un tel prix, pour sauver Télémaque.

Alors le bateau franchit le passage des Sirènes. Il navigue encore, et à la nuit tombée, s'échoue sur une crique cachée du royaume d'Ithaque. Comme les Sirènes l'avaient prédit, le bateau, comme fatigué par une telle traversée, se disloque en touchant le large. Le bel ouvrage du charpentier est détruit.

Avant que quiconque descende du bateau, Alistène achète à l'oracle l'amour d'Hélène. Une passerelle est jetée sur la plage. Alistène s'apprête à débarquer, avec Hélène à son bras.

Dans le futur. Sparte a déclaré la guerre à Ithaque pour reprendre Hélène, et les autres nations du monde pour s'emparer du royaume d'Ithaque, le seul qui a survécu au crépuscule des dieux.

Des navires de guerre propulsent des boules de feu sur l'île. Tout le pays est la proie de la coalition, seul le palais résiste encore. Des guerriers-monstres dans des armures de bronze envahissent le palais.

Au coeur du palais, autour de Pénélope et de Télémaque, Callisto, Énée, Alistène et le charpentier, au milieu des corps ensanglantés de leurs proches, forment le dernier carré. Ulysse est mort dans son lit, comme c'était écrit. Le fracas des combats résonne dans tout le palais. Une odeur épouvantable prend le charpentier aux tripes : l'odeur des oliviers d'Ithaque, qui brûlent. Alistène est en proie à la furie guerrière.
Les guerriers-monstres investissent le cœur du palais. A leur tête, Ménélas, gigantesque, aussi gras que musclé, son visage couvert d'un masque de fer à la barbe aiguisée.

Alors qu'Hélène descend la passerelle au bras d'Alistène, le charpentier et Ulysse se précipitent sur elle pour la tuer, mais Callisto s'interpose. Ulysse use alors du pouvoir mortel de son épée et tue Callisto, son protecteur. Avec sa propre épée. Ulysse reprend sur le corps de Callisto le taureau qu'il avait sculpté dans le même bois d'olivier que son lit, et qu'il avait promis de remettre à Télémaque pour lui rendre sa liberté d'adulte, ce taureau qu'il avait offert à Callisto en gage de mutuelle protection.

Le charpentier ne veut pas qu'Hélène débarque sur cette crique en catimini. Se sachant impuissant à franchir la protection d'Alistène, il s'immole par le feu sur le pont de son cher navire.
Le brasier attire l'attention de Pénélope, Télémaque, et des prétendants qui se rendent sur la crique avant qu'Ulysse, Énée, Hélène et Alistène n'aient pu se cacher. Ulysse sort le taureau de bois de sa besace, il s'apprête à le remettre à Télémaque pour lui rendre sa liberté d'adulte, pour le libérer de son obligation de rester à Ithaque, pour lui permettre de voyager et de prendre femme où il voudra, pour le délivrer de la pesante destinée d'être l'héritier d'Ithaque.
L'un des prétendants, celui qui est fort mais a le visage gras, accuse Ulysse de n'être pas Ulysse. Télémaque veut le frapper pour le punir de son impiété. Ulysse voit déjà le prétendant répliquer, et tuer son fils, alors il empêche le combat, mais ce faisant, il perd l'occasion de remettre le taureau à Télémaque. Pour calmer les prétendants, Pénélope annonce qu'elle mettra tout le monde, y compris cet homme qui prétend être Ulysse, au défi de bander l'arc d'Ulysse et de tirer une flèche entre sept haches.

Dans le passé, pendant la Guerre de Troie. Alistène a subi son baptême de sang. L'oracle de la guerre et Ménélas sont auprès de lui. Ensemble, ils discutent des différents scénarios de guerre possible en fonction de qui pourrait gagner le défi des haches. Une guerre des prétendants si Ulysse échoue, une guerre pour reprendre Hélène si Ulysse gagne, une guerre pour conquérir Ithaque si Hélène meurt.

La discussion se poursuit dans le futur, quand Ménélas investit la cour du palais et qu'ils tiennent le dernier carré. Une discussion de fer et de sang.

Le défi des haches prend place le lendemain. C'est l'occasion pour Ulysse et ses camarades de constater l'incurie dans laquelle les prétendants ont laissé le palais. Le sol est jonché d'ordures, on a fait un méchoui des meilleures bêtes d'Ithaque dans le cœur même du palais, le vin coule à flot, et l'oracle de Dionysos, le dieu des orgies et de la fertilité, tient pour ainsi dire cour dans le palais, hirsute, barbu, toujours ivre au dernier degré, vomissant et harcelant les servantes.

L'un après l'autre, les prétendants tendent de bander l'arc d'Ulysse, sans y parvenir. L'un des prétendants, un homme fielleux, parvient à tendre l'arc un instant, mais avant de pouvoir encocher une flèche, il se prend la corde en pleine figure.

Le prétendant au visage gras s'avance vers l'arc. Il a fait un pacte avec l'oracle de Dionysos pour favoriser sa fortune. Il parvient à bander l'arc, ses muscles sont gonflés, les veines saillent à en craquer... Il encoche une flèche... et tire !
Mais ce n'est pas la flèche qui part, mais son bras. Le prétendant se roule à terre en hurlant, son moignon expulse du sang et asperge les personnes les plus proches.

Télémaque murmure à Ulysse : "Je brûle de massacrer tous ces fumiers.". Il est en proie à l'hubris, l'orgueil guerrier. Déjà il porte sa main à son fourreau. Ulysse lui fait le serment qu'une fois le défi des haches remporté, ensemble ils tueront les prétendants et les servantes, innocentes, mais suspectes, si Télémaque lui conserve son amour.

Ulysse va voir l'oracle de guerre. Lui même n'est pas assuré de remporter la prouesse que représente le défi des haches, sans la faveur des dieux. L'oracle de la guerre jubile. Il le favorisera pour le défi des haches, si Ulysse s'engage à provoquer une guerre. Ulysse accepte, la mort dans l'âme.

Il empoigne l'arc et tire entre toutes les haches, du premier coup. Puis il encoche de nouvelles flèches et embroche les prétendants un par un. Avec Télémaque, il les massacre, ainsi que les servantes, comme la sœur de Callisto, qu'il empale avec les cornes du taureau de bois, la sœur de Callisto, servante fidèle. Sa seule défaillance, elle l'aurait commise un jour, dans sept ans, dans un futur déjà révolu.

Ulysse, couvert de sang, prend sa couronne des bras d'une Pénélope dévastée, il s'en ceint le front et s'assied sur le trône aux côtés de son épouse.

Ulysse a accompli son destin.

L'oracle de la guerre crie. Il n'entend plus son dieu ! L'oracle de l'amour se jette du balcon, tous les oracles de l'île mettent fin à leurs jours. C'est le crépuscule des dieux, ainsi donc les dieux sont morts car Ulysse est rentré chez lui, mettant fin à la dernière légende.

Reste l'oracle de Dionysos, qui ricane. Qui ricane.

Un grondement ébranle l'horizon. Par les balcons du palais, on voit des branches et des troncs surgir de la mer. Une immense forêt pousse dans la mer et menace de la combler.

Ulysse, fourbu de toute sa traversée, va se coucher avec Pénélope dans le lit en olivier. Il sait qu'il va mourir, cette nuit, dans ce lit. Il convoque Télémaque. Il lui demande de passer le reste de sa vie à pourchasser Énée, afin de signaler sa position à ses poursuivants, afin que perdure la guerre de Troie, ainsi Télémaque remplira la promesse qu'Ulysse a faite de déclencher une guerre. Télémaque refuse. Il veut être libre ! Ulysse lui avait promis qu'il le libérerait de son destin ! Maintenant que les dieux sont morts, les hommes devraient être affranchis, et Ulysse lui imposerait cet esclavage éternel ! Télémaque n'en peut plus, son visage est rouge de colère et d'incompréhension. "Je refuse, je refuse !". Il étrangle Ulysse, et Ulysse se laisse faire, et il meurt ainsi, dans le lit qu'il a fait de ses mains, dans le tronc d'un olivier.

Il se rappelle quand il fabriquait le lit, et qu'il montrait à Télémaque, alors un tout jeune enfant, comment poncer dans le sens du bois. Et ce soir, il meurt dans ce même lit, des mains de son propre fils, comme l'avait dit la prophétie.


C'est le lendemain de cette triste nuit. Télémaque veut se consacrer à la protection de Pénélope. Ithaque est encerclée par la forêt.

Énée, quand à lui, fait des plans pour reprendre la route et fonder la nouvelle Troie. Ensemble, ils vont voir l'oracle de Dionysos, puisque c'est le dernier oracle qui ait un quelconque pouvoir. Il conseille à Télémaque de partir avec Pénélope et d'accompagner Énée dans son exil. Télémaque comprend alors que si Pénélope meurt ou quitte Ithaque, alors la forêt contaminerait aussi le royaume, et que c'est exactement ce que veut l'oracle. Qu'Ithaque se referme.

Ils veulent tuer l'oracle mais il les arrête en disant que s'il meurt, alors Ithaque se transformerait en désert. Ils décident alors de l'enfermer. Il leur confie une fleur de lotus, matière spongieuse qui ressemble à une chair de mollusque, et leur dit qu'en consommer serait la seule façon de vivre aux côtés de Pénélope et la protéger pour toujours. En effet, le lotus permet de se plonger dans un de ses meilleurs souvenirs. Télémaque et Énée emportent le lotus, mais ils refusent d'en consommer.

C'est alors qu'ils se rappellent de la journée entre l'arrivée d'Ulysse et le défi des haches. C'était un moment de trêve, les prétendants étaient trop occupés à préparer le défi pour leur nuire. Ulysse marche aux côtés de Télémaque et d'Énée. Il n'y a qu'eux, et puis les oliviers, les cigales, le ciel et la mer. Ulysse leur dit de prendre le lotus, de les rejoindre dans ce souvenir, dans ce moment où ils sont ensemble et heureux en sécurité, et qui n'arrivera plus, puisque ce soir Ulysse sera mort et la mer va disparaître.

Il dit : "C'est ça, l'éternel retour. C'est ici, maintenant, à Ithaque, ensemble, avec les oliviers, les cigales, le ciel et la mer". Énée rétorque : "Je ne peux pas rester ici, je dois partir, fonder la nouvelle Troie." Ulysse lui tend les bras : "Ici, c'est ta maison si tu veux."

Alors Énée et Télémaque consomment le lotus.


Après la défection de Télémaque, Pénélope est seule au palais pour gérer les affaires courantes. Ithaque n'est plus qu'une oasis de nature harmonieuse au milieu d'une forêt sans limite. Les gens qui ont débarqué du navire d'Ulysse n'ont pas été reconnus par leurs familles : c'est comme si la corrosion atteignait déjà Ithaque, par la mémoire.

Mentor, le sage qui a élevé Télémaque, va voir l'oracle Dionysos en prison. Il lui demande de rendre leurs souvenirs aux familles. L'oracle demande du vin pour entrer en transe et parler à son dieu. Au sommet de l'ivresse, il entend la voix putride de Dionysos. Il lui explique comment préparer un vin qui rendra des souvenirs aux familles concernant les marins qui leurs étaient proches, mais seulement les pires souvenirs. Les familles se sentiront coupables vis-à-vis des marins.

L'oracle sort de sa transe et dit à Mentor qu'il peut préparer un vin qui rende la mémoire, mais en échange il dit que son dieu exige la mise à mort de Pénélope. Ceci, bien sûr, est une invention de l'oracle, pour que Pénélope meure et qu'ainsi la forêt envahisse Ithaque.

Mentor convoque tous les habitants dans la cour du palais, là où il y avait eu le défi des haches. L'oracle est suspendu dans une cage. Mentor explique les exigences de l'oracle pour obtenir le vin du souvenir : sacrifier Pénélope.

C'était au départ des marins d'Ithaque pour la guerre de Troie. Le jour où Pénélope a demandé à Ulysse et Callisto de prêter serment de mutuelle protection. Celui qu'on appelle le marin dit au revoir à sa famille. Sa femme, qui mourra pendant son absence, sa fille de 8 ans, son enfant de 4 ans. Celui-ci chante pour lui, sa fille lui donne un bracelet de cuir qui se détachera quand les côtes seront en vue.

On fait une fête pour le départ Ulysse. La nourrice d'Ulysse sermonne Pénélope : la nourrice a veillé sur le héros de son enfance à son mariage et aujourd'hui elle a le sentiment de le confier entre de mauvaises mains.
Ulysse dit au revoir à Pénélope. Il lui promet de revenir lui faire un nouvel enfant.

C'est la dernière nuit d'Ulysse. Il va voir l'oracle de Dionysos pour qu'il favorise la fertilité de Pénélope. L'oracle lui demande en échange de lui laisser servir un vin d'oubli aux familles qui sont massées dans le palais pour fêter son retour. Ulysse hésite à accepter un tel prix. Il retourne voir Pénélope pour lui demander son avis. Pénélope refuse de répondre, elle lui fait couler un bain pour le faire patienter. Il repart. La nourrice arrive et donne du raisin empoisonné à Pénélope, mais Pénélope comprend ce qui se trame et refuse d'en manger. Ulysse revient pour lui dire qu'il a pris la décision lui même : l'oracle est déjà en train de servir le vin d'oubli aux convives. Pénélope lui dit alors que ce n'était pas le fait de servir du vin d'oubli qu'elle refusait. En réalité, elle refuse de lui refaire un enfant. Ulysse a permis l'empoisonnement de son peuple pour rien !

De retour à la cour du palais, avec tout le peuple d'Ithaque réuni, marins fourbus comme familles oublieuses, avec Mentor et l'oracle dans sa cage, la nourrice et Pénélope sur son trône. La nourrice laisse Mentor ouvrir la cage de l'oracle. L'oracle et le marin tuent Pénélope.

Alors que Pénélope s'écroule sur les dalles de la cour, un grand tremblement secoue toute l'île.

Ithaque se referme.

Adieu les oliviers,
Adieu les champs de blé,
Adieu les cigales.


Personnages :

Le protecteur
Quête : protéger les civils

L'incertaine :
Quête : trouver la meilleure attitude dans la guerre

Le vengeur :
Quête : venger l'honneur des grecs en remportant la guerre

Le déserteur :
Quête : fuir la guerre

La justicière :
Quête : protéger les innocents

Athléos :
Quête : sauver Cassandre pour lui poser des questions

Alistène :
Quête 1 : perpétuer la Guerre de Troie
puis Quête 2 : provoquer la guerre entre Sparte et Ithaque

Achille :
Quête 1 : Se venger d'Ulysse
puis Quête 2 : protéger Briséis

Andréas :
Quête : rétablir Troie
Symbole : loyauté

Inos :
Quête : faire honneur à sa famille
Symbole : famille

Clélia :
Quête : sauver Inos des enfers

Emera :
Quête : S'assurer que Troie soit détruite pour mieux en sauvegarder la légende

Ulysse 1 :
Quête : ramener la science de Troie à Ithaque

Thésias
Quête : rejoindre sa famille
Symbole : le retour

L'enfant :
Quête : voyager et découvrir le monde

Circé :
Quête : se protéger des agresseurs

Ulysse 2 :
Quête : reprendre la mer pour se rendre à Ithaque

Le mycénien
Quête : revoir sa famille à Mycènes sans sacrifier personne

Le père de famille :
Quête : retrouver sa famille

Le frère :
Quête : se venger d'Énée qui aurait tué son frère.

L'oracle de la mer :
Quête : permettre l'avènement de la Nouvelle Troie et la fin d'Ulysse

Callisto :
Quête : protéger Ulysse

Hélène :
Quête : ne plus être le prétexte d'une guerre.

Ulysse 3 :
Quête : arriver à Ithaque... mais pas trop vite.

Le charpentier
Quête : rentrer à Ithaque... avec son bateau en bon état.

L'oracle de la guerre :
Quête 1 : ramener Hélène à Ithaque pour provoquer la guerre de Sparte
puis Quête 2 : provoquer la guerre des prétendants

Télémaque :
Quête : protéger Pénélope

Énée :
Quête : fonder la Nouvelle Troie


Contexte :

En 2014, j'ai animé aux Utopiales une séance d'Inflorenza, le jeu de rôle des héros, des salauds et des martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux. C'était une séance de trois jours, en table ouverte. Le thème était Les Chemins de Compostelle et nous avions joué avec les règles d'Inflorenza première édition. J'avais pour matériel :
+ douze d12
+ deux tableaux des thèmes
+ un tableau de 144 exemples de phrases d'historique de personnage
+ un tableau de 144 exemples de phrases de pouvoir de personnage
+ un scénario de 2 pages
+ des feuilles et des stylos pour les joueur·se·s

L'expérience m'a tellement plu que je souhaite la renouveler pour 2015. J'ai refusé un stand pour me focaliser à nouveau sur cet exercice de la table ouverte, éprouvant mais combien riche.

L'idée pour 2015 est de tenter un challenge dans le challenge : jouer sans matériel.

Je m'explique. Lors de ma table ouverte en 2014, j'ai très largement improvisé à partir d'un vague scénario de situation. J'avais cependant de nombreux supports matériels pour cette improvisation. Les feuilles de personnage sont une suite de phrases sur l'histoire du personnage, elles fertilisent la narration. La résolution par dés amène beaucoup de conséquences imprévues aux conflits, le tableau des thèmes et les scénarios sont une source d'inspiration pour moi et pour les joueur·se·s.

Depuis, j'ai conçu une variante, Inflorenza minima, qui se joue sans matériel, sans écrit, sans chiffre et sans hasard. Dans cette variante, chaque personnage est défini par sa quête, et chaque fois qu'il veut progresser dans sa quête, il devra en payer le prix fort ou renoncer pour l'instant. Ma contribution personnelle au jeu de rôle freeform (formes de jeu de rôle sans modélisation mathématique). J'ai testé Inflorenza minima sur une vingtaine de parties, il est complètement rôdé, en revanche je n'ai jamais dépassé les 3 heures de jeu consécutives sur le même scénario, parce que jouer en freeform accélère la narration et parce que c'est le format habituel de mes parties.

Jouer Inflorenza minima en table ouverte aux Utopiales me met au défi de jouer en impro, sans matériel, sur une partie d'une vingtaine d'heures cumulées. C'est un défi à ma capacité d'impro et une démonstration de jeu freeform. Pendant trois jours, le public des Utopiales assistera et participera à une table d'un jeu de rôle basé uniquement sur la conversation.

Le défi posé, il me fallait choisir un thème, un scénario de situation. Un jeu en table ouverte, qui plus est sur une telle durée, se base sur une quête de longue haleine et implique des arrivées et des départs de protagonistes : en bref, un voyage. Le parcours de Nantes à Compostelle avait bien fonctionné dans ce sens en 2014.

Dans le jeu en table ouverte, l'entrée des joueur·se·s dans l'aventure doit être immédiate : on réduit au minimum les informations nécessaires pour commencer. Les Chemins de Compostelle faisaient le boulot : je disais juste qu'on refaisait le pèlerinage de Compostelle dans un futur obscurantiste où la forêt a tout envahi. Dans ma réflexion pour cette nouvelle table ouverte, j'ai hésité entre deux voyages : L'Enfer de Dante ou l'Odyssée.

J'ai écarté L'Enfer de Dante. Le thème était trop sombre et n'aurait pas parlé à tout le monde. Peu de personnes connaissent les péripéties de cette œuvre, encore moins l'ont lue. Tandis que presque tout le monde connaît l'Odyssée, au moins son héros Ulysse ou ses principales péripéties : le Cheval de Troie, le Cyclope, Circé, les Sirènes. De plus, il y a un passage aux Enfers dans l'Odyssée, donc je pourrai donc recycler mon envie de descente au domaine des morts. Et ne serait-ce qu'avec Ulysse 31, on se fait bien à l'idée que le mythe de l'Odyssée soit retravaillé selon les codes d'un autre genre, ici l'horreur forestière de Millevaux.

Le résultat à été Odysséa, qui de théâtre pour Inflorenza minima, est finalement devenu un jeu-campagne à part entière (on dirait un burst, vu sa durée), une nouvelle porte d'entrée dans l'univers de Millevaux.


Commentaires sur le jeu :

J'ai bien rempli mon défi de jouer toute une campagne sans matériel. J'avais élaboré des tables aléatoires à destination des personnes qui voudraient jouer Inflorenza avec un livre et des dés, mais pour ma part je les ai apprises par cœur, et donc j'ai joué sans dés et sans texte, et les joueur·se·s n'ont pas utilisé de stylo, à part quelques irréductibles de la prise de notes.

Ce fut un souvenir de jeu très intense, et j'espère que les joueur·se·s ont pris autant de plaisir que j'en ai eu à les accompagner dans cette traversée. J'imagine que ça n'a pas été optimal pour tout le monde, soit parce que le lieu de jeu était bruyant, soit parce que les personnes ne pouvaient pas rester assez longtemps pour être bien investies dans le jeu, mais j'espère au moins que les personnes  qui n'ont souffert ni de l'un de l'autre ont passé un bon moment.

Au final, j'ai dû utiliser moins de 50 % des règles, j'ai notamment zappé les pouvoirs (l'épée d'Ulysse est juste une réminiscence de cette règle, elle fonctionnait comme un pouvoir), et il est très rare que j'ai demandé aux joueur·se·s de définir des symboles, et dans ce cas-là, je n'en demandais qu'un au lieu de deux. Je pense que ces règles auraient été utiles si j'avais joué sur la même durée mais avec un groupe de joueur·se·s persistant. En table ouverte, je me devais d'aller à l'essentiel, et les joueur·se·s en restaient pas longtemps, de 5 minutes à 3 heures, je dirais.

De même, je suis loin d'avoir utilisé tout l'univers, il faut dire que certains éléments avaient beaucoup de potentiel (le fait de devoir sacrifier un être cher pour faire partir un bateau, par exemple), et donc sur une période de jeu de 15 heures, ce qui est au final assez court pour une campagne, on pouvait zapper un certain nombres d'éléments. Le système de choix cornéliens fait aussi qu'on zappait forcément des rencontres (ainsi, le Kraken, ainsi les Cyclopes, ainsi Charybde et Scylla.). Et puis les joueur·se·s amenaient leurs propres connaissances de l'Iliade et de l'Odyssée (Cassandre, le lit d'Ulysse en bois d'olivier...), ça faisait des éléments en plus à exploiter, et qui pour moi avaient la priorité sur les éléments que j'avais préparés, puisque le jeu suit les quêtes que les  joueur·se·s ont imaginées pour leur personnage.

On a certainement fait des entorses à la mythologie grecque, mais ça ne me pose aucun problème. D'une parce que c'est un jeu de rôle uchronique, de deux parce que tant que ça ne gêne personne à la table et que ça crée du jeu, c'est acceptable.

J'espère que ce compte-rendu de partie est agréable à lire, pour autant j'ai conscience qu'il ne rend pas complètement honneur à l'aventure qu'on a joué. Avec mes règles de choix cornéliens, 30% du temps de jeu était consacré à des cogitations de joueur·se·s pour choisir la moins pire issue, je pense que c'était central dans le fun du jeu, et on le retrouve très peu dans le compte-rendu de partie, il aurait fallu que je retranscrive toutes les pensées des personnages que les joueur·se·s vocalisaient, ce qui n'est pas la chose que je mémorise le mieux. Idem, on a parfois l'impression dans le compte-rendu que certains personnages agissent tous seuls ou en tout cas tirent la couverture à eux, mais en réalité, il y a eu beaucoup de conflits duels pour trancher des litiges, qui souvent impliquaient tous les joueur·se·s à la table.
Une partie de jeu de rôle, c'est une aventure et un jeu, pas une histoire, et donc l'histoire qu'est le compte-rendu de partie ne peut restituer tout le sel de cette aventure et de ce jeu.

Enfin, la chose dont je suis le plus fier, c'est d'avoir expérimenté des règles qui imbriquent des choix  cornéliens et des allers et retours dans le passé et dans le futur. Ces voyages dans le temps potentialisent énormément les choix cornéliens : les flash-back montrent aux joueur.se.s à quel point ils tiennent à telle ou telle chose, et les flash-forwards leur font expérimenter les conséquences des choix qu'ils s'apprêtent à prendre.

Et par moment, ces voyages dans le temps étaient si fréquents que ça donnait un côté mindfuck à l'expérience de jeu, que j'ai personnellement adoré.

Enfin, la combinaison des choix cornéliens et des voyages dans le temps (dynamiques, les joueur.se.s avaient un grand pouvoir d'action pendant ces voyages) m'a révélé qu'Odysséa était, avant tout, un jeu sur le combat entre l'essence et l'existence. Les joueur.se.s avaient un pouvoir de choix absolu et pourtant, une fois sur deux ils reproduisaient le destin qu'on avait prédit pour leur personnage, alors qu'ils voulaient au départ tout faire pour l'éviter.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#159 09 Mar 2016 13:56

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [Inflorenza : Héros, salauds et martyrs à Millevaux] Comptes-rendus

LES CHEMINS DE COMPOSTELLE / VENISE MORTELLE / AU NORD, SOUS LES ETOILES SILENCIEUSES

Tri-théâtre joué en Carte Rouge, vertige logique à tous les étages où le temps, l'espace, la mémoire, la causalité et l'évolution se confondent. Une ascension du mont Mindfuck par la face Nord et sans oxygène dont ne sort pas indemne.

Jeu : Inflorenza, héros, salauds et martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux

Joué le 15/01/2016 sur google hangout
Personnages : Étienne, Camille/Caméo/Carême, Le boursouflé/Vitello/Vie, Vincenzo

Partie enregistré en deux morceaux : ici et ici

Partie également débriefée sous l'angle du jeu mindfuck à hauteur de joueuse par Eugénie sur le blog JenesuispasMJmais.

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crédits : bru_ca, cdw9, thomas hawk, Claudine Lamothe, Rita Willaert, Vincent H, visit finland, licence cc-by-nc & Lewis Hickes, domaine public


Principes de jeu :

Comme lors de Cuisine aux Orgones / Green Void / Le Château des Possibles, on joue une seule aventure, mais on alterne sur trois théâtres, ici Les Chemins de Compostelle, Venise Mortelle et Au Nord, sous les Etoiles Silencieuses.

Il y a en revanche des différences entre les deux parties. Dans la première, on jouait en Carte Blanche, avec des personnes prétirés et une mission à accomplir, on jouait dans l'ordre chronologique (hormis un petit flashback dynamique que je me suis autorisé) et surtout on découpait bien la partie : le premiers tiers de jeu se passait dans le premier théâtre, le deuxième tiers dans le deuxième théâtre, le troisième tiers dans le troisième théâtre.
Dans cette deuxième partie, on joue en Carte Rouge, on crée les personnages à la volée lors des premières instances, on s'autorise à basculer d'un théâtre vers l'autre à tout moment (même plusieurs fois au cours d'une seule instance), et si l'on se sent en jambes, on s'autorise à tenter d'autres expériences mindfucks : flashbacks et flashforwards dynamiques, uchronies intimes, solipsismes, ruptures de la causalité et de la cohérence, personnages et figurants à la réalité douteuse...

Les Chemins de Compostelle :

Des dizaines de chemins partent pour Compostelle, de Métro la capitale souterraine des Terres Franques, Rift la ville coupée en deux par les rives vertigineuses de la Gronde, Axe-en-Vengeance la forteresse du soleil, de Pampelune la farouche enclave basque. Sans parler des bateaux depuis Albion ou Grenade. Tous convergent vers le port christique et sa basilique aux murs de coquillages et à la charpente en carène de bateau.
La passion marche aux côtés de la foi vers Compostelle.

Venise Mortelle :

Depuis plus de deux cent ans, Venise est en cale sèche. Les eaux de la lagune ont déserté les canaux, mettant à jour le bois pétrifié de ses fondations. Sous le Rialto ou le Pont des Soupirs, du sable, de la vase
desséchée. Partout des gondoles et des canots à moteur échoués, inutiles. Venise, qui pensait mourir noyée, agonise de déshydratation.

Au Nord, sous les Étoiles Silencieuses (un théâtre d'Epiphanie)  :

Tout au nord se trouve un village dont on dit que c’est le dernier avant les glaces. Les habitants y vivent dans un hiver éternel, la nuit dure dix mois et l’on n’adresse plus ses prières au soleil, trop faible ici pour exaucer les souhaits. Comment survivre entre les deux malédictions de la forêt et
du givre sinon en se réfugiant dans ses obsessions, pour ne surtout pas penser à la limite, là où la forêt s’arrêterait et où habitent les vieilles légendes du passé ?


L'histoire :

Étienne se réveille sous une toile faite en sacs plastiques découpés, l'humidité lui rentre par le dos, il a les omoplates repliées, la pluie bat très fort autour de lui, il croit tenir un souvenir lointain à portée de la main, il se tourne vers l'ouverture et voit une forme, comme un homme engoncé dans un imperméable, avec une grosse ceinture refermée sur ses bourrelets. Étienne pousse un cri.
Il se réveille dans une yourte en terre, où brûle un feu de bouse qui sent très fort. En face de lui, un masque animal qui le contemple, les crocs découverts. Il a toujours cette douleur qui lui engourdit le dos. Un souffle froid perce depuis l'ouverture de la yourte : une chose engoncée dans un costume de paille avec des yeux rougeoyants qui semble percer à travers de lui.
Étienne a un sursaut d'angoisse, et finit par se réveiller dans une cabine, une pièce métallique, il est en panique, il cherche des yeux, est-il encore dans un rêve, est-ce que cette chose croisée dans une vie précédente... Il a oublié ? Il voit une juste table de chevet, avec un verre d'eau. Il hésite à le boire. Il se dirige vers la porte.
Étienne a des souvenirs parasitaires, ce ne sont pas les siens mais ceux d'un parasite horla qui a envahi son corps. Quand il touche ses omoplates pour comprendre quelle douleur lui fait mal à travers les rêves, il sent une grosse bosse sur sa colonne vertébrale qui se déplace pour éviter les palpations. Il veut explorer la mémoire de ce symbiote.
Il passe une chemise sur ses épaules, passe la porte, parcourt quelques couloirs, croise quelques personnes qui semblent le connaître alors qu'il ne reconnaît aucun visage, il sort dehors et tombe sur une grande étendue de sel, entre lui et les clochetons de la ville au loin. Il descend une échelle métallique et se dirige vers la ville.
La douleur de son dos est omniprésente. Elle le rappelle à sa condition de véhicule, il est plus le vaisseau de ce horla qu'un individu vraiment humain.

Il voit la ville au delà du désert, du désert d'arbres devant lui. Il fait froid, la pluie tombe. La ville émerge des cimes des arbres, juste les clochers les plus hauts. Il est proche de Rift, la ville aux deux falaises. Encore beaucoup de chemin avant Compostelle. Derrière lui, il y a juste la petite cabane en sacs poubelles. Un enfant s'approche de lui, il semble sans peur. Il a entre huit et dix ans, il a des vêtements amples, un pull qui a dû appartenir à un adulte, assez déchiré, qui flotte dans le vent qui s'engouffre entre les sapins. Il le regarde avec ses grands yeux : "Je suis perdu, j'ai besoin d'aide.
- Ne traîne pas, allons en ville, nous trouverons quelqu'un pour t'aider. En attendant, laisse moi t'inviter à déjeuner.
- Merci. Je cherche la route vers Compostelle."
La présence de l'enfant n'a pas l'air de surprendre Étienne. L'enfant, Camille, veut qu'Étienne l'aide à traverser le désert d'arbres jusqu'à Compostelle.
"Je me présente, je m'appelle Camille.
- Moi, c'est Étienne. Tu viens d'où ?
- Je ne sais plus en fait.
- Tu n'a pas des parents, tu n'étais pas avec des pèlerins ?
- Si, j'avais des parents, mais je me suis échappé d'eux. Parce qu'ils avaient changé."
Étienne a un mouvement de cou comme s'il avait une douleur à la nuque, il s'étire le bras en direction du dos.
"Changé comment ?
- Ils me reconnaissaient plus.
- Ils ont perdu leurs souvenirs ?
- Oui. C'était pas brusque, des fois ils me reconnaissaient plus. Ils pouvaient être violents, dire des choses horribles, après ils redevenaient comme avant, mais c'était plus possible de continuer avec eux. C'est pour ça que je vais avec Compostelle, là-bas la vie est meilleure."
Étienne a un sourire, navré, condescendant.
"Arrangeons déjà l'ici et maintenant avant de voir si la vie est meilleure après.
- Tu veux que je cherche du bois pour allumer un feu ?
- Oui, ça fera du bien de manger chaud."
Avec inexpérience et maladresse, Camille allume le feu ; Étienne l'observe sans l'aider ni le quitter des yeux.
Étienne sort un morceau de viande d'un sac en jute de la cabane, dernière limite avant intoxication, il installe une grille métallique tirée de ses affaires sur le feu, et commence à griller la viande.
Camille : "Tu feras meilleur la prochaine fois ?
- Si tu ne contentes pas de ce qu'on te donne, tu ne feras pas de vieux os sur la route de Compostelle."
Le paquet de fringues imperméables bouge, la grosse chose avec le chapeau en sort : "ça sent bon dis-donc !"
Étienne se planque derrière le feu.
Le boursouflé : "Quoi ? On invite un gamin et moi je peux pas m'asseoir ?"
Camille : "C'est drôle, ce monsieur me rappelle un cuisinier dont j'ai entendu parler, un gros cuisinier qui s'appelle Vitello."
Le boursouflé : "Connais pas."
Étienne : "T'es du genre à manger, toi ? La même chose que les êtres humains ?"
Le boursouflé : "Sois poli !"
Il relève son chapeau, écarte l'imperméable, c'est à peu près un humain.
Étienne : "Sors de ma cabane, je sais même pas comment tu y es entré."
Il a les membres très maigres et le torse boursouflé.
Étienne : "Dis moi, l'enfant, tu manges ta viande ou tu la donnes à notre invité ?"
L'enfant en mange un peu et laisse une grosse part à l'étranger.
Étienne : "Ou tu vas, l'étranger ?"
Le boursouflé : "Je cherche quelqu'un."
Camille : "Peut-être à Compostelle tu le trouveras, on y trouve toutes les réponses."
Le boursouflé : "Peut-être que je le trouverai avant, sur la route."
Camille murmure à Étienne, il lui demande pourquoi il en dans la forêt. Étienne élude, Camille lui dit : "Si tu as pris le maquis pour fuir la justice, je te dénoncerai pas.
- Peut-être... ou pas. Cela te ferait plaisir que j'en sois ?
- Ce que je veux, c'est que tu me protège, je ne suis qu'un enfant, sans aide je ne survivrai pas.
- Si je suis un proscrit, crois-tu que je te protégerai ?
- Pourquoi pas ?"

Les cuisines sont saturées de passage, des gens ramènent des paniers de poisson frais du marché, enfin frais, plutôt salé, cuit dans le sel où il a vécu. Des mets étranges à base de mousse sont malaxés par des petites mains, des carcasses de choses dont on se demande si ça a pas été humain un jour sont pendues à des crochets. Effervescence totale, Vitello en chef d'orchestre mène le bal. La cuisine s'est suspendue, il a eu... il était pas loin... de retrouver... il a presque partagé un repas avec lui... Étienne... il allait lui demander de lui rendre son hôte. mais il s'est retrouvé dans la cuisine. Les cris reviennent, s'affolent.
Une personne fait irruption au milieu de l'armée de marmitons et de serveurs en livrée, un jeune homme, il a une tenue de courtisan, exubérante, à la fois hidalgo, escrimeur, toréador en habits de satin bariolé, de la dentelle, il est assez beau mais trop fardé, une rapière au fourreau à son flanc. Il amène, accompagné par un laquais qu'il a débauché, un gros morceau de viande, une demi-carcasse de bufflonne. "Tiens, Vitello, c'est une des meilleures bêtes de Sicile, on l'a faite venir exprès pour toi !
- Camille, ça me fait plaisir !
- Tu sais bien que je m'appelle Caméo !"
Une grosse voix :
"Caméo, n'oublie pas de me payer !" Un homme rude fait irruption dans l'escalier, il porte du cuir rongé par le sel, il regarde tout le monde aux alentours.
Vincenzo : "Vitello, j'espère que cette viande saura satisfaire les plus fines gueules de ta table."
Vitello : "Caméo, tu me présentes pas ?"
Caméo : "C'est rien, c'est personne, c'est un type qui me recherche. Maintenant je suis assez grand pour me défendre. Il dégaine sa rapière, monte sur une table, se suspend à un crochet de boucher...
Vitello : "Pas de duel dans ma cuisine !"
Vincenzo : "Je sentais bien un coup fourré ! Tu voulais faire croire que tu t'étais procuré cette viande !"
Caméo : "Moi, je la donne de la part d'Étienne, je sais pas d'où elle vient. Si tu veux t'en prendre à nous, on saura se défendre."
Vincenzo : "On se moque pas de Vincenzo comme ça."
Il toise les gens alentours. Il respecte Vitello et sort de la cuisine en restant dans les alentours afin que sa présence se fasse encore sentir.
Caméo embrasse la barbe de Vitello : "Bravo tu l'as fait fuir avec ta prestance !
- Ne me ramène pas tes aventuriers dans la cuisine ! J'apprécie la viande, les présents, je fais ça pour ton père tu sais, mais ne me ramène pas les aventuriers...
- C'est eux qui me suivent partout. Dans ce monde, on a rien facilement, j'aurai toujours des gens à mes trousses pour me reprendre le peu que j'ai."

La pluie tombe. L'homme à l'imperméable.
Le boursouflé : "Ah bon, ils te poursuivent ?
Étienne : "Elle n'était pas de moi cette viande, tout au plus quelqu'un avec le meme nom ?"
Camille : "Tu crois qu'ils nous recherche dans la forêt, ce type ? Peut-être que dans le tumulte de la ville, il nous retrouvera pas. J'ai entendu qu'elle est coupée en deux par le fleuve, y'a ces maisons et ces clochers et sur le fleuve, la Gronde, y'a ces grands filets dérivants où ils pèchent les poissons, et les bateaux qui partent vers Compostelle..."
Étienne n'a pas quitté le boursouflé au chapeau du regard.
"Que tu te nommes Vitello ou pas, je ne t'aime pas, nous n'avons rien en commun, je ne te dois rien, je ne veux pas te voir. Si tu nous suis, fais-toi discret.
- Très bien, je marcherai sur tes talons, tu me verras pas."
Le boursouflé sait qu'il ne convaincra pas Étienne de lui rendre le horla, mais il compte bien convaincre le horla de lui revenir.

Beaucoup de vent à l’extérieur, la hutte les protège très peu alors qu'ils sont en train de partager cette viande. Le chasseur Vincenzo rentre et toise Étienne. Il regarde la viande, regarde Vitello et Carême. Vincenzo toise Étienne à nouveau :
"Pourquoi manges-tu cette viande gâtée ? Tiens, je viens d'aller en rechercher.
- Laisse, je vais manger cette viande gâtée, on ne va pas gaspiller.
- Tu as encore perdu toute souvenance, je t'ai pourtant répété cent fois que fuir la forêt en allant à un tel endroit n'est pas une chose pour toi. Ici, il fait trop froid pour se maintenir.
- Ce n'est pas une raison pour gaspiller. Si nous tombons à court de provisions, je mourrai pour de bon.
- Tu sais comme tu es précieux, comme tu dois faire attention à toi, tu sais ce que tu transportes. Nous avons eu cette conversation mille fois, tiens bon."

Carême : "Il a raison de monter vers le nord, on est trop proche de la Source, celle tout au nord, derrière le mur de glace.
- C'est certain, on doit y aller. Mais les villageois n'ont pas l'air de...
- Oui, mais on est pas obligé de les écouter !
- Tu as vu sur le chemin, cette tête de loup empaillée, j'ai cru le voir se lécher ses babines..."
Carême lui prend la main, sa main est vieille est ridée, c'est une vieille femme maintenant, ses cheveux gris s'envolent dans le vent. Elle se rapproche du feu car la chaleur s'échappe vite de son corps, ses vêtements en peau de bovin trop amples claquent.
"Mais on est si proche du but, depuis le temps qu'on chemine ensemble, nous aussi on y a droit."
La main d'Étienne est brûlante, il est torse nu, son corps consomme de l'énergie très très vite pour produire de la chaleur.
Le visage de Carême est ridé de vieillesse, d'amour pour Étienne et de toute le temps passé ensemble sur la route : "On sera les premiers à arriver à la Source..."
Le tas de paille dans le coin bouge, une voix en sort : "C'est pas elle qui aurait du le porter jusqu'ici. Toi ou moi, Étienne, mais pas elle."
Étienne se tape le crâne comme si le son n'était que dans sa tête :
" Tais-toi !...
Vincenzo, tu as raison comme d'habitude, je n'aurais pas dû manger cette viande et on n'aurait pas dû aller si loin au nord... Tu as entendu ces voix ?"
Vincenzo : "Ce sont des voix qu'ils nous faut traverser, qu'il nous faut entendre."
Étienne : "Je ne sais pas lequel d'entre vous est réel."
Carême : "Vincenzo, tu dois nous laisser partir maintenant !"
Carême sort un couteau en silex avec une poignée couverte de rubans rouges qui se défont dans le vent.
" Tu dois cesser de nous poursuivre pour un morceau de viande, quelque chose qu'on te devrait, on te doit rien, personne ne devrait jamais rien devoir à personne, tu dois nous laisser notre liberté ; vivre notre rêve.
- Tu dis ça alors que ta chair même est faite de la chair que j'ai tuée ?"
- Si je porte cette chose maintenant, c'est un accident, ce n'est pas volontaire, maintenant c'est comme ça, c'est à moi."
Apparemment, Vincenzo veut que le symbiote porté revienne à Vie, l'homme dans le costume de paille.
Quelque chose émerge des vêtements de Carême, se juche sur ses épaules. Un renard des neiges, blanc, des oreilles de coyote, il les regarde avec un air de duplicité, sa queue est enfouie dans ses vêtements, reliée à sa colonne vertébrale. C'est le symbiote qu'Étienne a abrité fut un temps. Étienne a la tête dans les mains, il transpire comme s'il avait la fièvre. Un soupir s'échappe du tas de paille.
Carême : "Vie, Puisque tu as décidé de ne pas nous laisser en paix, accompagne nous jusqu'à la Source, moi je suis vieille et Étienne perd des forces. Arrivés à la Source, je te rendrai le renard."
Vincenzo : "Soit, nous allons continuer."
Vie : "Cela fait des semaines que tu dis que tu vas rendre le renard..."
Carême : "On est presque arrivés..."
Vie : "Laisse-moi le toucher au moins."
Carême : "Cela te ferait trop mal."
Étienne : "On partira pas avant d'avoir fini la viande !"
Vincenzo : "Reprends des forces, tu en auras besoin."
Carême : "Vie, puisque tu cuisines, mets des mousses de la taïga et du bois odorant dans le feu, pour masquer le goût du faisandé. C'est peut-être notre dernier repas chaud avant longtemps. Faisons au moins semblant de manger un repas de fête."
Vie : "On va faire semblant..."
Un corps très jeune sort de la paille, il fait semblant de mettre des aromates sur la viande.
Étienne : "Comme ça sent bon..."
Le renard fouille dans la besace de Carême, il en sort une poupée gigogne, la déboîte, donne des coups de pattes dans les poupées. Carême danse autour du feu en chantant une vieille berceuse à Étienne, elle lui ébouriffe les cheveux. Étienne reprend l'air en marmonnant, il regarde la viande cuire. Le regard joue avec des poupées comme avec des mondes, avec amusement, curiosité... et cruauté.
La neige continue à tomber. La danse et le chant résonnent avec la neige, et font comme une spirale dans la nuit et le givre autour d'eux, spirale qui semble aussi jouer avec les gigognes.
Étienne : "Vie, reprends avec nous ce refrain.
- J'ai pas le cœur à chanter.
- Alors nous chanterons pour toi."
Carême donne des morceaux de viande au renard, qu'il mange avec délectation, il se cache comme si elle était la seule qu'il autorisait à regarder manger, il fixe les autres avec un air de défi, qui semble dire : "Viens me chercher."
Vincenzo pense que Vie a faim de ce regard malicieux. Une faim terrible.

Vie pousse la peau qui obstrue l'entrée de la yourte, il sort, dehors il pleut. Cela fait quatre jours qu'on marche, qu'il regarde le dos d'Étienne, il est tout près de lui et il n'ose pas encore.

Retour à la yourte. Alors que Vie s'apprête à s'endormir, Carême lui murmure : "Je sais bien que ce que tu veux faire, c'est le manger, comme ce que tu m'as raconté, l'histoire du poisson de vase que tu avais cuisiné quand tu étais enfant, et tu as jamais retrouvé cette saveur, alors tu crois qu'en mangeant le renard tu vas la retrouver... Tu te rends compte du sacrifice que je fais en te le promettant, du sacrifice que ça représente ? Compte tenu de l'importance et du pouvoir de cet animal, toi tu veux juste le manger...
- Oui, mais toi tu ne l'aimes pas comme je l'aime, comme je l'aimerais.
- Tu as raison, tu ne l'aimes pas comme moi je l'aime. Maintenant il est temps de dormir et de rêver."

Étienne : "Allez, Vitello, prête-le moi juste un instant, je te le rendrai après !
- Tu ne peux pas, c'est un champignon, tu ne peux pas le tenir dans tes mains !"
Ils sont dans le couloir d'un palais baroque, le parquet grince, Vitello tient un plat, un poisson de vase gigantesque, cuit et encore vivant, sa bouche bouge encore, Étienne lui tire le bras et le déstabilise.
" S'il te plaît, j'en ai besoin !
- T'en parles comme si c'était une chose... C'est un champignon !
- Je peux être insupportable, tu n'auras qu'une envie, c'est de me le donner !
- Je peux juste te le présenter...
- Oui mais rapidement !"
Étienne tire, le plat tombe, dans un grand fracas !
" T'as gagné, c'est ta faute, si tu avais accepté, on en serait pas là ! Maintenant, qu'est-ce que tu vas faire avec ce poisson ?
- Non... Pas... il était pour le Doge...
- Donne-moi ton champignon et je t'arrange l'affaire.
- Mais je donne pas un champignon..."
Son tablier de cuisinier glisse, sur son flanc il y a un champignon noir comme ceux qui poussent sur les bords des arbres.
Étienne fait semblant de ne pas voir, il s'approche du poisson : "Qu'attends-tu maintenant, ramasse ton désastre, vas sauver les meubles", ça le démange de donner des coups de pied dans le poisson pour l'emmerder plus encore.
Vitello ramasse fébrilement. Étienne veut lui arracher le champignon pendant ce temps.
Caméo débarque : "Que faites-vous ? Étienne, je pensais que tu aurais gardé ton calme, on devait profiter de ce grand repas pour détrousser le Doge, tu as tout flanqué par terre, à cause de cette pulsion..."
Étienne : "Mais non, cet imbécile ne veut pas me prêter le champignon, qui doit me servir pour arriver à mes fins."
Vitello : "Ce n'est pas un simple champignon !"
Caméo : "Tu lui a pris son hôte et tu en veux encore un !"
Étienne : "Mais c'est le même ! C'est le moment où je lui prends son hôte."
Caméo : "Ah, je ne me rendais pas compte... Ma mémoire me joue des tours."
Étienne tire sur le champignon, sans lui il n'a pas de raison d'être. Vitello sent bien que le champignon est attiré par Étienne, mais il retourne son tablier et le recouvre.

Camille et Étienne sont devant le feu.

Étienne saute d'une fenêtre du palais, poursuivi par les gardes. Il se reçoit sur la croûte de sel et s'enfuit vers le désert. C'est ainsi qu'il est devenu un proscrit.

Alors que Vitello se rappelle du poisson de vase qui se trémousse dans le couloir en vagissant comme un lamentin, cela lui rappelle celui d'une espèce plus ancienne et plus rustique qu'il avait récupéré dans la rivière de sel, dans un canal asséché.
Ce cri est démultiplié, le bord de la mer, des dizaines de baleines noires et des morceaux d'iceberg s'échouent les uns contre les autres, dans un fracas de fin du monde.
Carême essaye de retirer Étienne d'un morceau d'iceberg écroulé sur lui. Son corps est très chaud sous les vêtements, comme si le symbiote le faisait brûler. Elle l'a vu s'accroupir au pied d'un sérac, son bras rentrer totalement dans le bloc de glace pure extrêmement froid, le bloc s'était fissuré et lui était tombé dessus.
Carême est plus jeune, elle a la cinquantaine, elle est en panique, avec son couteau elle ouvre tant bien que mal le ventre d'une baleine échouée, qui pousse alors un long brame, Carême se se rend compte avec effroi qu'elle est encore vivante, elle pousse Étienne dans les entrailles de la baleine pour qu'il ne meurt pas de froid sous le choc.
"Tu perds trop de sang, tu mourras si tu gardes le renard..."
Étienne caresse cette boule de fourrure ; il parle à quelqu'un qui n'est pas là.
"Prête-le moi, Vitello, promis je te le rendrai."
Il parle aussi d'endroits dont Carême n'a pas souvenir. Elle lui caresse les cheveux.
" Tu m'as raconté cent fois le moment où tu l'as pris à Vitello, tu me l'as tellement raconté que j'ai l'impression que j'étais là.
- Mais non, je ne l'ai pas pris...
- Tu te rappelles qu'on avait volé le seigneur, on lui avait pris tout son argent. Je m'en rappelais pas au départ, car j'étais pas sûre de t'avoir déjà rencontré..."
Carême sort son collier en argent, une série de sculptures d'animaux en argent, un narval, un renne..., attachés par une longe. C'est précieux au nord, ça rappelle le ciel, la chaleur, les cycles. Étienne égrène les animaux du collier, il sent les rainures du métal creusé, sourit en la regardant sans la voir : "C'est les constellations de ma naissance.
- Donne-moi le renard, sinon Vie va le prendre, le cuisiner, le manger.
- Mais il m'a choisi, tu sais, ce n'est pas moi qui peux te le donner, c'est quelqu'un, j'ai compris ce que Vitello m'a dit, ça ne se donne pas..."
Carême lui arrache en pensant que le renard l'a choisi, ça lui enlève un bon morceau de peau sur l'épaule et du dos, Étienne pousse un cri faible et perd connaissance.
Alors que le renard se fixe sur elle dans une grande douleur, elle sent qu'elle peut perdre connaissance à son tour, elle vide son sac, trie toutes les petites choses qu'ils ont volées, pour pas perdre connaissance, elle ouvre les poupées gigognes, à l'intérieur elle voit Vincenzo, elle essaye de comprendre pourquoi lui aussi les poursuit : "Vincenzo, pourquoi tu nous poursuis à travers les mondes ? Est-ce que tu es mon père, le père que je fuis ?"
Elle se rappelle avoir fui ses parents violents, elle se rappelle leur avoir volé de la viande, et l'avoir partagée avec Étienne en croyant que c'est lui qui lui avait donné. La mémoire c'est comme ces poupées, des souvenirs à l'intérieur des souvenirs, elle a du mal à les démêler, elle essaye de la rassembler, comme ces objets épars, le sang d'Étienne, les entrailles de la baleine, les éclats de glace. Le renard fait le lien entre les mondes, elle apprivoise le renard qui traverse les mondes, passeur de mémoire, passeur de mondes, passeur d'identité. Si quelqu'un venait à le cuire et le manger, cela fairait cuire la réalité. Elle essaye de le comprendre : "Est ce que c'est mon père, est-ce que c'est ma mémoire qui me joue des tours ?" et elle perd connaissance.

On a marché plusieurs jours, la pluie n'en finit pas ; le boursouflé ne la supporte plus, il a beau serrer son imper, fermer son chapeau et le nouer sous son menton, ça dégouline, ça fait froid, mais il reste les yeux fixés sur le dos d'Étienne. Camille lui jette des regards de temps en temps. Étienne fait mine de ne pas le reconnaître ; la pluie trempé le dos de sa chemise, le boursouflé voit la boule se mouvoir, émettre un panache comme s'il faisait s'évaporer la pluie. Le boursouflé a failli le toucher plusieurs fois, il a senti sa chaleur, mais il a pas osé, c'est pas juste, avec lui c'était juste un champignon, alors qu'avec Étienne, ça vit, ça produit de la chaleur, ça lui fait mal, il est jaloux.
Ils marchent à travers la forêt. Camille traîne un gros sac. Il a compris qu'ils n'allaient pas à rift mais qu'ils le fuyaient. Il sort du sac une grosse coupe en or avec des pierreries. Il dit au boursouflé : "C'est bizarre, je pensais avoir rencontré Étienne y'a pas si longtemps, et maintenant j'ai l'impression que je le suis depuis un moment, que j'ai volé l'or de Rift avec lui... Le boursouflé, prends ma part et laisse-nous."
Étienne : "Parle pas au boursouflé."
Le boursouflé : "Je veux pas de ta part, je veux faire le chemin avec vous, jusqu'à Compostelle."
Derrière, une silhouette les suit de loin. Vincenzo ?
Camille : "Étienne, j'ai peur, c'est peut-être mes parents qui me recherchent pour me pendre, me tuer, me punir d'une bêtise que j'aurais faite."
Étienne : "Tes parents ne traîneraient pas sur cette route. Tu es encore un enfant peureux, Camille."
Camille : "Ben, ils traîneraient pas... Si, s'ils me recherchent."
Le boursouflé : "Ils t'ont déjà oublié. On oublie vite, même les enfants."
Camille : "Moi, Étienne, je t'oublierai pas."
Étienne : "Tout le monde oublie tout le monde. Les seules choses qui se souviennent ne sont pas les habitants naturels de cette foret."
Camille : "Mais non Étienne, on va aller à Compostelle, il y a la grande plage avec tous les coquillages, on va se baigner tous les deux, on sera lavés, consolés, nos mémoires arrêteront de pourrir..."
Étienne : "On ne va pas à Compostelle, tu le sais bien. Hein, le boursouflé, tu sais où on va, dis-lui où on va !"
Le boursouflé : "On monte au nord."
Étienne : "Tu connais cette route."
Le boursouflé : "C'est pour ça qu'il me tolère, je la connais, cette route. Mais vous savez quoi, je bouge plus, la route vous la trouverez tous seuls, sauf si tu me promets de me donner le champignon quand on sera arrivés."
Étienne : "Pfff, je te tolère parce que la route est à tout le monde. Mais veux-tu vraiment qu'on se perde dans la forêt ? Alors, tu ne verras plus le champignon..."
Le boursouflé : "Non, non, je vais vous suivre !"
Étienne : "Mais tu ne connais pas la route. Celui qui connait la route s'appelle Vincenzo et il ne te ressemble pas du tout."
Camille : "Peut-être qu'il faut qu'on le recherche ? Que sais-tu sur lui ? C'est un chasseur ?"
Le boursouflé : "Un aventurier."
Étienne : "Moi, tout ce que je sais, c'est qu'il connaît la route qu'on doit prendre."
Camille : "Allez Vitello, on te tolère, dis-nous comment trouver Vincenzo."

La route continue, le boursouflé montre le chemin, Étienne se laisse guider par son instinct, par son symbiote, Camille masque leurs traces pour les dérober à la traque de la milice.

Camille : "Hâtons le pas, parce qu'on est d'accord, le seigneur de la ville de Rift, tu l'as pas juste volé, tu l'as tué."
Étienne : "Tais-toi Camille." La boule dans son dos s'agite comme si elle était en colère. Étienne a l'air mal.
Le boursouflé : "Tu l'as tué ?"
Étienne : "Camille, porte ton sac, et toi le boursouflé, ferme ta gueule, arrête de me faire la morale."
Camille : "Me gronde pas..."
Étienne : "Je te gronde pas tant que tu feras ce que je te dirai."
Camille a une larme d'enfant triste et en colère.
Étienne : "Tu n'es plus un enfant."
Camille : "Pourtant, j'aurais aimé le rester."
Ils reprennent la route.
Chaque pas sur le chemin vers le nord rapproche le boursouflé de sa jeunesse. Il rajeunit à chaque pas.

Étienne a traîné son fardeau sur un long chemin, ça a laissé derrière lui une traînée rouge, puis rose, puis juste un sillon dans le sel de la lagune, jusqu'à une cabane aménagée dans un bateau échoué. Il a tiré le corps à l'intérieur, déshabillé la personne, regardé partout, palpé jusqu'à trouver ce qu'il cherchait, une bosse sur le côté de la cuisse, il a ouvert la cuisse avec un couteau, il en a tiré une bille noire, il la regarde un instant avant de l'approcher de la base de sa nuque, et à ce moment-là le symbiote s'ouvre et dévore la petite bille. Étienne commence à prendre une espèce de toile et à emballer le corps à l'intérieur. Caméo rentre alors dans la cabane.
Étienne : "Tu m'as fais peur !"
Caméo est décoiffé, ses habits de satin sont défraîchis, ses lèvres couvertes de sel.
Caméo : "Vite, les spadassins sont à nos trousses, j'ai tué deux chevaux sous moi pour arriver jusqu'à toi. Je sais pas ou est passé Vitello..."
Vitelloe : "Je suis là !". Il rentre en faisant claquer la porte contre le mur crépi de sel.
A travers la porte, on voit le désert craquelé. On voit des fossiles, des fossiles de poissons de vase, une espèce disparue, celle du poisson que Vitello avait cuisiné dans son enfance.
Vitello : "T'aurais dû m'expliquer, t'as ruiné ma respiration !"
Étienne : "T'avais qu'à me le donner comme je te l'ai demandé ! Tu vois bien qu'il ne t'aime plus ! Arrête de traîner dans mes pattes."
Caméo : "Dis voir Vitello, depuis combien de temps tu laisses pousser ce champi dans tes chair juste dans l'espoir de le manger ? T'as sacrifié combien d'années à cette quête ?
Vitello : "Tout ce que j'ai mangé, je lui ai donné, un jour il me le donnera en retour."
Étienne : "Il ne veut plus de toi, il est parti et tu le sais bien."
Vitello : "C'est faux, tu me l'as volé, t'as pris ma réputation, t'as pris tout ce que j'avais."
Caméo retire les bagues du Doge, chacune permettrait d'acheter une ville.
Caméo : "Tiens prends, et vas t-en refaire une vie."
Étienne : "Prends, tu as de quoi aller en Sicile acheter un élevage de bufflonnes, faire les choses comme tu les entends."
Vitello pleure à gros bouillons. Étienne le gifle, il le regarde dans les yeux. C'est peut etre pas Étienne qui l'a giflé.
Étienne : "Tu devrais prendre la chance qu'on te donne au moment où on te la donne ; ou alors rends-toi utile, aide moi à emballer celui-ci !"
Vitello : "C'est pas juste !"
Étienne : "C'est moche la vie, maintenant emballe-le."
Vitello obéit en reniflant, de longs filets de morve se déposent sur la bâche. Caméo propose à Étienne de rester surveiller, et il propose à Vitello de traîner le corps avec lui pour l'enterrer dans le sel.
Étienne : "L'enterrer, pourquoi l'enterrer ? On va lui donner le trône qu'il mérite !"
il ouvre une porte et dévoile des toilettes de faïence dans un état épouvantable. Voilà, Vitello, aide moi à le mettre sur son trône, il siégera ici tant que le sel le conservera ! Il aurait dû être sur ce trône depuis bien longtemps ! Allez, aide-moi et après on refermera la porte, on laissera les spadassins jouer à cache-cache avec leur monarque encore quelques temps !
Et toi, Vitello, tu devrais me remercier de t'avoir laissé la vie et de te donner une partie du trésor. Caméo, tu as tout mis dans un sac ?"
Caméo : "Oui, c'est bon. Regarde, parmi ce qu'on a volé, cet objet..."
Il tient une poupée gigogne.
Étienne : "Maintenant on va tracer jusqu'à la forêt et intégrer un groupe de pèlerins qui part d'un village en bordure de forêt. Finalement, c'est ce que tu voulais, Caméo, on part à Compostelle. Vitello, qu'est ce que tu fais ?"
Vitello : "Je vous suis si vous m'autorisez."
Étienne : "La route appartient à tout le monde."

La grande salle du palais des Doges, salle de réception immense, plafonds couvert de dorures, avec des fresques de maîtres dans leurs creux, des fenêtres immenses en rosace du style gothique byzantin et ce plancher de marbre qui tremble parce que la lagune tremble sous le palais. C'est comme le tremblement de la réalité, de moins en moins stable.
Caméo et Vitello servent son plat, son grand-oeuvre, tout le monde est costumé, masques de loups, de docteurs de la peste, de belles. Les demoiselles ont ce masque sans ficelle qu'elles tiennent en en gardant la clé dans la bouche, ce qui les empêche de parler. La salle de banquet est dressée, une quantité de mets prodigieuse, le poisson de vase cuit vivant est le clou du spectacle. Au milieu de la salle, le Doge en habits dorés danse, les clavecins jouent une musique baroque de fin du monde, tous les rires... Étienne est proche, mais trop loin pour entendre Caméo murmurer à l'oreille de Vitello :
" Tu sais, je suis désolé en fait d'être attaché à Étienne et pas à toi. En vérité, je suis... Je ne sais pas à qui je suis attaché, à l'homme ou au horla. J'aurais voulu qu'il reste sur toi, c'aurait été plus simple, j'aurais préféré être à tes côtés.
- Petit fourbe ! Vous me l'avez volé, tous les deux ! Ne me prends pas pour un poisson de vase, j'ai de la barbe mais un peu de cervelle, je sais que vous me l'avez volé, tous les deux.
- J'en sais rien, c'est une pulsion, c'est pas moi qui réclame les choses, c'est les choses qui me réclament. Toi, t'as besoin de cuisiner, moi j'ai besoin de voler, tu dois respecter ça."
Caméo exécute une danse avec une courtisane, il l'embrasse sans plaisir, son visage est sans émotion, alors qu'elle se pâme d'amour, il lui arrache son collier et enlève ses bagues sans qu'elle remarque son manège.
Étienne est juste derrière le Doge, à la place de serviteur accordée aux cadets de famille mal en cours pour montrer l'ascendant des familles dominantes. Il découpe ses plats et les met dans son assiette. Arrive le poisson de vase devant le Doge...

Tremblement. Est-ce que c'est la lagune qui fait bouger le sol de marbre, ou est-ce la réalité qui se déplace ?
Le seigneur pique dans le plat avec sa broche, il est rougeaud, les nobles dansent pitoyablement, il croque dans le plat du boursouflé qu'on a empoisonné.
Le boursouflé regarde chacune de ses bouchées...
C'est la meilleure chose que le seigneur ait mangé de sa vie, il bâfre, c'est juste le seigneur de Rift, c'est juste trois grottes et des églises percées dans les falaises pour faire croire que c'est la civilisation, c'est juste un rustaud, il a lâché les couverts, il mange à pleines mains son chef-d’œuvre de saveurs, de fruits et d'épices...
Camille le tout petit serre la main du boursouflé, il comprend à peine ce qui se passe, il regarde le seigneur s'écrouler, rouge mort.
Étienne écarte la foule, il le prend dans ses bras, il l'emmène dans sa chambre convenablement avant de le dépouiller et d'humilier sa dépouille comme à son habitude.

Alors qu'il est en train de plonger le corps du seigneur dans les latrines, Camille le tire de là : "Étienne, dépêche-toi, les milices sont à nos trousses !"
Il a son gros sac d'or et de bijoux.
"Il faut fuir, retourner dans la forêt.
- Bien, allons-y."

Vie les regarde quitter la yourte avec le corps du Shaman et la viande grillée qu'il avait préparée avec tant d'incantations et de chants, avec tout son cœur pour qu'elle soit fondante, pour qu'elle ait le goût du renne vivant, ça s'effondre dans le feu avec les étincelles et les gens du village hurlent à leur tour, puis donnent des alertes dans une langue incompréhensible et Vie essaye de les suivre, il retrouve leurs traces dans la neige jusqu'à une yourte à l'écart du village et il entend la vieille Carême qui dit : "Vie, où est-ce qu'il est ?
- Mais je suis là !"
Il rentre dans la yourte en faisant voler la peau de bête qui secoue la neige à l'intérieur.

A ce moment-là, un homme vient de trouver ses traces dans la neige, avec ses chasseurs ; c'est Shaman Loup avec son grand masque, une tête de loup empaillée avec des coquillages à la place des yeux, sinistre, couvert de hardes noires, il a reconnu les empreintes de ses raquettes : "On les aura. Ils n'auront pas tué Shaman Renne impunément."
Shaman Loup et ses chasseurs se lancent sur la piste.
Vie s'emmitoufle dans son costume de paille et suit les chasseurs en tremblotant. Il suit les chasseurs qui le suivent.

Vie veut rattraper Étienne et Carême qui sont partis sans lui, il essaye de perdre Shaman Loup dans la neige et les rejoindre. S'il se fait tuer par des homme du village, ça va pas l'arranger. Plus il marche, plus son corps rajeunit, son corps devient svelte et endurant.

Étienne et Carême dans la yourte. Au fond de la yourte, il y a ce trou où les gens chient et on refait le feu par-dessus, Étienne a plongé le corps de Shaman Renne dedans la tête la première.
Carême est jeune, elle trente ans : "Partons, partons." C'est vraiment une belle femme, elle lui attrape les mains, l'embrasse sur la bouche : "Partons, Vie va les retenir, ça leur fera un os à ronger, peut-être il peut les retenir longtemps, des années et des années.
- Tu as raison, et peut-être qu'ils le retiendront aussi.
- Oui, il leur servira de bouc émissaire."
Carême sort les poupées gigognes. A travers elles, elle observe Vie qui court et le Shaman Loup à ses trousses : "Étienne, tu vois tout ce que je fais pour toi..." Elle embrasse la poupée gigogne de Vie : "Pardon Vie, on n'a pas le choix..."
Étienne tremble, il est en bras de chemise dans la neige sur le pas de la porte, il voit le costume de paille faire diversion, il s'en retourne, dédaigneux, comme s'il n'existait pas vraiment. Il commence à parler à sa bosse : "Nous somme prêts, allons-y", sa parole est indistincte, il s'est beaucoup affaibli ces derniers jours.

Cela fait quarante ans qu'Étienne et Carême fuient, qu'ils cherchent à échapper à Shaman Loup. Il y a eu les baleines, il y a eu quarante ans pour arriver à cette dernière yourte, où Vie les a enfin retrouvés, mais au bout de ces 40 ans ils sont tout proches du mur de glace.
Vie a voulu perdre les chasseurs, il s'est perdu, ils ont fini par se rendre compte qu'on tournait en rond dans le noir, le cœur de l'hiver, le soleil se levait pas et Shaman Loup a fini par mettre le grappin sur Vie et il a compris qu'il s'était moqué de lui et tout le temps qu'ils avaient marché, il avait rajeuni mais eux ils avaient beaucoup vieilli. Il l'ont mis dans une outre en peau et ils ont dit qu'il allait attendre là le temps que chacun d'entre meurt de vieillesse et il n'a pas vu la lumière pendant tout ce temps.

Si Étienne gâche tout, c'est pour se forcer à avancer. Tous ses meurtres, il ne les fait pas de gaîté de cœur, c'est presque un rituel, auquel il a pris part, un certain rituel, recommencer et recommencer pour avoir la force d'avancer, avoir de nouveaux poursuivants pour avoir la force d'aller plus loin. Il rassemble ses forces pour aller au bout de sa quête, il a presque tout perdu, ses souvenirs visuels, anecdotes, mémoire à quelques semaine, il garde du symbiote des sensations et des choses, des goûts de gibier, de poisson de vase, de vieux champignon, et des goûts plus étranges comme le goût de la chaise humaine, des sensations diffuses, comme mortes, qu'il n'arrive à relier à rien.

Étienne et Carême ont rassemblé leurs forces ; le corps d'Étienne part en chaleur ; il constate les effets du symbiote sur le corps de Carême qui a vieilli, pendant qu'ils marchaient il a compris un peu tout ce que l'enfant a vécu avec lui, sensation diffuse de temps qui passe plus vite, chaque pas inscrit une nouvelle ride sur sa figure, chaque croisement de route imprime une sensation plus douloureuse, c 'est comme s'il voyait le cartilage se flétrir sur les os de sa tête, le petit renard a pris une proportion terrible et bouge de façon juvénile sur le corps de Carême, elle trébuche...
Ils croisent un géant rouge à barbe blanche, d'autres choses, ils entendent des bruits mécaniques qui n'évoquent rien de ce qu'ils ont croisé, les étoiles s'éteignent les unes après les autres, il n'en reste plus qu'une en face, vers le mur de glace. Une rafale emporte le collier de Carême, elle n'a pas le temps de l'en empêcher, elle se rapproche d'Étienne, elle a les cils pleins de givre, les lèvres bleues : "Tire-moi, amène-moi jusqu'au mur de glace, on est tout proches...
- Ne t'inquiète pas, nous arrivons. Prends ça, ça te fera du bien."
Il met dans ses mains la dernière et la plus petite des poupées gigognes, la seule qu'ils n'ont pas égarée en route.
Plus de forêt, juste la neige, immense étendue blanche, désert, gros fossiles couverts de neige, fossiles gigantesques de poissons de vase, grands craquement en dessous d'eux, comme si une banquise se fissurait progressivement.
Carême : "Tu vois, on s'est déjà séparés du monde. Mais est ce qu'on était pas séparés de lui depuis le début, depuis que t'as empoisonné le Doge ?"

Au pied du mur de glace, point noir dans le blanc, un trépied en bois auquel est pendu une outre, en sort un cri de nourrisson. Ils s'approchent, le mur est gigantesque, ils arrivent dans son ombre, le mur cache la dernière étoile, tout est presque noir, juste une légère flammèche scintille comme un fanal, un feu pour signaler le présence du trépied, une lucarne de la taille d'une main, par laquelle la lumière de l'étoile tombe sur le trépied tout en laissant l'outre dans le noir total.
Carême étreint l'outre avec ses doigts osseux et entend les gémissements du bébé à l'intérieur. La paille fait son nid entre la peau de l'outre et la sienne. Étienne ressent une répulsion pour cette outre, qui la renvoie à sa culpabilité. Carême pleure, ses larmes gèlent et lui fendent la peau. "Vie, pardonne-nous..."
Sur son dos, le renard a rajeuni, il est aveugle et sans poils, il couine. Le bébé tend ses petits poings vers le renard avec une avidité joyeuse.

On est au bout du chemin. La douleur d'Étienne le rappelle à sa condition de véhicule. Vie s'approche de son ancien hôte. Enfin ! Si Vie mange le renard, il va manger la réalité. Lui, un petit bébé, comment pourrait-il faire autant de mal ? Étienne n'aurait aucun scrupule, même face à un enfant. Vie a passé des années enfermé à cause d'eux, mais ça en valait la peine !
Carême : "Renard, je t'ai apprivoisé pour que tu traverse les mondes, la mémoire et l'identité avec moi, je ne peux pas laisser faire ça. Vie, je suis désolé, je t'ai fait une promesse, tu es la seule personne que j'ai vraiment aimée, mais je suis condamnée à te trahir..."
Étienne arrache le renard du dos de Carême comme elle le lui avait arraché lorsqu'il n'était plus capable de le porter, il la regarde avec un sourire, un pincement de lèvre, comme pour dire : "Désolé" sans vraiment l'être, la bête dans ses mains devient agressive, elle ouvre sa toute petite gueule de bébé renard, un grondement comme le cri des baleines qui s'écroulent ou les pilotis de Venise qui tremblent le soir où le Doge a été assassiné, il ouvre l'outre et jette le renard à l'intérieur avant de la fermer !
Dans l'outre, d'abord un cri de joie, puis un cri de douleur, puis un hurlement de bête sauvage dans une gorge déchirée !

L'outre bouge encore, du sang en suinte jusque dans la neige. Étienne place l'outre juste devant la lucarne où la lumière frappe la banquise, il regarde le sang par terre, et s'effondre, au bout de ses forces. Son corps creuse un trou dans la neige à force de chaleur jusqu'à ce qu'il ne lui reste plus une once d'énergie.

Sur la plage de Compostelle.
Frémissement des vagues, sac et ressac, rouleaux qui s'écrasent contre le sable. Devant eux, l'océan à perte de vue comme si le monde s'arrêtait, d'ailleurs le monde s'écroule derrière dans de grandes cataractes, ou se brise contre le mur au loin qui bouche l'horizon. Des milliers de coquillages s'écrasent sur la plage, et ces fossiles de poissons de vase...
Le soleil leur chauffe la peau. Camille est penché sur le corps d'Étienne. Il le traîne, le plonge dans l'eau salée.
Il sait que le boursouflé est derrière lui, mais il n'ose pas le regarder.
On entend les mouettes, il sont arrivés au bord du monde, le sang d'Étienne se mêle à l'eau...
" On y arrive, je te l'avais promis ce bain de mer ! On perdra plus jamais nos souvenirs !"
Les habits de Camille sont trempés, c'est comme un baptême.

Il a une dernière vision.

Il se retourne.

Il est dans un canal asséché de Venise couvert d'une croûte de sel.

Il voit un autre enfant.

C'est Vitello.

Et il voit un poisson de vase

le dévorer.


Feuilles de personnage :

Étienne

Je veux explorer la mémoire du symbiote (Venise : Symbiote)
La douleur me rappelle ma condition de véhicule (Venise : Chair)
Empoisonner le doge demande des moyens surnaturels que je ne possède pas (Venise : Sorcellerie)
J’ai placé sur son trône le monarque de sel (Venise : Venise)
Si je gâche tout, c’est pour me forcer à avancer (Nord : Pulsions)
Je rassemble mes dernières forces pour aller au bout de ma quête (Nord : Pulsions)

Camille / Caméo / Carême

Je veux qu'Étienne m'aide à travers le désert de forêt jusqu'à Compostelle (Venise : Venise, sous-symbole : désert de sel)
Étienne est un proscrit mais je dénoncerai car il me protège (Compostelle : Pulsions, sous-symbole : justice)
J'ai apprivoisé le renard, qui traverse les mondes, la mémoire et l'identité (Au Nord : Nature)
Les milices sont à nos trousses (Compostelle : Brigands, sous-symbole : milices)
Quarante ans à fuir les hommes et à fuir le réel (Au Nord : Société)

Le boursouflé / Vitello / Vie

Je veux retrouver Étienne pour qu'il me rende mon hôte (Venise : Mémoire)
Je convaincrai le horla d'Étienne de me revenir (Compostelle : Horla)
Chaque pas vers le Nord me rapproche de ma jeunesse (Compostelle : Nature)
J'ai passé des années enfermé à cause d'eux (Au Nord : Ténèbres)
non rédigée (Au Nord : Ténèbres)
non rédigée (Au Nord : Troupeaux)

Vincenzo

(barré) Je veux ramener le horla à Vitello (Au Nord : Nature)
Je pense que Vie a faim de ce renard malicieux (Au Nord : Chair)


Retour des joueur.se.s :

Joueur de Vincenzo :

J'étais très fatigué de ma semaine. Quand le hangout a lâché et qu'on a mis dix minutes pour redémarrer un nouveau hangout, ça m'a tué, et ensuite je n'ai plus été en état de jouer.
A la lecture des trois théâtres, j'étais serein, je voyais quoi jouer. Le principe de raconter les mêmes histoires dans différents endroits, ça m'allait bien, mais j'ai pas réussi à entrefiler mon personnage, j'avais l'impression de courir après la fiction, sans pouvoir la rattraper, j'avais toujours mes idées un temps trop tard.
Ceci dit, j'ai beaucoup aimé vous suivre en spectateur sur la fin, j'ai surtout regretté d'avoir eu ce gros coup de fatigue.

J'ai eu la sensation d'observer des musiciens qui jouent chacun dans les creux des autres.

Joueuse du Boursouflé / Vitello / Vie :

Hop, un complément de débrief à froid, qui fait peut-être redondance avec ce que j'ai pu dire à chaud (mais je ne me souviens pas de ce que j'ai dit). Je te laisse trier :

- J'ai vraiment beaucoup aimé cette partie parce que c'était une sensation assez inédite pour moi, proche d'un Dragonfly Motel. Mais à part ce jeu-là, ça ne ressemblait à rien d'autre de ce que j'ai pu jouer en jdr. Ça continue de m'ouvrir des portes dans ce qu'il est possible de jouer de ce côté-là, et j'aime vraiment beaucoup cette perspective.

- L'incarnation des personnages était ténue et compliquée pour moi, parce que je n'avais pas d'archétype prédéfini en tête, du coup je jouais plus des situations qu'un personnage. Mais la concentration que demande le mindfuck pour maintenir l'harmonie et la compréhension entre les joueurs a quand même produit pour moi un flow quasiment hypnotique (par la répétition des motifs, des variations de scènes, de personnages, etc.). Bref, une immersion effective et puissante, mais pas dans le personnage.

- C'était une première pour "goûter" mais ça ouvre un territoire assez vaste à explorer qui me fait énormément envie : jouer la juxtaposition de réalités, jouer des passages entre des mondes (rêves gigognes, récits dans des récits, etc.), jouer des scènes "potentielles" plus que "réelles". J'ai très envie de poursuivre l'exploration des possibles et de voir si on peut intensifier le plaisir avec un peu d'entraînement.

Quelques éléments à garder en tête pour la prochaine (j'espère qu'on jouera une prochaine) soit des choses qui ont bien marché, soit des choses qu'on pourrait encore améliorer en tant que joueurs:

- C'est probablement mieux de se mettre d'accord avant sur la façon dont les personnages sont déclinés selon les théâtres : projections d'eux-mêmes, échos d'archétypes, personnages radicalement différents, mêmes personnages, etc.
Rien que se dire qu'on prévoit trois noms différents pour chacun des personnages, ou au contraire qu'on prévoit de garder le même prénom pour nos personnages, ça peut aider à harmoniser la table sur le type de mindfuck.

- Prévoir un (ou des) archétype(s) de personnage : un (ou plusieurs si on décline selon les théâtres) costumes basiques et faciles à endosser, histoire de ne pas avoir à tâtonner de ce côté-là, et garder l'attention et l'inconfort des joueurs centrés sur les switchs, les ruptures de narration.

- Placer des mots-clefs au départ : quand on présente un théâtre, placer un maximum de mots-clefs très marqués, histoire que la simple reprise d'un des mots soit un marqueur de switch. Pour les autres joueurs, ça veut dire prendre au vol les mots-clefs sur la première présentation pour pouvoir les replacer ensuite.

- Prendre le temps : prendre le temps de décrire beaucoup pour être sûr que tout le monde comprend, prendre le temps de récupérer tout le monde avant de re-switcher, prendre le temps de jouer le personnage en incarnation avant de vouloir faire avancer la narration.

- jouer simple : avoir un objectif basique et convergent pour chaque personnage (il veut un truc, moi aussi), des liens très forts aussi entre les pj (quitte à trouver plus tard pourquoi/comment ils en sont arrivés là), des situations claires et basiques (vol, meurtre, fuite, rivalité), histoire que ces éléments-là soit plus faciles à décliner d'un monde à l'autre, et servent d'appui pour jouer les variations de scènes.

- Jouer récurrent : reprendre un maximum de motifs en permanence (ici les poissons, le renard, la pluie, la neige, la nourriture, les seigneurs, les poursuivants, etc.) même en simple décor sans enjeu, reprendre les problématiques des personnages/des situations, rejouer des scènes entières... ça aide à produire l'effet un peu hypnotique et une certaine cohérence même quand la logique est absente.

- Accepter tout ce qui passe : les incompréhensions ont été très rapidement harmonisées parce que le joueur/la joueuse qui était décalé/e se remettait rapidement au diapason des autres, sans chercher à défendre sa vision des scènes. Ce qui a permis de garder un chouette rythme, lent mais constant, où les accrocs étaient rapidement réparés.

Voilà. C'était difficile, mais il y a quelques mois encore je n'aurais pas cru que c'était jouable, alors je suis très contente qu'on l'ait fait, que ça ait plutôt bien marché, et qu'en plus ça m'ait procuré un vrai plaisir. Merci à toi !

(Et je vais proposer aux deux autres joueurs qu'on retente IRL pour que le joueur de Vincenzo ne reste pas sur un abandon.)


Retour personnel :

Le sentiment que m'a donné cette partie, c'est qu'on a tenté l'ascension de l'Everest par la face nord et sans oxygène, qu'on est arrivé au sommet mais qu'on n'est pas ressorti indemnes. Je suis absolument satisfait de l'aventure jouée, on avait dit qu'on jouerait mindfuck, on peut dire que ça le fut, et l'aventure va me rester en tête longtemps. En revanche, on a été loin de jouer en confort. On a perdu un camarade sur le chemin, et on s'est tous pris quelques engelures. On s'était un peu préparés à l'expédition, mais force est de constater qu'on s'était assez préparés pour arriver à planter un drapeau au sommet, on était insuffisamment préparés pour y parvenir sans dommage.

Le joueur de Vincenzo a déclaré forfait au bout d'une heure et demie de jeu, d'abord il a suivi le groupe sans plus rien dire, un phénomène que j'ai vu plusieurs fois avec d'autres joueurs, le personage fantôme, avec des objectifs et des identités toujours mouvants, le joueur dans l'incapacité ou l'involonté de rattrapper les perches qu'on lui tendait, et je parle d'une personne dont je tiens le jeu, notamment quand il est esthétique, en grande estime. Puis il a demandé qu'on le laisse là et qu'on continue sans lui. Certes, la fatigue explique ça, et le fait de jouer en hangout aussi, mais force est de constater que la difficulté de l'expédition était aussi en cause, notamment l'incompréhension entre nous deux : j'étais parti dans l'idée de jouer avec un enchaînement cohérent des situations, quitte à faire des voyages dans le temps (flashbacks et flashforwards dynamiques), alors que lui voyait le passage d'un théâtre vers l'autre comme une déclinaisons d'uchronies intimes, autrement dit qu'on racontait en fait des aventures différentes dans chaque théâtre, trois "et si ?" possibles. C'était deux visions difficilement conciliables, et d'ailleurs si on a réussi à les concilier avec les deux personnes restantes, ce fut par une série de compromis de chaque bord, à la fois sur nos propositions et sur la cohérence. Y'a un moment, j'ai dit : "De toute façon, on n'arrivera pas à rendre tout cohérent".
L'autre incompréhension, ce fut entre moi, qui partait sur un jeu mindfuck mais avec un maintien de la causalité, et le joueur d'Étienne et la joueuse de Vitello qui à mon sens sont partis sur un jeu à la Dragonfly Motel, c'est à dire sans s'attacher excessivement à la causalité. Et en effet, on a presque fait un Dragonfly Motel avec des phrases et des conflits.
L'autre similitude avec Dragonfly Motel, c'est qu'on s'est assez limité sur le méta, on a joué sur l'harmonie. Et il y eut de sacrées réussites dans ce domaine ! Le joueur d'Étienne et la joueuse de Vitello m'ont étonné car ils sont très vite parti dans un jeu typique du théâtre d'improvisation : en faisant des propositions roleplay qui impliquaient un gros twist sur le perso d'en face, en sollicitant beaucoup la capacité du joueur d'en face à dire oui. Quand la joueuse de Vitello énonce que c'est Carême qui a récupéré le symbiote, j'ai été étonné, et j'ai dit oui car le refus de jeu aurait été inélégant et ça m'a emmené vers des choses complètement inattendues. Quand le joueur d'Étienne démarre une scène en disant à Vitello : "Allez, Vitello, prête-le moi juste un instant, je te le rendrai après !", charge à la joueuse de Vitello d'embrayer là-dessus, c'était un sacré numéro d'acrobatie.
Autre acrobatie qui a sacrément sollicité notre capacité à s'harmoniser en tant que groupe, c'était mon concept de personnage à la base ; j'avais prévu dès le départ que j'aurais un âge, une apparence et un genre différent dans chaque théâtre (finalement, je suis allé encore plus loin, puisqu'on s'est aperçu que le temps passait différemment dans le théâtre "Au Nord", et donc Carême y est passé par trois âges différents), mais j'ai omis de l'annoncer aux autres à l'avance, et ça a dû les déstabiliser. Ceci dit, la balle fut reprise au bond, puisque la joueuse de Vitello a largement intégré l'idée d'avoir trois apparences, trois noms et trois âges différents pour chaque théâtre, de même que le symbiote changeait aussi d'apparence et d'âge.
On a aussi éprouvé notre capacité à user du langage symbolique et recycler le langage symbolique des autres joueurs. Le fait que Compostelle soit représenté par la pluie battante, ça vient du joueur d'Étienne, gimmick qu'on a tous repris. Et y'a des tonnes de langage symbolique commun dans toute la partie, ça partait très loin dans les analogies.
On a presque joué une harmonie aveugle. J'entends par là que nos visions de l'aventure étaient sûrement très différentes, divergentes, mais qu'on a continué à jouer malgré ça, s'arrangeant avec nos solipsismes la plupart du temps, faisant un pas de côté pour nous remettre dans la tonalité du groupe quand c'était nécessaire. Y'a eu par exemple, ce moment où je joue Caméo et je rejoins Vitello et Étienne qui se disputent le champignon, et en fait ça heurte la chronologie que je m'étais faite dans ma tête, parce que je pensais avoir fait connaissance avec Étienne qu'après qu'il ait eu le symbiote.

Alors, je suppose qu'on est sans regrets. On est plutôt des joueurs performeurs, on était tous là pour jouer esthétique, on connaissait les risques et on les a pris sans sourciller. Mais à la prochaine expédition, peut-être qu'on se préparera davantage, qu'on se coordonnera davantage. En fait, on aura besoin de déterminer si on se ramène plutôt vers une base solide, avec des segments de causalité inviolables, ou si on contraire on s'oriente sans complexe vers un Dragonfly Motel avec des phrases et des conflits, en lâchant délibérément les amarres de la causalité. Alors peut-être qu'on atteindra à nouveau le sommet sans lâcher personne en route.


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
Ma page Tipee.

Hors ligne

#160 22 Mar 2016 11:38

Thomas Munier
un jeu par mois, tranquille
Inscription : 05 Feb 2008

Re : [Inflorenza : Héros, salauds et martyrs à Millevaux] Comptes-rendus

LE CALENDRIER LAGUNAIRE

Quand Aimé Césaire écrit un scénario de jeu de rôle

Jeu : Inflorenza, héros, salauds et martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux

Joué le 20/08/15 chez moi.
Personnage : le chercheur de graine

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crédits : bbc world service, dsevilla, lil'stu, RubioBuitrago, smila4, thomas hawk licence creative commons cc-by-nc, costica acsinte domaine public


Théâtre :

Sur son blog Playing D&D with Pornstars, Zack Smith prétend qu'un poème peut suffire pour décrire un setting de jeu de rôle, et pour illustrer sa théorie, il reproduit le poème Le Calendrier Lagunaire d'Aimé Césaire, qui à son sens se suffit à lui-même pour d'écrire un setting d'horreur lovecraftienne aux Antilles.

J'ai décidé de le prendre au mot, et nous avons donc joué Le Calendrier Lagunaire. Nous avons lu le poème avec le joueur, lu les définitions des termes les plus techniques, sélectionné 12 mots du poème (6 par le joueur, 6 par moi) pour constituer un tableau des symboles, et débattu très courtement sur la nature du setting. Concrètement, nous avons établi que cela se passait dans des Antilles fantasmées à la sauce Millevaux, qu'on pouvait citer des termes locaux (Port-au-Prince...), et que tout anachronisme ou incohérence était accepté, attendu que nous n'avions aucun public pour nous lancer des cailloux en cas d'erreur, et que le complexe post-apocalyptique / emprise / égrégore de Millevaux autorise d'emblée tous les anachronismes et les incohérences. Sans apporter plus de détail, nous avons joué. Un petit peu plus tard en jeu, j'ai quand même ajouté un détail que vous devez savoir avant de lire : nous avons établi que tous les habitants du setting étaient noirs par défaut. Il y avait cependant des blancs, mais on le stipulerait le cas échéant.
Et qu'ajouter de plus sinon que Zack Smith avait tellement raison, et que ce fut une des parties les plus étranges et les plus exotiques qu'il m'ait été donné de jouer.

Tableau des symboles
1 Culte
2 Varech
3 Pic
4 Égarés
5 Soif
6 Appartement
7 Embâcle [définition : amas de détritus végétaux, minéraux ou animaux sur le fleuve]
8 Magique
9 Abyssale
10 Blessure
11 Idée
12 Enfer


Le Personnage :

Le chercheur de graine.
Objectif : Ramener une plante qui produit des graines magiques. Elle pousse sous la terre.
Symboles : Culte, Enfer


L'histoire :

Je suis aspirant dans un Culte des Enfers. L'Enfer souterrain, pas l'Enfer de feu. Le Culte vénère aussi le végétal et la germination. Je dois subir mon épreuve initiatique. C'est mon père qui m'a fait entrer dans le Culte. Il m'a dit d'aller voir les anciens du village. Les anciens m'ont dit qu'il fallait emprunter une entrée vers les Enfers qui est à flanc du volcan, et que là-bas on me donnerait mon épreuve.
Je suis allé sur le flanc de basalte en couches, j'ai trouvé un tunnel qui descendait à la verticale. Il y avait des racines qui m'ont servi d'échelle pour arriver jusqu'en bas. Je suis entré dans une caverne. L'air était rare.
Au-dessus de ma tête, il y avait comme une rumeur, celle de l'océan. Alors j'ai compris que j'étais sous les abysses. C'était le premier prodige.
Dans la caverne il y avait une très vieille femme entourée de dizaines de bougies qui brillaient avec l'énergie du désespoir. Elle m'a dit : "Bonjour, je vais t'expliquer ta quête".
La vieille femme m'a dit que je devais trouver une graine quelque part sous la terre. Cette graine, il fallait la ramener au village et la semer, alors toutes les autres graines qui auront été semées pourront germer. C'est la mère de toutes les graines, qui fait germer toutes les autres. Si je ne ramène pas la graine, alors plus rien ne poussera la saison prochaine. Elle me dit que j'ai deux solutions pour trouver la graine. Je peux la trouver quelque part sous la terre, mais aussi je dois savoir qu'il y en a une dans mon cœur. Évidemment, je préfère éviter de me sacrifier, alors je tente la recherche de la graine souterraine. La vieille me dit que pour commencer, je peux aller prendre conseil auprès des anciens, ou je peux aller voir les blancs car ils connaissent beaucoup de choses, mais je préfère m'engager dans le tunnel qui est derrière elle. Je prends une de ces bougies pour m'éclairer. Je m'éloigne dans la galerie, alors la vieille éclate d'un rire sardonique, et souffle toutes ces bougies. Je ne la vois plus.

J'erre un moment dans le royaume souterrain, la galerie n'arrête pas de faire des embranchements, et je me perds. Il fait très chaud, ce qui me paraît anormal vu la profondeur. J'ai très soif. J'entends la rumeur de l'océan au-dessus de ma tête, j'hésite à emprunter certaines galeries qui remontent pour chercher une fuite d'eau, mais finalement je préfère continuer tout droit.

J'arrive dans une caverne éclairée par des bougies. Je suis revenu à mon point de départ. La vieille me dit : "Bonjour, je vais t'expliquer ta quête". Par jeu, je lui répète les mêmes choses que la première fois, et elle me répond les mêmes choses. Quand vient le moment de prendre congé d'elle, je prends une bougie, mais cette fois je remonte à la surface.

Quand je remonte sur le flanc du volcan, celui-ci est entré dans une calme éruption. Une coulée de lave descend paisiblement. Je vois des blancs, ceux que nous appelons les Colons, marcher dans la jungle. Ils sont une dizaine, ils sont minces et grands, ils font quatre mètres de haut. Ils ont la peau très pâle, comme maladives, ils sont vêtus d'uniformes beiges et portent des chapeaux coloniaux très pointus qui accentuent encore leur taille. J'avais entendu parler des Colons, et je savaient qu'ils utilisaient une technologie mystérieuse. Les blancs tiennent des fusils presque aussi longs qu'eux. A leurs côtés, il y a de grands robots marcheurs, des robots en bois de dix mètres de haut avec de longues pattes grêles, surmontés de paniers ombragés qui portent des femmes blanches, toutes aussi grandes que les hommes.

Je vois que les blancs se dirigent vers mon village. Je vais à leur rencontrer. Un blanc m'arrête, il a une moustache blonde et quand il me parle je constate qu'il a des dents de requins. Pointues et découpées en fractales de denticules. Je lui explique que j'ai besoin de leurs connaissances, je leur explique quelle graine je recherche. Le blanc dit que si on peut faire affaire, il nous laissera consulter ses cartes, et j'accepte.

Les blancs m'escortent jusqu'au village. Les marcheurs écrasent les arbres de la jungle sur leur passage, les blancs aussi sont si grands qu'ils sont obligé de dévaster la végétation à la machette pour avancer. Quand nous arrivons, les enfants accourent, étonnés par ce qu'ils voient. Les blancs s'installent comme en pays conquis. Un marcheur écrase même une hutte pour se garer. Je vais voir mon père, car j'ai peur de ne pas savoir lire les cartes. Je le trouve dans sa case. Il y a des poules suspendues à saigner, des bols de riz, de manioc. Ma mère est en train de moudre. Mon père m'explique qu'avant, c'était lui qui devais chercher la graine chaque été, la graine n'était jamais au même endroit, et que maintenant j'étais en âge pour qu'il me transmette sa tâche. Mais il veut bien m'aider pour cette fois, même s'il se méfie des blancs.

C'est le crépuscule. Les blancs nous disent de monter dans un des marcheurs. Du haut du marcheur, on nous lance deux cordes à noeuds et nous grimpons. En haut, c'est la demeure de la cheffe des Colons. Elle s'appelle Adamia. Elle est vêtue de blanc, avec une robe bouffante aux hanches et aux épaules. Elle porte un camé en sautoir autour du cou. Elle a des cheveux en chignon allongé sur les côtés. On voit parfaitement ses dents de requin. Elle a une ceinture de têtes réduites : les têtes des ancêtres d'autres villages, alors nous comprenons que cette femme a un grand pouvoir. Elle nous montre sa carte, qui est une sphère armillaire très complexe. Nous comprenons qu'elle représente non pas notre monde tel qu'il a été exploré, mais notre monde tel qu'il est réellement. Elle trempe une plume dans le sang contenu dans le crâne d'une tête réduite, et annote la carte avec la plume. Nous comprenons qu'elle met à jour l'étendue du territoire qu'elle a conquis. Elle nous laisse regarder la carte, et grâce au savoir de mon père, nous parvenons à voir trois points d'intérêts. Il y a un grand marais qui s'est développé dans une embâcle sur le fleuve, et au milieu de sa végétation, il y a des pépites d'or. Beaucoup d'or. Il y a un réseau de galeries dans la falaise sur la lagune, qui sera bientôt inondée par le mascaret, la brusque remontée du fleuve poussé par la marée. Et enfin, nous voyons où est la graine. Elle est juste dans la caverne où j'ai trouvé la vieille femme. Adamia nous demande si nous avons trouvé la graine. Mon père demande à s'entretenir une minute avec moi avant de répondre. Nous discutons et je propose de berner les blancs, qui semblent convoiter la graine. Je vais les conduire dans les galeries de la lagune, et ils seront noyés par le mascaret. A l'issue de la minute, je dis donc à Adamia que j'ai vu la graine dans les galeries lagunaires, et Adamia nous dit que les Colons m'accompagneront là-bas. Mais elle précise aussi qu'elle ne nous fait pas confiance, et qu'elle veut donc soumettre l'un d'entre eux à un rituel de la magie des blancs, pour tester notre sincérité. Je négocie avec mon père en aparté, et on décide que ce sera moi qui me prêterai au rituel. Adamia verse le sang noir que contient une tête réduite dans un creuset, y rajoute du soufre et le fait chauffer sur une flamme bleue. Elle utilise un couteau cérémoniel avec un manche en ivoire et une lame triangulaire. Manche et lame sont gravés de dessins représentant la création du monde. Elle m'entaille le poignet et s'entaille le sien, et nous versons nos deux sangs dans le creuset, puis elle me dit que nous allons chacun boire au creuset. Je bois en premier.
Je perds connaissance.

Je reprends mes esprits presque aussitôt, mais je comprends que je suis passé dans une autre réalité. Adamia et mon père ne sont plus là. Par la fenêtre, je ne vois plus un ciel de crépuscule, mais un ciel blanc, surnaturel.

Je descends du marcheur, et trouve le village désert. Je marche le long du volcan. Des tuniciers et des coraux ont poussé sur le basalte, comme si la nature était devenue folle.

Je vais sur le bord du fleuve. La marée commence à remonter à travers le fleuve, elle charrie sur le bord des centaines de squelettes d'oiseaux, et les oiseaux vivants s'acharnent sur ces ossements pour y dénicher un lambeau de chair ou un crabe. Je m'enfonce dans les galeries lagunaires. Derrière moi, la marée fluviale est remontée d'un cran, elle a remporté les squelettes d'oiseau et lèche les entrées des galeries. Dans les galeries, je trouve mon père, mais je comprends que ce n'est pas tout à fait mon père, il parle mais il est comme mort. Il m'explique que j'ai une dette envers lui. Chaque année, il a dû subir la quête de la graine, maintenant c'est mon tour, je dois le faire pour l'en décharger. Il s'assure que je ne vais pas me défiler. Je lui demande ce qu'il a fait quand j'ai perdu connaissance. Il dit qu'on est arrivé à ce moment précis. Et qu'il hésite. Il dit qu'Adamia a aussi bu le sang et qu'elle a aussi perdu connaissance. Il hésite entre fuir et tuer Adamia avec son couteau. Je lui dis de fuir, si Adamia est tuée, nous allons avoir des problèmes avec les blancs. Dans les galeries, il y a une autre graine. C'est un corail qui pousse en fractale, sans arrêt, à vue d'oeil. Ses extrémités sont très effilées, et mon père me dit d'y prendre garde car à la moindre piqure je serai empoisonné. C'est une autre graine aussi très puissante, c'est la graine de l'amour, celui qui s'y pique tombe irrémédiablement et désespérément amoureux d'une autre personne. Si on détruit la graine, alors il n'y aura plus d'amour sur cette terre et ce serait aussi une catastrophe. Je veux récolter la graine car j'ai une idée derrière la tête. Mon père me dit qu'il suffit que je la remette dans la terre ou dans l'eau pour qu'elle germe à nouveau de façon aussi spectaculaire.
J'entends la marée fluviale, le mascaret, qui remonte dans les galeries. Je dis à mon père de fuir. Je prends mon temps, prudemment je rampe sous les branches de corail pour ne pas me faire piquer, et je coupe le corail juste à l'endroit où il sort de la graine. La graine que je récolte ressemble à un corail-cerveau.  Mais j'ai trop pris mon temps, l'eau remonte jusqu'à moi. Je peux lutter au risque de me blesser et d'agoniser, mais je préfère me laisser emporter. Le fleuve m'immerge et m'emporte dans les galeries, et je perds connaissance.

Quand je me réveille, c'est comme si j'étais sorti du tunnel sur le flanc du volcan. La jungle est couchée et putréfiée. Toutes les plantes sont mortes.Je vois au loin des marcheurs qui progressent vers les autres villages, ils crachent des flammes bleues. Je vais au village. Tout est desséché. Dans la cour, il y a un chien qui gémit près du puits, le puits est à sec. J'entends un ancien qui tousse dans sa hutte, c'est le seul à être resté au village. Je vais le voir. C'est le plus vieux des anciens, il est aveugle, il fait tout noir dans sa hutte et ça sent le fauve. Il met du temps avant de constater que je suis entré. Il m'explique que nous sommes dans un futur où je n'ai pas trouvé la graine, et me rappelle l'importance de ma quête. Je lui dis que je dois trouver Adamia. Il me dit de descendre dans le puits, alors je la trouverai.

Ce que je fais, alors je descends encore dans un autre niveau de réalité.
Une grande, grande plage, que l'océan lèche à perte de vue. J'y trouve Adamia, allongée sur un transat sous un parasol, un serviteur noir l'évente avec une palme. Plus loin, il y a des colons et des marcheurs.
Adamia me dit qu'elle a fait une erreur en faisant le rituel auprès de mon père, mais finalement elle s'étonne qu'il n'en ait pas profité pour la tuer quand elle a perdu connaissance. Je lui dis que nous voulons collaborer avec les blancs. Je demande à Adamia quel intérêt elle a vraiment pour la graine. Elle m'explique que selon elle, la graine donne naissance à toutes les autres graines des espèces de l'île, et qu'elle intéresse les blancs pour leurs recherches. Elle dit qu'en échange elle peut me donner des graines des blancs, qui germent sans l'intervention magique de la mère des graines, c'est ainsi que les blancs sont si prospères. Je lui dis que nous avons besoin de la mère de toutes les graines, que c'est le cycle sacré des saisons, elle dit qu'avec les graines des blancs, nous pourrons nous arracher de ce cycle absurde. Je lui demande de me prouver ce qu'elle avance. Elle ouvre sa main, il y a dans sa paume des graines de céréales, de riz, de manioc. Elle me dit qu'il suffit d'en manger une pour comprendre. Je lui dis d'accord, mais elle doit aussi manger une graine, la graine que je vais lui donner. Elle accepte, elle mange la graine. Elle sent la douleur, et dit : "Qu'est-ce que vous m'avez fait manger... ?". Une larme de sang coule de son oeil. Je vois dans son visage qu'elle vient de sombrer dans un amour fou pour moi. Je mange la graine qu'elle m'a tendue. Je perds connaissance.

Nous nous réveillons tous les deux sur le flanc du volcan. Il n'y a plus de jungle, il n'y a plus que des champs de blé, de riz, de manioc. Maintenant qu'Adamia est liée à moi, je descend dans le tunnel, et elle me suit. J'entre dans la caverne de la vieille, mais Adamia est trop grande pour m'y suivre. Elle passe sa main à l'intérieur, mais elle n'a pas assez d'allonge pour atteindre la vieille, même si je pressens qu'elle pourrait l'atteindre si elle utilisait son couteau.

La vieille, équanime, me répète : "Bonjour, je vais t'expliquer ta quête". Je ne l'écoute pas, je fouille la caverne à la recherche de la graine. Le sol est un sable de basalte, comme de la suie. Je ne trouve rien, la main d'Adamia fouille aussi, sans succès. Finalement, je vois que la vieille est assise sur une sorte de coussin, un coussin frisé. Je lui demande de se pousser, je réalise que ce n'est pas un coussin, mais le crâne d'un homme noir enseveli. Je dégage le sable et l'homme que j'extrais est mon père. Il reprend son souffle. Il dit : "Alors, c'est ainsi, tu m'as trouvé, tu as trouvé la mère de toutes les graines, c'est mon cœur, alors prends le couteau d'Adamia, arraches-le et tu auras achevé ta quête. Je savais que tu devrais en arriver là. Moi-même j'ai dû arracher le cœur de mon propre père, et j'ai dû le refaire chaque année. C'est pour cela que j'ai attendu si longtemps avant de te transmettre ma charge." J'hésite, je pense un moment à me sacrifier moi-même. Adamia m'encourage, elle dit qu'avec la mère de toutes les graines, nous serons des rois, elle sera la reine des îles et je serai le roi. Mon père m'explique que si nous donnons la mère des graines aux blancs et prenons leurs graines en échange, d'abord ils donneront leurs graines pour rien la première année, la deuxième année ils demanderont des services aux noirs, et la troisième année ils les réduiront en esclavage. Adamia me dit que ça ne fait rien, je serai quand même le roi, à ses côtés. Mais je dis que je ne peux résoudre à cet échange, à voir mon peuple réduit en esclavage. Adamia soupire, et abdique : "Puisque je t'aime, je me soumets à ta décision, même si je la désapprouve." Mon père ajoute : "Il y a une autre chose que tu dois savoir. Rien ne prouve que la mère de toutes les graines soit indispensable à la germination des autres graines. C'est peut-être juste une superstition ancestrale, un rite de passage." La vieille me dit que je peux aussi m'enfoncer dans les galeries du royaume souterrain et chercher la graine ailleurs.

Finalement, je fais le pari de la superstition. Je vais remonter sans la graine, et advienne que pourra. Au mieux, si j'ai raison, le village me bannira parce qu'on ne trahit pas une tradition impunément. Au pire...

Avec Adamia, nous nous agrippons aux racines du tunnel et remontons à la surface.

Au-dessus de nos têtes

la sortie du tunnel

une lumière blanche


Playlist :

Miles Davis / On the corner (jazz fusion) passé en simultané avec Earth / 2 : special low frequency version (drone primal)
Deadbeat / Wildlife documentaries (dub)
Que n'ai-je pensé à passer le double album Agartha/Pangea de Miles Davis, jazz-fusion africanisé et dronesque qui aurait tellement tellement collé !

Règles utilisées :

Nous avons joué en Inflorenza Minima, en mode Carte Blanche. J'ai cependant utilisé le tableau des symboles, je tirais un symbole pour moi dès que j'étais en manque d'inspiration, ça me paraissait nécessaire sur un théâtre aussi hermétique.
J'applique la règle des prix à payer invisibles : je ne dis jamais "il y a un prix à payer", je reste dans la fiction quand je présente les conséquences possibles d'une tentative.


Retour du joueur :

+ Le côté techno-chamanique des Colons se prête bien aux niveaux de réalité.
+ On rebondit sur les concepts
+ Les questions [i.e. les prix à payer] se dénouent assez facilement. Il n'y a pas de meilleur choix ; ce sont vraiment des dilemmes.
+ Le poème amène la question du merveilleux qu'on retrouve dans le jeu.
+ On n'avait pas de représentation commune et typée du théâtre, du coup chacun avait son interprétation.
+ En plus du tableau des symboles, on aurait pu faire au préalable, non pas un plan papier, mais une séance de world building en commun.
+ On voit qu'en tant que Confident, tu as des routines qui te permettent de proposer des dilemmes assez spontanément. Pour un Confident débutant en Inflorenza Minima, il faudrait proposer une série de dilemmes-type.


Mon retour personnel :

+ Ce que j'ai vraiment constaté dans ce test, c'est que les perspectives de choix du joueur ne s'arrêtaient pas au choix binaire de payer le prix ou de ne pas le payer, le joueur n'a pas cessé d'élaborer des stratégies ou d'emprunter des voies que je n'avais pas prévues. Je pense que c'est dû au fait que je ne verbalise plus la mécanique, je ne dis plus "il y a un prix à payer", alors le joueur ne sait pas si on est dans un moment de résistance ou pas, le joueur est toujours dans la fiction et jamais dans la mécanique. Le fait d'annoncer une issue possible ouvre le champ des possibles, et le joueur invente encore des voies médianes entre ces possibles. Assurément la séance d'Inflorenza minima la plus satisfaisante du point de vue du positionnement fiction-mécanique !


Auteur de Millevaux.
Outsider. Énergie créative. Univers artisanaux.
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